La logique des destitutions et des nominations en Russie

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Par Svetlana Babaïeva, Moskovskié Novosti, en exclusivité pour RIA Novosti

La destitution du procureur général traduit un affaiblissement évident d'un des clans. Telle est l'interprétation la plus fréquente du départ, vendredi, de Vladimir Oustinov. "Siloviki", Rosneft, Khodorkovski, Ioukos, rien n'a été oublié. En effet, Poutine a "équilibré la situation", selon une source haut placée dans le pouvoir exécutif. Pourquoi? Pour qui? A quoi doit-on s'attendre dans l'avenir le plus proche?

Le président du sénat, Sergueï Mironov, arborant un air serein et important, a annoncé : la destitution d'Oustinov est une "partie des remaniements que le président a l'intention d'opérer". Autant dire que Poutine ne se limitera pas au seul parquet. Il en découle deux questions cruciales : qui sera nommé procureur général et qui sont les autres candidats à la destitution?

L'air politique moscovite est déjà saturé de bruits au sujet des cadres. Les noms de deux ministres "visés", selon l'expression d'une époque révolue, reviennent le plus souvent. Les deux sont responsables des problèmes constituant la base de la stabilité politique et économique. Le premier est le ministre de l'Education Andréi Foursenko, dont dépend la confiance d'une partie de l'électorat, en l'occurrence des enseignants qui ont été "perdus" au cours du processus d'augmentation des traitements, ce qui a provoqué la colère publique violente du président. Il est vrai qu'aucun signal indiquant que Poutine à l'intention de remercier le ministre n'est venu d'en haut.

L'autre candidat à "sacrifier" est le ministre de l'Industrie et de l'Energie, Viktor Khristenko. Là, le problème est plus sérieux. Des milliards de dollars sont en jeu. Deux fonctionnaires de l'administration présidentielle se disputent le poste. On dit de l'un des deux qu'il serait nommé ministre de l'Energie au lendemain du sommet du G8. D'après une autre information, le nouveau promu cumulerait la fonction de ministre et le statut de vice-premier ministre responsable de l'énergie. En principe, cela ne manque pas de logique. Une partie des entreprises attractives n'a pas encore été restructurée, une partie des décisions financières importantes n'a pas encore été prise et une partie des flux financiers n'a pas encore été réorientée (les dispositions prises relativement aux douanes et les rumeurs d'unification avec le fisc en sont une confirmation). D'autre part, certains problèmes pourraient être résolus avec plus d'efficacité dans la "zone grise" qu'avec l'aide d'un coordinateur public et officiel. D'autant qu'une direction unique dans un secteur comme les ressources énergiques est une charge difficile du fait, entre autres, que le chef de l'Etat en personne lui accorde une importance énorme, en faisant preuve de connaissances étendues des chiffres et des détails techniques.

Il y a aussi le ministre économique, Guerman Gref, à qui on s'efforce de prendre tout ce qui a une valeur financière, à l'exception de l'élaboration de programmes économiques. Et même cela aussi� Mais ce ne sont que des bruits qui courent à son sujet depuis longtemps, comme c'est aussi le cas, depuis des années déjà, du premier ministre, du ministre de l'Intérieur, du ministre des Finances. Ils peuvent aussi bien se matérialiser subitement que continuer à circuler comme un élément du paysage politique.

�Avant la destitution du procureur général on avait l'impression que la lutte des clans prenait une nouvelle dimension et revêtait une cruauté inouïe et sans nuance. Après la destitution, la situation a quelque peu changé. En fait, la preuve principale a été fournie : Poutine ne briguera pas un troisième mandat. C'est pour cette raison qu'il s'est mis à reconfigurer l'élite de telle manière qu'elle ne présente de menace ni pour lui-même, ni pour son successeur qu'il ne semble pas encore avoir choisi en tant que personne concrète, mais qu'il a défini en tant qu'objet de tous ses efforts.

Pour cette raison tous les futurs changements de cadres seront extrêmement importants et significatifs, même s'ils n'interviennent pas immédiatement mais au cours des mois à venir. Par exemple la nomination de Dmitri Kozak au poste de procureur général pourrait être interprétée comme l'apparition d'un troisième candidat à la présidence.

A propos, l'apparition d'un "troisième homme" est somme toute attendue par l'establishment et ne sera pas pour lui une surprise. D'autant que, comme l'a fait observer un fonctionnaire, "dans la situation actuelle le successeur ne doit pas être obligatoirement premier ministre". Supposons que Kozak soit chargé de la lutte contre la corruption, troisième axe des préparatifs préélectoraux. L'électeur le comprend et le petit-bourgeois demande que justice soit faite parce que le mécontentement s'est accumulé parmi le peuple. Il ne se transformera pas en une révolution parce que dans leur grande masse les électeurs n'avancent pas d'exigences que le pouvoir ne soit pas en mesure d'étouffer ou d'exécuter, mais il ne disparaîtra pas tout seul. Dans une situation où le pouvoir ne peut pas démontrer son efficacité au niveau des institutions, il est plus avantageux de faire des sacrifices "au détail".

Cependant, ces efforts auront dans tous les cas deux mobiles : d'une part, ils sont destinés à l'électeur (et à l'Occident avec lequel Poutine ne veut pas rompre malgré le "refroidissement"), de l'autre, ils visent les clans. Autrement dit, Poutine, comme d'autres joueurs politiques, prendra des décisions tendant à élargir/rétrécir la sphère d'intérêts d'un groupe, à équilibrer/déséquilibrer les zones de responsabilité et, enfin, engagera des batailles politiques pour renforcer le pays/redorer son blason à l'extérieur.

Si Kozak n'est pas nommé procureur général, on devra s'attendre à d'autres efforts d'équilibrage des élites et des clans. Les principaux remplacements-destitutions-nominations de l'année prochaine seront de toute façon opérés d'après la logique de la "vie avant et après 2008". Elle implique un repartage des sphères d'influence et des flux financiers, leur légalisation aux yeux de l'Occident et leur sécurisation à l'intérieur du pays. Elle implique aussi le balancement entre ceux qui sont "plus royalistes que le roi" et la pérennité de la politique, de l'activité, la continuité des démarches et des personnes. Elle implique enfin la loyauté et la fidélité au sein des groupes d'influence et la "popularité" et l'universalité" à l'extérieur, en premier lieu aux yeux des électeurs.

D'où les rumeurs incessantes sur le successeur réel. A croire que tous les candidats évidents ne sont qu'une ?ouverture pour le candidat "véritable". Cela peut être n'importe qui. Par exemple Vladimir Iakounine, ancien patron des Chemins de fer de Russie qui a cette réputation depuis des années, ou un novice, Sergueï Narychkine, chef de l'appareil du gouvernement, ou encore Valeri Nazarov, directeur de l'Agence de gestion des biens publics. Même le procureur général mis à la retraite!

A quoi tout cela aboutira-t-il à la veille des élections? Nul doute, les programmes et plans d'action mis en route auront un effet positif pour les simples gens, ne fût-ce que pour cette simple raison que l'augmentation des traitements des enseignants ou l'adoption de schémas d'octroi de crédits au logement sont, pour l'économie russe, des objectifs pressants indépendamment des élections. Et pourtant ce sont les "image-projects", évidents et compréhensibles par l'électeur, qui prédomineront. Il est douteux qu'ils aient un effet à long terme sur l'économie et la qualité de la vie parce que cela requiert une autre époque, d'autres ressources, d'autres décisions. Et même une autre volonté. Aujourd'hui, l'essentiel est d'éviter les conflits sociaux fragrants et les irrégularités manifestes dans les groupes d'influence, de donner un "terrain d'action" à chaque concurrent pour en choisir un et confier des fonctions adéquates aux autres, et éviter ainsi toute possibilité de coup d'Etat patent ou latent.

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