CIA: un souvenir du présent

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Par Vladimir Simonov, RIA Novosti
Par Vladimir Simonov, RIA Novosti

Il s'avère que la tête de Fidel Castro ne valait que 150.000 dollars en 1960. Cette somme avait notamment été proposée par la Central Intelligence Agency (CIA) pour l'élimination du président cubain à des gens sachant tuer sans rater leur coup, et plus précisément à la mafia de Chicago.

Sur instruction de la CIA, Johnny Roselli, bandit local, avait pris contact avec deux tueurs à gages - "Sam Gold" et "Joe" - qui auraient pu, selon lui, s'acquitter facilement de cette mission plutôt délicate. En réalité, ces sobriquets appartenaient à des individus tristement célèbres qui figuraient sur la liste des dix criminels les plus dangereux des Etats-Unis. Il s'agissait notamment de Sam Giancana, successeur d'Al Capone, parrain de la mafia de Chicago, et de son acolyte - Santos Trafficante.

Pendant plusieurs mois, les assassins ont essayé par l'intermédiaire de leurs contacts cubains d'ajouter discrètement dans les repas ou les boissons de Castro des cachets empoisonnés dont la CIA les avait nantis. Quoi qu'il en soit, pour des raisons différentes, tous ces efforts ont été stériles. Le marathon d'attentats contre le leader cubain s'est terminé après l'échec de l'opération de la CIA dans la Baie des Cochons.

On trouve cette lugubre histoire relatant comment, contrairement à toutes les normes et à tous les statuts, un service secret américain avait commandité la mafia pour tuer un dirigeant étranger, dans un dossier de 693 pages à usage interne de la CIA, déclassifié dans le courant de cette semaine.

Il va sans dire que ces faits étaient connus auparavant de certains législateurs américains. Ainsi, au milieu des années 1970, le dossier rendu public à présent avait été examiné par trois structures chargées d'enquêter sur les abus des services de renseignement américains - la Commission Rockefeller, créée par le président Ford, le Comité du sénateur Frank Church et le comité de la Chambre des représentants du Congrès des Etats-Unis. A l'époque, les résultats des trois enquêtes avaient provoqué un énorme scandale.

Il arrive cependant que les échos s'avèrent souvent beaucoup plus retentissants que l'explosion elle-même. Et voilà que pour la première fois nous avons aujourd'hui la possibilité de jeter un coup d'oeil sur des documents authentiques, bien que largement censurés, provenant des coffres-forts de Langley. Et force est de reconnaître que leur lecture frappe par le mépris de la loi, par la violation des droits civils et par le cynisme absolu.

On dit que c'est justement pour cette raison que les professionnels des services de renseignement américains ont ironiquement baptisé ce document les "Bijoux de famille" de la CIA.

Leur richesse surprend également par leur variété. La liste des opérations secrètes des services de renseignement américains ne se limite évidemment pas aux tentatives pour attenter aux jours de Fidel Castro, aux assassinats de Lumumba, de Trujillo et à d'autres projets de meurtres de dirigeants étrangers. Nous apprenons, par exemple, que la CIA avait financé des recherches destinées à tester les "réactions à certaines drogues" sur des citoyens américains qui n'en savaient absolument rien. Nous apprenons aussi l'existence de filatures et de mises sur écoute de particuliers, ainsi que la surveillance et les perquisitions secrètes dans les maisons de défenseurs des droits de l'homme, de militants anti-guerre du Vietnam et de journalistes américains bien connus. Nous apprenons également l'ouverture en masse du courrier en provenance et en direction de l'Union soviétique et de la Chine.

Nous y lisons comment des extrémistes américains étaient enrôlés par des agents de la CIA et envoyés sous contrat à l'étranger pour s'y livrer à une activité que l'on ne saurait qualifier autrement que de précurseur du terrorisme international. Ben Laden n'a-t-il pas été lui-même à ses débuts agent de la CIA?

L'ampleur de ce type d'opérations, décrites dans les pages déclassifiées de la CIA, inspire même une sorte de respect pour les gens de Langley. En effet, ils se dépensent sans ménager leurs efforts. Quelques chiffres: il se trouve que, de 1940 à 1973, aux Etats-Unis, le FBI et la CIA avaient 12 programmes opérationnels d'ouverture en masse de courriers personnels. Ce programme de la CIA avait débouché sur l'ouverture de quelque 240.000 correspondances privées et la création d'une banque de données concernant un million et demi de destinataires.

Le projet d'enrôlement d'extrémistes, figurant dans les dossiers de la CIA sous le sigle CHAOS, possédait, lui aussi, des réseaux très profonds et ramifiés. Les ordinateurs de CHAOS avaient accumulé des renseignements sur quelque 300.000 individus, dont 7.200 Américains, ainsi que sur une centaine de groupes locaux de défenseurs des droits de l'homme et de militants anti-guerre.

Mais pourquoi ce vieux dossier compromettant a-t-il été publié justement aujourd'hui et manifestement avec l'aval de la direction de la CIA? Cet acte est apparemment une sorte de repentir public. Il s'agit de déclarer haut et fort tant aux Américains qu'à l'ensemble de la communauté internationale à peu près ce qui suit:

"Nous avons effectivement commis un péché. Et nous nous le confessons devant tout le monde. C'est le gage du non-retour au passé. Pardonne-nous, Seigneur, et que tous les autres nous pardonnent...".

Mais en fait la CIA ne fait que lancer un nouveau programme d'intox. Les services de renseignement américains essaient ainsi de détourner l'attention de l'opinion de la multitude de ses péchés actuels.

Il s'agit, en l'occurrence, du camp de Guantanamo où les détenus sont soumis à des techniques violentes et agressives d'interrogatoire, y compris la "position de l'embryon", l'impact des hautes températures et le "sous-marin" (le prisonnier est maintenu sous l'eau et croit qu'on va le noyer). (34 tentatives de suicide ont été enregistrées à Guantanamo).

N'oublions pas non plus le réseau de prisons secrètes, créées par la CIA sur le territoire de l'Afghanistan, de la Thaïlande, de la Pologne et de la Roumanie où les gens sont détenus en toute illégalité.

La CIA veut aussi détourner l'attention de l'opinion de l'essai, écrit le 25 juin dernier par Fidel Castro, qui est toujours en vie et qui accuse de nouveau George Bush d'avoir "ordonné" son assassinat.

C'est également une tentative pour détourner l'attention de nombre d'autres actes d'arbitraire, de violence et de violation flagrante des droits de l'homme qui émergeront, eux aussi, tôt ou tard sur les pages censurées des dossiers déclassifiés de la CIA.

Dans ce sens, la confession publique d'aujourd'hui de la CIA n'est sans doute pas qu'un simple souvenir du présent.

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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