La Russie et les Etats-Unis voués à coopérer en Asie centrale

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MOSCOU, 27 mai (par Serguei Markedonov, chef du département des problèmes des rapports interethniques de l'Institut d'analyse politique et militaire, docteur de troisième cycle en histoire - RIA Novosti).

La présence américaine dans l'espace postsoviétique euro-asiatique est accueillie aujourd'hui par de nombreuses personnes en Russie comme une atteinte à l'indépendance nationale ou peu s'en faut. Selon une expression imagée d'Alexandre Douguine, éminent théoricien du traditionalisme russe, ces dernières années, on assiste à la pénétration des Etats-Unis sur le "territoire canonique" de la diplomatie russe. Cependant, dans un avenir proche, la présence militaro-politique du leader mondial sur certains territoires de l'ex-URSS peut devenir un facteur important de stabilisation.

L'époque des révolutions "pacifiques", "de velours", s'achève dans la CEI (Communauté des Etats Indépendants). Le "réveil " et l'autodétermination politique (et civilisée) commencent en Asie centrale. Nous avons observé la première tentative de cette autodétermination au début des années 1990 au Tadjikistan. Le deuxième Etat des talibans, après l'Afghanistan, n'a pas été fondé dans cette ancienne république de l'Orient soviétique uniquement parce que le gendarme de la région, en la personne de la Russie, est arrivé au bon moment et à l'endroit voulu. Aujourd'hui, les forces et les ressources de ce gendarme sont insuffisantes pour prévenir l'exportation de la révolution islamique en dehors de l'Asie centrale. Ce qui se produit aujourd'hui en Ouzbékistan peut être qualifié ou bien de prélude, ou de répétition générale avant la "révolution verte". Les autorités de ce pays qui ont décidé d'employer la force ont manifesté non pas leur puissance, mais leur faiblesse fondamentale.

La culture politique de l'Orient musulman ne tolère pas ce qui se fait au grand jour, toutes les querelles politiques se déroulent dans les couloirs et la concurrence ne dépasse pas les limites des cabinets des chefs. Quant à l'emploi de la force armée, c'est en quelque sorte la forme orientale de la politique publique, c'est-à-dire la transposition de la politique dans la rue et l'association de la foule à la cause sacrée. Par conséquent, le pouvoir montre son incapacité à s'entendre et à régler tous les problèmes dans les couloirs, ce qui veut dire qu'il devient trop accessible. C'est pourquoi les succès relatifs d'Islam Karimov en matière de "stabilisation" ne doivent induire personne en erreur.

Il est évident que le "réveil" de l'Asie ne se bornera pas à l'Ouzbékistan. Même la Kirghizie, Etat laïque où la démocratie est développée, n'a pu éviter les excès révolutionnaires et la réaction spontanée de la mosquée et du bazar. La frontière kirghizo-ouzbèque ne peut pas jouer aujourd'hui le rôle de bastion contre les radicaux islamiques qui bénéficient du soutien massif dans la région à cause du pouvoir complètement corrompu et l'absence d'opposition laïque normale. Il en est de même pour la frontière kazakho-ouzbèque.

Reconnaissant la "transparence" des frontières centrasiatiques, on peut se représenter facilement l'extension de l'expérience ouzbèque aux confins de la puissance russe. Puisque la Russie perd rapidement aujourd'hui son contrôle de la CEI, la nécessité de rechercher un gendarme régional supplémentaire devient évidente.

Est-ce que la Russie est prête aujourd'hui à participer seule à l'apaisement de l'Ouzbékistan en train de sombrer dans une révolution islamique? Le Traité de sécurité collective pourra-t-il être mis en oeuvre efficacement? Ce sont là des questions rhétoriques. C'est pourquoi l'accroissement de la présence américaine en Asie centrale peut être considéré comme une perspective intéressante pour la diplomatie russe.

La présence des Etats-Unis dans cette région ne nous lèse nullement. Malgré les clichés répandus, les Etats-Unis n'aspirent nullement à explorer profondément l'Eurasie postsoviétique.

Dès les premiers jours de son existence en tant qu'Etat indépendant, la Russie a considéré l'espace postsoviétique comme la zone de ses intérêts stratégiques prioritaires. En tant que successeur de l'URSS, la Fédération de Russie prétendait à jouer un rôle particulier dans la géopolique euro-asiatique. Les représentants de l'élite politique, des milieux d'affaires et des structures de force russes dans l'orientation euro-asiatique avaient un certain avantage sur leurs collègues des Etats-Unis, de la Turquie, de l'Iran et des pays d'Europe. Le passé soviétique réunissait les fonctionnaires, les hommes d'affaires russes et les leaders des nouveaux Etats indépendants. Cependant, depuis 1991, l'avantage géopolitique russe disparaissait graduellement. Selon l'avis qui prédominait dans la direction russe, les ex-républiques soviétiques s'en tiendraient tacitement à l'orientation pro-russe. Le principe de l'"égoïsme national" n'a pas été pris en sérieux. Cependant, l'élite russe n'a pu proposer un projet attrayant de modernisation aux élites locales. Il en a découlé la perte de son influence militaro-politique d'antan. Par conséquent, la pénétration des Etats-Unis en Eurasie a été, pour beaucoup, objective et légitime. La Russie a besoin de stabilité aux frontières méridionales et orientales. Si Moscou n'a pas de ressources pour jouer seule le rôle de policier régional, ne serait-il pas plus facile de partager ces fonctions avec Washington?

L'arrivée des Etats-Unis en Asie centrale n'est pas un complot antirusse. C'est la réalité objective à laquelle notre pays est intéressée aujourd'hui. Par conséquent, les Etats-Unis et la Russie sont voués à coopérer dans la région. Si les premiers ont des ressources matérielles, la Fédération de Russie possède l'expérience réelle de direction des processus politiques dans les étendues de l'Asie centrale.

Le point de vue de l'auteur ne coïncide pas toujours pas avec celui de la rédaction.

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