La coopération Russie-OTAN remise en cause?

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Par Viktor Safonov, commentateur militaire, en exclusivité pour RIA Novosti
Par Viktor Safonov, commentateur militaire, en exclusivité pour RIA Novosti

Le secrétaire général de l'Alliance de l'Atlantique Nord, Jaap de Hoop Scheffer, vient d'achever sa visite à Moscou, consacrée au dixième anniversaire de l'Acte fondateur Russie-OTAN, ainsi qu'au cinquième anniversaire de la Déclaration de Rome et du Conseil conjoint permanent (CCP) Russie-OTAN. Quoi qu'il en soit, ni la rencontre de M. Scheffer avec le président russe Vladimir Poutine, ni la réunion anniversaire du Conseil Russie-OTAN au niveau des ambassadeurs ni la conférence d'experts politiques et militaires à Saint-Pétersbourg n'ont "dégelé" les relations entre Moscou et Bruxelles qui s'étaient violemment détériorées depuis ces derniers temps.

Les raisons en sont multiples. Selon Moscou, c'est avant tout l'attitude non constructive de la direction de l'OTAN sur la question du Traité adapté sur les forces armées conventionnelles en Europe (FCE). C'est aussi l'aval total par Bruxelles des projets américains de déploiement en Europe de l'Est, et plus précisément en Pologne et en République tchèque, d'éléments de la troisième zone de positionnement du système stratégique de défense antimissile (DAM/ABM) des Etats-Unis. Il s'agit, en l'occurrence, de dix missiles antimissiles GBI (Ground-Based Iterceptor) aux abords de Varsovie et d'un radar hautement performant aux environs de Prague qui peuvent, selon l'Etat-major général des Forces armées de Russie et la direction du pays, perturber l'actuel équilibre nucléaire et balistique entre la Russie et les Etats-Unis, tout en déstabilisant la situation en Europe, provoquant une nouvelle course aux armements et portant une grave atteinte à la sécurité nationale de la Russie.

Néanmoins, le secrétaire général de l'OTAN, Jaap de Hoop Scheffer, n'a partagé aucune de ces craintes. Qui plus est, M. Scheffer a même remis en doute l'affirmation sur une prétendue hostilité dans les relations de l'Alliance avec la Russie. "Je ne pense pas que nous soyons des ennemis, a-t-il dit. Il y a évidemment des divergences d'opinion entre nous, mais l'attitude envers l'OTAN en Russie est très différente, tout comme l'attitude à l'égard de la Russie dans les pays de l'OTAN change beaucoup". "Je ne pense pas que nos relations se dégradent, a souligné le secrétaire général de l'OTAN. Nous étions ennemis autrefois". Le partenariat entre la Russie et l'OTAN doit se développer dans l'intérêt de la paix et de la stabilité, a insisté M. Scheffer. "On ne doit pas se soustraire aux tâches complexes, mais on doit les résoudre sans essayer d'éviter les questions épineuses. Le principal est de coopérer, a-t-il souligné. L'OTAN a besoin de la Russie, et la Fédération de Russie a besoin de l'Alliance, nous devons discuter, sinon nous ne serons plus des partenaires".

Selon le secrétaire général de l'OTAN, les déclarations de Vladimir Poutine sur de nouveaux missiles russes pouvant être pointés vers l'Europe et ses métropoles en cas de déploiement sur le territoire de la Pologne et de la République tchèque d'éléments du bouclier antimissile américain mettant en danger la sécurité de la Russie ne s'inscrivent pas dans le format des relations de partenariat entre Moscou et Bruxelles. Quant au Traité sur les forces armées conventionnelles en Europe, Jaap de Hoop Scheffer l'a qualifié de "pomme de discorde", tout en espérant cependant la poursuite de la coopération sur cette question. L'OTAN estime, a fait remarquer le secrétaire général de l'Alliance que la Russie "n'a pas rempli tous ses engagements pris à Istanbul concernant le retrait de ses troupes de la Géorgie et de la Transnistrie".

(La Transnistrie est une république autoproclamée sur le territoire de la Moldavie - ndlr.)

On estime cependant en Russie que ces engagements sont pratiquement accomplis, et le ministre russe de la Défense, Anatoli Serdioukov, l'a notamment déclaré lors de sa récente rencontre avec la direction de l'OTAN au QG de l'Alliance à Bruxelles. Et le refus des pays otaniens d'entamer enfin la ratification du FCE adapté, de partager la préoccupation de Moscou face au fait que les Etats baltes n'en font toujours pas partie et représentent, par conséquent, une certaine "zone grise" où n'importe quel potentiel de première frappe pourrait être déployé, échappant à tout contrôle et vérification, ainsi qu'une triple ou même quadruple supériorité quantitative des armements lourds des pays de l'OTAN par rapport à la Russie, tout cela crée une suprématie militaire déterminante de l'Alliance face aux Forces armées de Russie et remet évidemment en cause la sécurité de cette dernière. Les déclarations apaisantes de Jaap de Hoop Scheffer: "Nous ne sommes pas des ennemis", tout comme des propos similaires émanant de la Maison-Blanche américaine contrastent avec les faits et gestes concrets des Etats-Unis et de l'Alliance elle-même. Comme l'a souligné Anatoli Serdioukov lors d'une réunion des ministres de la Défense des pays membres de l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS), le déploiement en Europe d'éléments du bouclier antimissile américain remet en cause le mécanisme de coopération entre la Russie et les structures appropriées de l'Union européenne (UE) et de l'OTAN.

Si, effectivement, la Russie n'est pas ennemi de l'OTAN ni des Etats-Unis, pourquoi le Pentagone garde-t-il sur ses huit bases en Europe (Belgique, Allemagne, Pays-Bas, Italie, Grande-Bretagne, Turquie) 440 bombes d'aviation nucléaires B61-3/4 de chute libre qui peuvent être larguées sur des cibles choisies par des avions de combat Tornado? Y compris par les chasseurs qui sont actuellement déployés sur un aérodrome près de la ville de Siauliai en Lituanie. A qui ces bombes sont-elles destinées? Bruxelles ne donne pas de réponse plausible à cette question. Il est impossible d'expliquer la présence d'armes nucléaires tactiques sur le vieux continent par la "lutte contre le terrorisme". Tout comme il est impossible d'argumenter l'aménagement d'une base de missiles antimissiles en Pologne et d'un radar sur le territoire de la République tchèque par la nécessité de se protéger contre les missiles balistiques intercontinentaux des "pays-voyous" parmi lesquels Washington a, entre autres, classé l'Iran. Les suppositions selon lesquelles Téhéran pourrait se mettre un jour à tirer sur les Etats-Unis ses missiles qui n'existent pas, même en théorie, justement via la Pologne, ne manquent pas de provoquer des sourires sarcastiques chez les experts militaires sérieux pour qui ce sont des hypothèses invraisemblables. On dirait qu'il n'y ait pas d'autres axes pour une attaque balistique ou de moyens moins onéreux, mais plus efficaces de porter atteinte aux Etats-Unis. Comme celui, par exemple, que la nébuleuse Al-Qaïda a choisi en septembre 2001. A l'époque, les terroristes se sont passé de missiles intercontinentaux...

Toujours est-il que les arguments invoqués d'un côté et de l'autre restent en l'air. Tant l'OTAN que les Etats-Unis persistent à imposer, envers et contre tout, leur prise de position à l'opinion internationale et ce, qu'il s'agisse du Traité sur les forces armées conventionnelles en Europe ou de la zone de positionnement de l'ABM stratégique en Europe. Ils le font d'ailleurs avec pratiquement la même insistance dont ils faisaient preuve, en inspirant à l'opinion mondiale l'idée de la présence d'armes de destruction massive (ADM) chez Saddam Hussein et de son aide aux terroristes internationaux. On n'a toujours prouvé ni l'un ni l'autre. Bien qu'on ait déjà exécuté le dictateur irakien, le Pentagone n'a toujours pas réussi à découvrir d'armes de destruction massive en Irak ni trouvé de preuve de l'assistance de Saddam aux terroristes internationaux et ce, en dépit des années d'occupation de l'Irak. Pire, le terrorisme en Irak a certes atteint un point culminant justement après l'entrée des troupes américaines qui ont d'ores et déjà perdu elles-mêmes dans la lutte contre les activistes islamistes dans ce pays près de 2.500 soldats et officiers.

Toutes ces contradictions se répercutent-elles sur les relations entre la Russie et l'Alliance de l'Atlantique Nord, entre la Russie et les Etats-Unis? Sans aucun doute. Une tentative de résorber ces contradictions et de faire revenir les relations entre les parties dans l'authentique cadre du partenariat sera sans doute entreprise au cours de la future visite de Vladimir Poutine dans la résidence familiale du président des Etats-Unis, George W. Bush, à Kennenbunkport dans le Maine, prévue pour les 1-2 juillet prochains, lors des négociations entre les deux présidents.

Sur fond de ce futur événement, le récent voyage à Moscou du secrétaire général de l'Alliance de l'Atlantique Nord, Jaap de Hoop Scheffer, ne peut être considéré que comme une simple visite de courtoisie. En tout état de cause, cette visite n'a réglé aucun problème car elle ne pouvait tout simplement pas le faire.

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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