Paroles pondérées de réconciliation à Moscou

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MOSCOU, 4 avril. (Par Vladimir Simonov, commentateur politique de RIA Novosti). Jean Paul II a quitté ce monde. Des cierges pour la paix de son âme ont été allumés en Russie aussi, dans les églises catholiques et orthodoxes.

Dans son message de condoléances, le président Vladimir Poutine qualifie Jean Paul II de "personnalité éminente de l'époque" et apprécie hautement son oeuvre au service de ce noble objectif consistant à "former une société reposant sur les principes de l'humanisme et de la solidarité".

Le Kremlin est loin de l'automne 1978, quand l'archevêque de Cracovie avait été élu à la tête des catholiques du monde entier. Les idéologues de Léonide Brejnev alors au pouvoir, avaient aussitôt suspecté dans ce pape polonais un nouvel instrument de l'impérialisme, à même de faire chanceler le camp socialiste.

Si l'on rejette la théorie du complot, en gros leur intuition politique ne les avait pas trahis. Dans l'un de ses premiers sermons Jean Paul II avait pris la croix pour s'attaquer au "rideau de fer". Il avait proposé à l'humanité d'"ouvrir toutes grandes les portes au Christ". "A sa puissance salvatrice, ouvrez les frontières des Etats, les systèmes économiques comme les systèmes politiques, les vastes domaines de la culture et de la civilisation", avait appelé le Souverain Pontife. N'ayez pas peur!"

Au contraire, cela avait incité les dirigeants totalitaires de la Russie à redoubler de crainte. Le catholicisme avait été poussé dans la clandestinité comme la secte des khlysty. Saccagées dans les années 1920, les églises catholiques n'avaient repris vie qu'en avril 1991, au plus fort de la perestroïka, lorsque la Russie avait déjà goûté à satiété les fruits de la démocratie jadis défendus.

Deux années auparavant, dès après la chute du mur de Berlin, le Pape avait, pour la première fois de l'histoire du Saint-Siège, accordé une audience au leader du Parti communiste (de l'Union soviétique-ndlr). C'était Mikhaïl Gorbatchev.

A l'époque de nombreux théologiens occidentaux s'étaient empressés de dire qu'il fallait voir dans cette rencontre tant attendue la capitulation de l'athéisme scientifique face à la religion dans leur sempiternelle rivalité pour le droit de se présenter comme la voie maîtresse du développement de l'humanité.

Appliquée à la Russie, cette conclusion était bien sûr erronée. Sept décennies de régime communiste y avaient inoculé aux gens le gène de l'athéisme. Il est intéressant de constater qu'aujourd'hui encore, dans le contexte d'un pays qui s'est métamorphosé, la vision du monde athée est perçue avec acuité comme un autre signe de liberté de conscience.

La visite rendue au Pape par Mikhaïl Gorbatchev a ceci d'historique qu'elle a marqué le début de la renaissance de l'Eglise catholique romaine en Russie. C'est pendant le pontificat de Jean Paul II que Moscou a établi des relations diplomatiques avec le Vatican. Au mois de février 2002, le Saint-Siège a rehaussé le statut des missions catholiques en Russie, les transformant en administrations apostoliques, c'est-à-dire en diocèses de plein droit.

L'évêque Iossif Werth, aujourd'hui président de la Conférence des diocèses catholiques de Russie, préside aux destinées de 300 communautés regroupant plus d'un demi-million de croyants, parmi lesquels le ministre russe du Développement économique, Guerman Gref.

De nos jours, Iossif Werth est tout aussi bien accueilli au Kremlin que le patriarche orthodoxe Alexis, le mufti Gaïnoutdine, le rabbin Lazar et le métropolite des vieux-croyants Andrian. Les autorités russes voient dans la tolérance réciproque des confessions le garant de l'unité de la Russie et un contre-poison de l'extrémisme religieux.

"Les rapports avec l'Etat se sont sensiblement améliorés grâce au président russe, Vladimir Poutine, qui souvent défend l'église catholique contre les attaques", admet Iossif Werth.

Les catholiques doivent être protégés principalement de l'Eglise orthodoxe prédominante en Russie. Celle-ci reproche aux frères de foi catholiques de pratiquer le prosélytisme, c'est-à-dire de recruter des adeptes parmi les ouailles des diocèses russes et sur un territoire qui a toujours été orthodoxe qui plus est.

La tension qui depuis des décennies monte autour des gréco-catholiques (uniates) en Ukraine est une autre pomme de discorde entre le Vatican et l'orthodoxie russe. Les uniates entendent créer un Patriarcat à Kiev et cherchent à obtenir le feu vert du Vatican.

Ces désaccords ont dans une grande mesure empêché Jean Paul II de réaliser son rêve de se rendre à Moscou et d'y rencontrer le Patriarche Alexis II. Le chef spirituel de 800 millions de catholiques, qui avait à son actif 250 déplacements à l'étranger, est mort sans avoir pu servir une messe sur la Place Rouge.

Seulement la tristesse a aussi un revers radieux qui rapproche. La disparition du Pape a incité la hiérarchie orthodoxe russe à tenir des paroles pondérées de réconciliation. Dans son message de condoléances, Alexis II exprime l'espoir que "la nouvelle période qui s'annonce dans la vie de l'Eglise catholique romaine aidera à renouveler les rapports de respect mutuel et d'amour fraternel chrétien" qui se sont établis entre nos églises.

Face aux nouveaux périls menaçant l'humanité, les deux grandes Eglises universelles n'ont pas le droit de renoncer au dialogue, à l'idée de l'unité de la chrétienté. C'est là un des préceptes non écrits du grand Juste qui vient de quitter notre monde.

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