Temps forts 2006: la Russie voit rose du G8 à l'OMC

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Par Dmitri Kossyrev, RIA Novosti

La clôture heureuse, au début de l'été à Saint-Pétersbourg, de la présidence russe au G8 et la signature, à la fin de l'automne à Hanoi, d'un accord commercial entre la Russie et les Etats-Unis qui a levé le dernier obstacle sérieux empêchant Moscou d'entrer à l'Organisation mondiale du commerce sont deux événements qui sont considérés dans la plupart des cas, premièrement, comme les principaux succès remportés par la Russie dans l'arène politique internationale et, deuxièmement, comme étroitement liés entre eux. Pourquoi?

Simplement parlant, on peut dire: "ils ont lâché l'affaire". Ou encore: "ils ont capitulé". Ou encore: "ils ont reconnu notre force". Autrement dit, l'opinion générale qui prévaut dans le pays est claire: ils ont tenté de faire marcher la Russie par la peur, en menaçant de faire échouer le sommet du G8 et de ne pas la laisser entrer à l'OMC, pour faire machine arrière au dernier moment en disant que "c'était une plaisanterie".

En réalité, comme cela arrive souvent dans n'importe quel pays quand il faut donner une interprétation à un événement politique extérieur, les choses ne sont pas tout à fait ce qu'elles semblent.

Commençons par la campagne tonitruante déclenchée par les médias d'Europe, des Etats-Unis et par l'opposition russe contre le sommet de Saint-Pétersbourg et en général contre la présence de la Russie au sein du G8. Les spéculations des journalistes sur la question de savoir si la Russie poutinienne qui ne répondait pas aux normes européennes avait sa place au G8 n'ont pas eu d'incidence sur les préparatifs de la rencontre. Autrement dit, Moscou savait bien en principe que ses partenaires du G8 avaient déjà pris toutes les principales décisions le concernant.

Deuxièmement, le sommet du G8 a pratiquement coïncidé avec un événement remarquable qui est pourtant passé presque inaperçu du grand public: la Russie a réglé ses dettes envers le Club de Paris. Un an avant, elle s'était débarrassée de ses dettes devant le Fonds monétaire international. La Russie ne doit plus d'argent à personne et a commencé elle-même à prêter à des pays en développement. C'était un grand événement, très opportun de surcroît.

Troisièmement, les principaux succès de la politique extérieure russe, tout comme l'année précédente, ont été réalisés sur l'axe oriental. La liste est longue, et ce serait une tâche ingrate que de les énumérer en les rattachant à des événements particulièrement saillants, comme la tenue d'un sommet ou l'adoption d'une déclaration. Les positions de la Russie à l'Est se sont renforcées en 2006.

L'événement clé de 2006, c'est "le G8 plus l'OMC pour la Russie". Il exercera une influence énorme sur la vie de chaque Russe. Mais il n'est pas tant le résultat de notre politique extérieure que celui d'une évaluation raisonnable par l'Occident des futurs changements de ses positions dans le monde. Des changements dans lesquels il serait tout simplement irrationnel de chercher à isoler la Russie, et d'autant plus de l'irriter.

L'Occident dans son ensemble (c'est-à-dire la majeure partie de l'Europe, les Etats-Unis et plusieurs autres pays liés à ces derniers par des unions ou des alliances, ou encore appartenant à la même civilisation ou professant la même idéologie) ne se rend peut-être pas bien compte que le monde ne change pas à son avantage. Mais les élites politiques occidentales voient bien que le monde change plus vite qu'on ne l'attendait. La transformation de la Chine et de l'Inde en plus grandes économies du monde n'est plus entrevue vers 2050 mais attendue déjà à l'horizon 2020. L'influence politique de l'Occident dans le monde a diminué à la suite de ses défaites essuyées au Proche-Orient, que les experts considèrent déjà comme une "région perdue" qui réserve encore bien des surprises désagréables. Les défis lancés à l'Occident par l'Amérique latine sont une autre partie du même tableau. Les menaces intérieures dont l'Europe est incapable de venir à bout (Kosovo, mécontentement bouillonnant de sa population musulmane et aussi des autochtones) renforcent le sentiment d'insécurité.

Sur cette toile de fond, la perte des illusions sur la Russie est une bagatelle. Dans les années 1990, on tenait pour axiome que le plus grand éclat de l'empire soviétique n'avait pas d'autre choix que de devenir une partie de l'Occident, en s'adaptant au fil des ans à son nouveau rôle et en empruntant ses normes et critères politiques, moraux et autres. Tout cela s'inscrivait bien dans l'illusoire tableau du "nouveau siècle" américain (ou euro-américain).

Les choses ont tourné autrement. La population de la Russie et, à sa suite, l'élite politique, ont vite commencé à manifester leur penchant naturel pour des standards différents, plutôt propres aux Chinois ou au Kazakhs, et, tout compte fait, pour leurs propres traditions. De surcroît, grâce à la hausse des cours des ressources énergétiques, la Russie s'est développée à un rythme annuel de plus de 6% pendant plusieurs années d'affilée, a remboursé toutes ses dettes et a commencé à récupérer son rôle d'aimant économique pour bien des pays voisins. Ils auraient bien pu se passer de la Russie mais avec elle, ils étaient plus en sûreté. Son intégration dans le système du commerce mondial, comme celle, antérieure, de la Chine, était raisonnable, et pas seulement du point de vue économique. L'afflux d'investissements étrangers directs en Russie (17 milliards de dollars cette année) en est une preuve de plus.

La prise de conscience que la Russie n'est pas un morceau qui s'est détaché à une époque révolue de l'Occident mais une entité singulière et autonome et qu'elle le sera probablement toujours aurait pu être un véritable choc pour la société européenne ou américaine, si elle n'avait pas compris que la Russie n'était pas le principal héros du drame. Car les Russes n'étaient plus seuls à porter sur les Américains, et surtout sur les Européens, un jugement hautain et ont cessé de les considérer comme des veinards et de les prendre pour exemple.

Pour la première fois depuis des siècles la civilisation occidentale admet, même si elle ne l'accepte pas, une situation où d'autres civilisations (plus anciennes et originelles, soit dit en passant) récupèrent leur primauté historique traditionnelle et cessent de se considérer comme inférieures et obligées d'apprendre toutes les choses auprès de leur soeur cadette occidentale. Bien des Européens et des Américains ne sont plus choqués en lisant la définition donnée par un politologue indien de l'Inde et de la Russie en les nommant les deux plus grandes démocraties du monde (la première pour la population et la seconde pour le territoire).

A propos, parmi les événements politiques mondiaux de ces deux dernières années, je tiens à évoquer aussi le "marché nucléaire" américano-indien, et cela non seulement parce qu'il reconnaît la possibilité de ce que l'Inde a fait pour accéder au statut nucléaire, mais aussi parce qu'il marque le début d'une politique américaine visant à créer des relations foncièrement nouvelles avec l'un des futurs leaders mondiaux.

Ce qui est arrivé à la Russie en rapport avec le sommet du G8 et le déblocage de son adhésion à l'OMC est un événement du même plan. On n'a pas encore trouvé de formule pour le désigner. Mais les formules, ça vient, comme d'habitude, plus tard.

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