Comment mettre fin aux enlèvements en Tchétchénie?

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Par Stepan Orlov, RIA Novosti

Les enlèvements demeurent l'un des problèmes les plus sensibles de la Tchétchénie. Le haut commissaire aux droits de l'homme des Nations unies, Louise Arbour, actuellement en voyage à travers le Caucase du Nord, a placé ce dossier au centre des entretiens qu'elle a eus en Tchétchénie et en Ingouchie. A l'issue de son voyage, elle doit préparer un rapport contenant, entre autres, des recommandations sur la façon dont on pourrait mettre fin aux enlèvements.

2.780 personnes ont été enlevées depuis 2000 en Tchétchénie, selon les données présentées par le président tchétchène, Alou Alkhanov. Le vice-premier ministre Ramzan Kadyrov a pour sa part indiqué à Louise Arbour que les ravisseurs faisaient partie du réseau terroriste international et qu'il fallait chercher leurs bailleurs de fonds en Occident. Il a déclaré qu'un million de dollars avait été versé pour l'assassinat de son père, le président Akhmad Kadyrov, tué dans un attentat le 9 mai 2004, l'argent ayant été transféré par le biais de l'émissaire des terroristes tchétchènes, Akhmed Zakaïev, qui avait obtenu l'asile politique à Londres.

Le "kidnapping business" a été lancé, selon Ramzan Kadyrov, par l'ancien oligarque russe Boris Berezovski, lui aussi en exil en Angleterre, qui occupait au milieu des années 1990 le poste de sous-secrétaire du Conseil de sécurité russe. "Berezovski disait aux chefs terroristes qu'il ne pouvait leur verser d'argent directement, et il leur proposait d'enlever des civils et des militaires en Tchétchénie pour leur payer des millions de dollars sous forme de rançon", a-t-il expliqué, ajoutant que les ravisseurs avaient ainsi décroché 30 millions de dollars.

Des responsables de l'ONG ingouche Memorial qui ont rencontré Louise Arbour à Magas, chef-lieu de l'Ingouchie, ne contestent pas cette version, mais estiment aussi que des membres des services secrets russes qui s'emploient à réprimer le terrorisme y sont également impliqués.

Le conseiller du président russe pour le Caucase du Nord, Aslambek Aslakhanov, partage en partie ce point de vue. "Les unités armées menaient, sous le contrôle des services secrets russes, des opérations dites de "ratissage" dans les localités tchétchènes où elles enlevaient des gens, dont certains disparaissaient sans laisser de traces. Il y en a qui sont introuvables depuis 1999 et même depuis 1996", raconte-t-il. Selon lui, des jeunes Tchétchènes prenaient des armes pour protéger leurs proches contre les "escadrons de la mort" fédéraux.

Cependant, Aslambek Aslakhanov est loin de rejeter toute la responsabilité des enlèvements sur les seules forces fédérales. Il explique ce problème par le climat général qui règne dans la république depuis une quinzaine d'années.

"Les violations massives des droits de l'homme en Tchétchénie ont commencé en 1991, quand le séparatiste Djokhar Doudaïev est arrivé au pouvoir, et le "kidnapping business" est né au milieu des années 1990 quand les autres sources d'enrichissement criminelles furent épuisées. La guerre contre la Russie est alors devenue lucrative", raconte le conseiller du Kremlin.

"Déjà avant le début de la première campagne militaire, en 1994, la République tchétchène a dégénéré en un trou noir criminel permettant de blanchir des milliards de dollars", affirme-t-il.

"Au début des années 1990, on arrêtait des trains sur le chemin de fer, et on en emportait des cargaisons précieuses destinées au Daghestan, à l'Azerbaïdjan, l'Arménie et la Géorgie. Sur l'autoroute Moscou-Bakou, le brigandage était tel que le transit via la Tchétchénie s'est interrompu. On pillait des entreprises, puis le tour du pétrole tchétchène est venu. Les Tchétchènes sont intervenus auprès des autorités de Moscou pour faire adopter une décision d'accorder à la Tchétchénie 17 à 19 millions de tonnes de pétrole supplémentaires dont les ventes, y compris à l'étranger, n'ont rapporté ni au budget fédéral ni au budget tchétchène. Des années se sont écoulées ainsi", raconte Aslambek Aslakhanov qui s'est fait élire à plusieurs reprises au parlement russe où il représente la Tchétchénie.

"En 1993, la République tchétchène est devenue une des plaques tournantes mondiales du trafic d'armes. Parfois, jusqu'à 30 avions, chargés d'armes, décollaient en un jour de l'aéroport de Grozny à destination des pays du Proche-Orient et d'Afrique, et ils ramenaient en Tchétchénie drogue et ses matières premières. Dans le district de Chali fonctionnait une importante filière de production d'héroïne hautement raffinée", ajoute-t-il.

"La Tchétchénie est aussi devenue un centre du trafic de personnes sous le président Maskhadov, à partir de la seconde moitié des années 1990. A l'époque, on kidnappait souvent en Russie, mais on parvenait toujours à récupérer la rançon. Jusqu'à 90% des personnes enlevées étaient alors des Tchétchènes. On prenait des gens en otages si on savait que leurs proches pouvaient verser plusieurs milliers de dollars de rançon. Presque chaque ministre du gouvernement provisoire de Salambek Khadjiev (il dirigeait le cabinet de Grozny au milieu des années 1990, quand les forces fédérales étaient présentes) s'est retrouvé un jour en otage. Les gens qui sont venus au pouvoir avec Maskhadov savaient qui empochait des fonds budgétaires dans le gouvernement Khadjiev, et ils leur extorquaient ces sommes en les enlevant à Moscou et dans d'autres villes russes. Ces enlèvements sont devenus un business lucratif pour beaucoup de personnalités de l'entourage de Maskhadov qui occupaient des postes importants en Tchétchénie. Avec le temps, le trafic d'êtres humains est devenu ici toute une industrie, et il serait très difficile de le supprimer", explique le député tchétchène.

Louise Arbour est donc confrontée à une tache difficile, celle de comprendre les causes des enlèvements et de trouver le juste milieu entre deux positions opposées. Car les représentants des forces fédérales, même s'ils reconnaissent certaines dérives, rejettent la responsabilité des enlèvements sur les terroristes, alors que les organisations de défense des droits de l'homme, comme Memorial, imputent les enlèvements aux forces fédérales. L'examen approfondi des deux positions doit permettre de répondre à une question cruciale: comment mettre fin aux enlèvements en Tchétchénie?

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