La concurrence se développera-t-elle en Russie ?

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MOSCOU. /par Iana Iourova, RIA Novosti/. Dans leur récent "Rapport global sur la concurrence en 2004-2005" les experts du Forum économique mondial ont placé la Russie en 70e position sur une échelle qui en comporte 104 au total, pour la compétitivité de l'économie. Rien d'étonnant, car cet indice privilégie la qualité des produits et des services commercialisés. Quels chefs-d'œuvre de qualité pourrait-on attendre d'un pays où la concurrence patauge toujours dans un état indescriptible? Aujourd'hui, cependant, les autorités russes s'efforcent de lui donner un coup d'éperon : le gouvernement a conçu un nouveau projet de loi portant sur la promotion de la concurrence.

Ce document aidera-t-il à briser la résistance des monopoles qui se sont profondément enracinés en Russie? La concurrence, pour la Russie, est un problème énorme. En URSS, il ne pouvait pas en être question, elle était considérée comme une dépense inutile de forces productrices : toute l'industrie était conçue et créée comme une seule usine sans concurrent, naturellement. Ce système semblait être voué à disparaître à jamais, mais il est toujours en vie parce que personne ne s'est souvenu de la concurrence lorsque, au début des années 1990, dans la Russie post-soviétique, les entreprises ont été affranchies de la tutelle de l'Etat. Ces éléments de l'ancienne usine unique ne savaient ni comment, ni pourquoi ils devraient se faire concurrence.

Cet état des choses a été consacré grâce aux particularités des privatisations russes. Dans les années 1990, les plus gros bénéfices étaient tirés de la plus simple répartition de la propriété. Lorsqu'un monopole devient l'objet d'un conflit, sa compétitivité sur le marché mondial et intérieur passe au second plan.

Résultat : sur de nombreux marchés russes la concurrence est apparue relativement tard, au plutôt tout récemment. Si tant est qu'elle a effectivement vu le jour. Car une partie très importante de l'industrie russe reste très concentrée. Prenons par exemple les compagnies pétrolières. Elles ne se font pas beaucoup de concurrence parce que, quel que soit le marché, elles ont toujours intérêt à agir de concert, à contracter une entente tacite. L'exemple de Gazprom est le plus significatif : le holding gazier n'a pas de concurrent, c'est un monopole.

Une partie importante de l'industrie russe dépend de différents monopoles naturels comme Gazprom parce qu'elle n'a pas d'autres fournisseurs et ne peut pas en avoir, même théoriquement. Le monopole possède un outil puissant pour faire pression sur ces entreprises qui ne sont compétitives que dans la mesure où les matières premières qu'il leur fournit sont bon marché.

Conséquences : durant les années 1990 les entreprises dépendantes de Gazprom se sont retrouvées criblées de dettes au point que le fournisseur les a forcées à lui céder le bloc de contrôle. Il se trouve qu'en Russie on a vu se former dans de nombreux secteurs des sociétés à intégration verticale au sein desquelles la concurrence est inexistante. C'est le cas de la pétrochimie. Aujourd'hui, de très nombreuses entreprises de cette branche appartiennent à Gazprom, à ses filiales ou à ses managers. On se demande comment les autorités ont permis tout cela et pourquoi la politique nationale n'a fait, pendant bien des années, qu'avilir les outils appelés à stimuler la concurrence. La réponse est évidente : les autorités ont tout fait pour maintenir à flot les entreprises en mauvaise situation financière. Elles restructuraient ou effaçaient leurs dettes, les exonéraient d'impôts. Pour éviter une catastrophe sociale.

Cela a permis de niveler les résultats financiers finals des bonnes et des mauvaises entreprises. Mais lorsqu'un bon producteur ne peut pas, avec son produit de qualité, évincer du marché les "vendeurs de camelote", le principal stimulant de la concurrence s'annihile.

A partir de 1997 ou 1998, les organismes antitrust ont livré bataille aux restrictions qui limitaient la concurrence sur le marché russe. Mais ils n'avaient pas d'armes appropriées pour mener cette guerre. C'est qu'au début des années 1990 les autorités s'étaient passionnées pour les idées occidentales au point de copier des lois étrangères sans penser à les adapter au terrain national. Ainsi la législation antitrust a été conçue à la manière européenne. De l'avis du directeur adjoint du Centre d'analyse des entreprises et des marchés, Svetlana Adacheva, la faiblesse de la concurrence en Russie est un problème qui déborde le cadre des problèmes qui existent dans les pays industrialisés. Autant dire que la loi anti-monopole en vigueur ne suffit plus, pas plus que l'organisme antitrust.

En même temps l'actuelle loi sur la concurrence oblige le Service fédéral anti-monopole (FAS) à produire beaucoup d'efforts qui n'ont rien à voir avec la protection de la concurrence. Par exemple, la loi établit un critère très bas de contrôle des contrats de fusion : si après fusion le capital total des entreprises réunies atteint 370 000 dollars, une telle transaction requiert l'autorisation préalable du FAS. Quel effet pourrait avoir sur le marché la fusion d'une boulangerie avec une blanchisserie, par exemple? Néanmoins, l'organisme anti-monopole doit délivrer son avis sur des dizaines de milliers d'affaires de ce genre. C'est un travail de fou qui n'a rien à voir avec la promotion de la concurrence.

D'autre part, les sanctions pour manquement à l'obligation de respect de la loi antitrust sont parfaitement anodines car c'est une contravention administrative. La sanction maximale est une amende d'un montant de 1 800 dollars.

La nouvelle Loi sur la protection de la concurrence sera-t-elle meilleure que l'ancienne? Le directeur du FAS, Igor Artemiev, a déclaré que "ce projet de loi a pour but d'alléger la pression administrative sur les milieux d'affaires". Seules les affaires conduisant effectivement à la concentration économique seront contrôlées. Le document simplifie les procédures de contrôle antitrust. Le nombre des marchés à réaliser sur avis ou après notification à l'organisme anti-monopole est diminué. S'agissant de l'acquisition de droits sur une part du capital social, le contrôle ne sera obligatoire que pour les marchés qui font apparaître le droit de l'acquéreur de disposer d'une minorité de blocage, du bloc de contrôle ou d'un paquet de 75% des actions. Le projet comporte aussi une nouvelle notion, celle de domination collective, qui durcit la responsabilité pour obstacle à la concurrence sur le marché, introduit le contrôle antitrust de l'aide publique. Cette dernière disposition prescrit comment l'aide publique peut être apportée et comment elle ne doit pas l'être, pour ne pas nuire à la concurrence. L'existence ou l'absence d'entente sur les prix dont on accuse souvent les rois de la métallurgie et du pétrole seront décidées par des contrôleurs financiers indépendants.

Pour les éventuels investisseurs, la loi semble être favorable parce qu'elle diminue les frais d'enregistrement. Il est vrai pourtant que si une affaire influe effectivement sur la concurrence sur le marché russe, elle sera, d'après la nouvelle loi, analysée d'une façon plus approfondie qu'avant.

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