L'hydro-aviation russe : toujours à l'avant-garde mondiale

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Par Iouri Zaïtsev, de l'Académie russe de l'ingénierie, pour RIA Novosti

La lutte contre les incendies de forêt, le transport de frets et de passagers vers les régions dépourvues de pistes d'atterrissage, le contrôle de la zone économique maritime : tout cela fait appel à des moyens de transport différents et des équipements spéciaux et, par conséquent, entraîne d'importants frais financiers et le recours à des ressources humaines non négligeables. Dans de tels cas, on propose d'ordinaire les solutions suivantes : "avion - hélicoptère" ; "avion - navire - transports terrestres". Mais l'expérience prouve que le recours aux hydravions amphibies anti-incendie est la meilleure variante. A noter également que les hydravions sont un moyen efficace pour combattre les incendies provoqués par des activités humaines et des désastres naturels.

L'efficacité des amphibies s'explique notamment par la possibilité de transporter de l'eau depuis un plan d'eau vers le foyer d'incendie. Par exemple, en Russie où les lacs, les cours et les plans d'eau sont partout présents dans les zones forestières, l'acheminement d'une tonne d'eau vers un foyer d'incendie par le plus récent des amphibies russes, le Be-200, revient 4 à 5 fois mois cher que par un autre avion anti-incendie, Iliouchine (Il)-76P.

En 2003, lorsque la Californie était dévastée par des incendies catastrophiques, le Congrès américain a proposé au président George Bush d'utiliser des Iliouchine russes pour combattre le feu. A l'époque, l'Amérique n'a pas "vu" ces avions. Aujourd'hui, les Américains projettent de créer tout un parc d'amphibies constitué, entre autres, d'hydravions russes. La compagnie californienne Hawkins Rowers a été la première à établir des contacts d'affaires avec les constructeurs russes. Le Groupe aéronautique Irkut (Sibérie orientale), qui procède à l'assemblage d'hydravions, a signé avec cette compagnie un protocole prévoyant la livraison de huit Be-200, pour un coût de près de 200 millions de dollars. Ces avions doivent être utilisés pour éteindre les incendies sur la côte ouest des Etats-Unis. Les premiers avions sont attendus aux Etats-Unis en 2007.

L'avion amphibie polyvalent à vocation civile Be-200, conçu aux Usines aéronautiques Beriev (TANKT) à Taganrog, sur la mer d'Azov, dans le Sud russe, est la plus récente des réalisations de l'hydro-aviation russe. En le créant, le TANKT a fait un vaste appel à l'expérience de conception et d'exploitation de ses prédécesseurs, le Be-12 et l'A-40 Albatros. Ces deux appareils ont fait leurs preuves dans les zones dépourvues de pistes d'atterrissage.

En septembre 2000, un Be-200 a participé au 3e Salon de l'Hydro-aviation à Guelendjik, sur la mer Noire, en Russie, en en devenant le "clou". En octobre 2001, le Be-200 entame sa grande tournée asiatique, qui a commencé en Inde et en Birmanie, pour finir en Malaisie, à l'exposition LIMA-2001, l'un des plus importants salons en Asie-Pacifique, région qui compte le plus d'acheteurs réels et en potentialité pour les matériels aéronautiques russes. L'exposition de Séoul, KADE-01, a suivi.

Dans le cadre du Salon européen ILA-2002 à Berlin, en RFA, le mémorandum de coopération dans l'étude du marché de l'amphibie Be-200 avec le consortium EADS a été signé. Les résultats - non définitifs - de cette étude de marché montrent que la demande d'amphibies russes pourrait s'élever à 320 pièces, mais à condition qu'ils soient équipés de moteurs Rolls-Royce.

D'après Iouri Brajnikov, vice-ministre russe des Situations d'urgence, l'Union européenne a appuyé l'idée de constitution d'une "euro-escadrille" constituée d'appareils destinés à combattre les incendies, les catastrophes écologiques, pour rechercher et sauver les victimes des naufrages et des sinistres. Cette initiative a été appuyée par l'Allemagne, l'Italie, la France et la Grèce. Les forces et les moyens de l' "euro-escadrille" devront être engagés à la demande des Etats dont les unités nationales s'avéreront impuissantes à venir à bout des missions de ce genre. Par exemple, pour neutraliser les conséquences d'un accident technologique dévastateur ou d'un acte de terrorisme. De l'avis du vice-ministre, la Russie pourrait remettre à la disposition de l'"euro-escadrille" des avions Be-200 et Il-76, des hélicoptères Mi-26T, Mi-8MTV et Ka-32A. "Mais le rôle principal sera réservé au Be-200", dit-il.

Une série d'essais menés en Arménie a prouvé la robustesse de l'amphibie de Taganrog : un Be-200 se posait et décollait d'un aérodrome situé à 1 580 m au dessus de la mer et sur le lac Sevan, en haute montagne, à 1 950 m d'altitude.

Deux Be-200 ont participé au 6e Salon de l'Hydro-aviation en 2006. L'un des appareils qui appartient à l'entreprise TANTK venait de rentrer du Portugal où, en vertu d'un contrat, l'amphibie avait combattu - avec succès - des incendies de forêt pendant plusieurs mois de suite (ce pays pourrait être le premier à commander des hydravions russes). Le second Be-200 a été présenté par le ministère russe des Situations d'urgence - il en exploite trois au total. Quatre nouveaux appareils déjà commandés lui seront livrés avant fin 2007. Pendant le Salon de Guelendjik, un amphibie Be-200 a établi, en quatre vols, huit records mondiaux.

Cet avion russe est unique en son genre. Il peut décoller d'une piste de terre naturelle de 1 800 m de long, depuis des retenues d'eau et des plans d'eau de plus de 2 m de profondeur, avec des vagues de 1,2 m (houle de 3 points). En hydroplanage (vitesse de 150 à 190 km/h), un Be-200 remplit, en 12 à 14 secs, ses huit réservoirs de 12 à 13 t d'eau. A son bord, il y a aussi plusieurs réservoirs d'une capacité de 1,3 m3, destinés à recevoir des substances chimiques liquides. Au moyen de pompes centrifuges, ces substances sont rajoutées à l'eau pour relever l'efficacité de l'extinction.

Mais l'extinction devient efficace au maximum en présence d'une importante retenue d'eau à proximité du foyer d'incendie. Dans ce cas, l'opération s'effectue d'après le "schéma circulaire" : l'avion fait le plein d'eau, se dirige vers le foyer d'incendie, déverse l'eau amassée avant de rebrousser chemin. Avec des distances "aérodrome - feu" de 100 km et "retenue d'eau - feu" de 10 km, un Be-200 serait capable, avec un seul plein de carburant, de larguer jusqu'à 270 t d'eau sur un foyer.

Mais l'efficacité est encore plus importante si plusieurs appareils sont engagés à la fois. Grace au système de pilotage et de navigation ARIA-200 installé à bord du Be-200 (c'est une conception conjointe du Centre russe d'équipements pour avions et de l'américain Allied Signal Aerospace), l'incendie est combattu en régime automatique. Autrement dit, l'approche du foyer d'incendie et de la retenue d'eau et l'atterrissage, ainsi que la détection mutuelle, dans les conditions d'une visibilité nulle, au sein d'un groupe d'avions, sont automatiques. Le déversement d'eau peut s'effectuer aussi bien en salve qu'en mode d'ouverture consécutive des réservoirs.

Masse maximale de l'avion au décollage d'une piste : 37,2 t. Vitesse maximale : 610 km/h. Plafond opérationnel : 8 000 m. Portée du vol à cette altitude, avec un plein de carburant de 7 200 kg : 1 800 km. Autonomie sans charge utile : 3 850 km. Distance d'envol sur sol : 700 m ; sur eau : 1 000 m. Distance d'atterrissage sur sol: 950 m; sur eau: 1 300 m. Longueur de l'avion : 32,05 m. Envergure : 31,88 m ; hauteur en stationnement : 8,9 m.

L'entreprise TANTK a également élaboré, outre le Be-200 anti-feu, d'autres appareils de la même famille : le Be-200T peut transporter aussi bien des cargaisons que des passagers (19 personnes). Sa soute est équipée de tapis roulants et de palans électriques utilisés pour déplacer des fardeaux, en l'absence d'équipements aéroportuaires nécessaires.

L'amphibie en version passagers peut transporter 72 personnes.

Même si le Be-200 a été conçu comme un appareil civil, il est parfaitement en mesure de réaliser des missions militaires. Le "200" "revêt l'uniforme" pour servir avant tout comme patrouilleur. En 1996, le TANKT a élaboré un Be-200 pour réaliser des missions dans la zone économique exclusive de 200 miles. A leur nombre, la recherche, dans un zone donnée, de navires et de bâtiments et leur classification ; la reconnaissance visuelle des instruments de pêche ; l'établissement de procès-verbaux pour infractions ; le débarquement, sur les navires en infraction, de contrôleurs et si nécessaire, la poursuite des contrevenants.

Le système de pilotage et de navigation permet de réaliser un vol automatique d'après un itinéraire donné, de définir le cap et la vitesse des bâtiments de surface. Pour améliorer la distance et la longueur du vol, le Be-200 patrouilleur a des réservoirs de combustible plus importants grâce à l'élimination des réservoirs d'eau, des dispositifs de prise et des déversoirs. L'équipage peur varier en fonction des missions à remplir - 9 personnes au maximum, dont deux pilotes. La fabrication du patrouilleur se résume, au fait, à l'installation, sur un avion de base, d'équipements spéciaux et à des modifications insignifiantes apportées à la conception de la coque et de l'aile de l'hydravion.

L'évolution de cet appareil a donné naissance au Be-200PS, un amphibie de sauvetage et de patrouille. Des systèmes électroniques perfectionnés d'équipements de patrouille et de recherche sont installés à son bord. L'équipage du Be-200PS se compose de deux pilotes, de deux observateurs, d'un navigateur et de deux sauveteurs.

L'hypothèse de la création d'un Be-200 anti-sous-marins n'est pas à écarter.

Les Bureaux d'études TANTK poursuivent le travail sur le "prédécesseur" du Be-200, l'amphibie A-40 Albatros, dont les performances excellentes ont été confirmées par plusieurs dizaines de records du monde. La Marine de guerre russe est intéressée à "faire revivre" ce programme mis en veilleuse au début des années 1990. A l'époque, deux exemplaires opérationnels de l'A-40 et sa version de sauvetage, l'A-42, prête à 40% sur un chantier de montage, existaient déjà. Le travail sur cet appareil reprendra prochainement. L'avion sera doté d'un moteur récent, sa masse au décollage augmentera, ses performances techniques et d'exploitation s'amélioreront notablement. Le Be-42 - tel sera son nouveau nom - sera le plus grand avion amphibie du monde, possédant un immense potentiel d'exportation. Un A-42P (de lutte anti-incendie) pourra faire un plein d'eau deux fois plus important par rapport au Be-200 (25 t d'eau au lieu de 12). Ses capacités d'évacuation doubleront également, sa portée du vol et son aptitude à la mer s'amélioreront aussi. Les clients étrangers recevront l'Albatros A-42PE.

On pourrait aussi évoquer le Be-103, dont la masse au décollage est de 2 270 km au maximum. L'appareil transporte 5 passagers sur un membre d'équipage à des distances allant jusqu'à 500 km, son autonomie sans charge utile est de 1 180 km. Plusieurs variantes du Be-103 sont conçues : avion pour transport de frets-passagers, de tourisme, avion ambulance, de contrôle anti-incendie, de sauvetage, de patrouille de frontière.

Le Be-103 a été conçu d'après un schéma hydrodynamique unique d'"hydroplanage en trois points". C'est un savoir-faire russe, élaboré et breveté par le TANTK. L'avion peut être exploité depuis des plans d'eau d'une profondeur de plus de 1,25 m avec des vagues de 0,5 m de hauteur maximum, ainsi que depuis des aérodromes traditionnels, y compris de terre naturelle. Si nécessaire, l'avion peut recevoir des patins. Le perfectionnement du Be-103 se poursuit. Des clients aux Pays-Bas, en Espagne, en Malaisie, en Turquie et d'autres pays ont déjà fait connaître leurs projets d'acquérir des "103".

Certes, le Be-200 est le mieux placé pour être reconnu sur le marché international. Outre l'Europe et l'Amérique, la Malaisie, l'Indonésie, Singapour, la Corée du Sud, l'Inde et l'Australie manifestent de l'intérêt envers cet appareil.

"Nous avons un besoin urgent en appareils en mesure de combattre efficacement les incendies qui prennent une ampleur inouïe", a indiqué, dans une interview à RIA Novosti le ministre indonésien de l'Environnement, Rahmat Witoelar. - "Notamment, ils doivent prendre à bord d'importantes quantités d'eau et nous savons que la Russie possède de tels appareils". Si, à Sumatra, la situation est revenue à la normale, les choses vont plutôt mal dans l'île géante de Kalimantan. Ces incendies sont saisonniers et s'expliquent par des activités agricoles de la population locale.

Djakarta a déjà demandé à la Russie une assistance dans la lutte contre les feux de forêt et s'apprête à louer "d'urgence" deux Il-76 anti-incendie. Les négociations sur les livraisons de Be-200 sont également en cours.

L'analyse des tendances de développement de l'hydro-aviation mondiale et nationale montre que la Russie reste à l'avant-garde de la conception et de la construction d'avions amphibies. Le Groupe aéronautique unifié (OAK), en voie d'institution en Russie, constitue un facteur important de la production et de la promotion d'avions russes sur le marché international.

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