Le chauvinisme infiltre la politique russe

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Selon le sondage sur le nationalisme et la xénophobie, 41% des Russes sont plutôt favorables à l'idée de "la Russie aux Russes" dans "la limite du raisonnable" et 42% sont d'accord avec l'idée selon laquelle "les minorités ethniques ont trop de pouvoir".
Les résultats de deux récents sondages d'opinion sur les agressions à caractère ethnique et la xénophobie réalisés par le Centre Levada ont démontré que les Russes ne font presque pas de différence entre nationalisme et chauvinisme, deux phénomènes qui semblent ne pas se manifester dans leur vie de tous les jours. En revanche, ce sont les partis qui pourraient attiser la xénophobie et le chauvinisme pour attirer des électeurs à l'approche des législatives.

Selon le sondage sur le nationalisme et la xénophobie, 41% des Russes sont plutôt favorables à l'idée de "la Russie aux Russes" dans "la limite du raisonnable" et 42% sont d'accord avec l'idée selon laquelle "les minorités ethniques ont trop de pouvoir".

Un autre sondage portant sur les agressions à caractère ethnique est beaucoup plus intéressant. Plus de la moitié des personnes interrogées (53%) affirment ne pas éprouver d'hostilité à l'égard des étrangers et avoir rarement été victimes d'une agression raciste. Qui plus est, 64% des sondés ont assuré qu'ils seraient prêts à défendre un ressortissant étranger victime sous leurs yeux des moqueries ou insultes d'adolescents russes, et la plupart des personnes qui n'ont pas l'intention de s'ingérer dans ce genre de conflits (45%) expliquent leur réaction par la peur d'être agressés eux-mêmes.

Le directeur du centre d'analyse "Sova" Alexandre Verkhovski assure que les sondages ne reflètent pas la réalité. "Il y a peu de gens capables d'avouer qu'ils n'aiment pas les étrangers", a-t-il déclaré dans une interview au journal Gazeta.

Mais si on précise la nationalité, les gens se montrent beaucoup plus hostiles. En 2005, 50% des personnes interrogées par le Centre Levada ont réclamé la limitation du nombre de Caucasiens en Russie sans faire de différence entre les ressortissants de pays membres de la Communauté des États Indépendants et les habitants des régions russes. D'ailleurs, les Caucasiens n'étaient pas en tête de la liste des personae non gratae. 46% des Russes se déclaraient excédés par les Chinois, 42% par les Vietnamiens, 31% par les Tadjiks, 30% par les Tziganes, 18% par les Juifs et 8% par les Ukrainiens.

Les sondages montrent régulièrement que près de la moitié des Russes sont favorables à l'idée de la "Russie aux Russes". "Ce n'est pas tant le nombre qui est inquiétant, mais plutôt le fait que les préjugés sont en hausse et que les manifestations de haine ethnique, y compris criminelles, deviennent de plus en plus fréquentes", avance Alexandre Verkhovski.

Valeri Tichkov, directeur de l'Institut d'ethnologie et d'anthropologie et président de la commission de la Chambre civile pour la tolérance et la liberté de conscience, doute des résultats des sondages réalisé par le Centre Levada. Selon lui, seules les manifestations de haine révèlent la véritable attitude des Russes à l'égard des autres nations. "Le taux de mariages interethniques est l'un des plus élevés au monde dans notre pays. Le fait que les gens épousent des personnes d'une autre nationalité est plus significatif que les résultats des sondages du Centre Levada. Les réponses des sondés reflètent plutôt leur réaction à une émission télévisée ou à un article que leur position", estime M.Tichkov. La publication des résultats de tels sondages alimenterait même, selon lui, les phobies au sein de la société.

M.Verkhovski souscrit aux propos de M.Tichkov sur l'influence des médias sur la montée des sentiments d'hostilité. "Il y a quatre ans, ce sujet était considéré comme déplacé. Aujourd'hui, il est populaire auprès des journalistes et des hommes politiques. On repousse toujours plus loin la limite du correct", estime M.Verkhovski.

Dmitri Orechkine, chercheur de l'Institut de géographie de l'Académie des sciences russe, note que tous les partis joueront la carte ethnique pendant la campagne électorale. "C'est le Parti libéral-démocrate (LDPR, dirigé par Vladimir Jirinovski) qui en parlera, sans doute, le plus, mais le parti "Russie unie" parlera aussi d'un grand pays et d'un grand peuple. "Russie unie" s'engage dans cette voie, sans même s'en rendre compte", explique M.Orechkine.

Un autre analyste politique, Sergueï Markov, candidat de "Russie unie" à la Douma (chambre basse du parlement russe), considère que les forces politiques sérieuses feront rarement des déclarations nationalistes. "Elles mettront l'accent sur d'autres dossiers, avant tout sur le problème social", a-t-il dit dans une interview à Gazeta. "Le parti "Russie unie" préconise l'édification d'une grande puissance unie et cela n'a rien à voir avec l'attisement de la haine ethnique", selon lui.

Les communistes sont en fait les seuls à avoir une idéologie nette. Les autres partis russes n'ont aucun programme strict et dépendent des tendances qui dominent dans la société. La droite, qui a jadis aspiré à un "empire libéral", et le parti du pouvoir sont prêts à modifier leur programme pour faire grimper leur cote de popularité. L'hostilité à l'égard des étrangers restera donc un atout dans la manche des conseillers politiques. Les partis qui risquent d'échouer aux législatives peuvent utiliser le "vocabulaire de la haine" à tout moment de la campagne électorale.

Article paru dans le numéro 164 (5 septembre 2007) de Gazeta. Version résumée.

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