Détroit de Kertch: encore une fois, il aura fallu une catastrophe...

© RIA Novosti . Igor GoloubenkovConséquences d'une tempête dans le détroit de Kertch
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La perte de vies humaines et la catastrophe écologique qui ont eu lieu dans le bassin de la mer d'Azov et de la mer Noire sont venues nous rappeler que, quel que soit le pays auquel on appartient, la Russie ou l'Ukraine, la nature reste la même pour tous.

La perte de vies humaines et la catastrophe écologique qui ont eu lieu dans le bassin de la mer d'Azov et de la mer Noire sont venues nous rappeler que, quel que soit le pays auquel on appartient, la Russie ou l'Ukraine, la nature reste la même pour tous. Et pour la préserver et ne plus exposer de vies humaines au danger, il serait temps de s'entendre sur le statut juridique du détroit de Kertch. Et surtout, d'être plus exigeant concernant les normes de sécurité en matière de transports maritimes. Le président ukrainien Viktor Iouchtchenko en est conscient.

Pourtant, le règlement de cette question risque de nouveau de buter sur le problème de Touzla. Au départ, il s'agissait d'une langue de sable à la pointe de la presqu'île de Taman. Puis dans les années 1920, elle devint une île, qui en 1954 fut rattachée à la RSS d'Ukraine en même temps que la Crimée.

Depuis, l'Union soviétique s'est effondrée. L'Ukraine souhaitait que sa frontière d'Etat suive le tracé de la frontière administrative dans le détroit de Kertch. Cependant la Russie a proposé de s'en tenir aux normes internationales qui prévoyaient que la frontière suive le chenal navigable. Mais celle-ci aurait alors été décalée vers l'Ouest, et Touzla se serait retrouvée sur le territoire de la Russie. Plus de quinze ans après, la question n'est toujours pas réglée.

Il est vrai, une tentative a été faite pour la résoudre. Malheureusement, celle-ci s'apparentait davantage à une provocation. En septembre 2003, un vaste chantier a démarré: il s'agissait de construire une digue reliant la rive russe à l'île. Si les travaux avaient été terminés, Touzla aurait de nouveau été rattachée à la presqu'île de Taman. Mais il y avait, à l'époque, un poste de frontière ukrainien sur l'île et Kiev a alors crié à la violation de sa souveraineté nationale. Les autorités russes, comme elles le font en pareille situation, ont déclaré que la construction de la digue était une initiative des autorités locales. L'Ukraine a alors dépêché sur Touzla plusieurs centaines de gardes-frontières, quelques navires de guerre et des avions. En réponse, la cadence sur le chantier s'est accélérée. Le ministère des Affaires étrangères de Russie n'a pu résoudre le problème. Ce sont les deux premiers ministres - Mikhaïl Kassianov et Victor Ianoukovitch - qui sont parvenus à un accord: la Russie s'est engagée à ne pas poursuivre les travaux, et l'Ukraine, à retirer ses gardes-frontières de Touzla. Les deux parties, comme d'habitude, n'ont pas respecté leurs engagements. Les gardes-frontières ukrainiens sont restés sur place et la digue a continué d'être consolidée. Et ce n'est qu'en décembre 2003 que les présidents Poutine et Koutchma ont signé le Traité de coopération en matière d'exploitation de la mer d'Azov et du détroit de Kertch. Ce document a été ratifié par la suite, mais sans que la frontière soit définitivement établie.

Les événements qui se sont succédés ensuite ont empêché de revenir sur la question. Il y eut des élections, de nouvelles élections, la révolution orange, le show du Nouvel An autour du gaz, etc. Puis l'Ukraine a connu des crises, de nouvelles élections et des changements de premier ministre... Aujourd'hui, le gouvernement ukrainien est présidé par Viktor Ianoukovitch. Celui-ci se dit solidaire de Victor Iouchtchenko dans la recherche d'une solution à la question du détroit de Kertch.

Mais ces déclarations ont uniquement suivi la catastrophe. Avant, tout le monde avait cessé de parler de Touzla ainsi que du détroit de Kertch. Il est vrai qu'il ne passe aucun gazoduc à proximité...

Et soudain, la tempête, phénomène qui n'est pourtant pas plus rare en automne que la neige en hiver. Les navires se sont brisés comme des allumettes. Le malheur a obligé les deux pays à se montrer solidaires: enterrer les marins, rechercher les survivants et nettoyer, nettoyer et encore nettoyer la mer et le rivage. Et sur ce point, le président ukrainien a raison de dire qu'il est temps de s'entendre sur le fond et non sur des détails, et ce, sans qu'il y ait besoin qu'une nouvelle catastrophe se produise pour engendrer des manifestations d'amitié entre les peuples.

Tout semblait donc s'orienter vers la recherche d'une solution définitive, lorsque soudain la partie russe a laissé entendre un bien étrange raisonnement. Pas au niveau de son président, ni de son premier ministre, mais à un niveau qui mérite tout de même qu'on y prête attention.

Oleg Mitvol, le numéro deux de Rosprirodnadzor (Service fédéral de la protection de la nature) a déclaré qu'il serait impossible de nettoyer complètement la mer si la construction de la fameuse digue n'était pas achevée. Dans le même temps, il a appelé l'Ukraine à ne pas se perdre en considérations politiques, car, a-t-il dit, "la question de l'indépendance (mot cité en ukrainien) n'a pas sa place en cas de crise écologique". Déclaration étonnamment moderne et surtout totalement apolitique... Inutile de préciser que l'emploi "à l'ukrainienne" du terme a une connotation fortement provocatrice et méprisante. Ce genre d'attitude à l'égard de la souveraineté des républiques de l'ex-URSS est malheureusement assez habituel chez une partie des hauts fonctionnaires russes.

La déclaration de M.Mitvol est loin d'être passée inaperçue. Rappelons toutefois qu'il y a quatre ans, les hommes politiques se faisaient leur publicité sur des questions de terrains et d'eau, alors qu'aujourd'hui il s'agit d'une catastrophe qui a coûté la vie à plusieurs marins et dont les conséquences écologiques ne sont pas encore bien claires...

Il faudra bien à un moment donné s'asseoir autour de la table afin de débattre du statut politique du détroit, du régime de navigation, du contrôle technique des navires et de bien d'autres questions.

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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