Ressources minérales russes: un héritage gaspillé

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Par Maxime Krans, RIA Novosti
Par Maxime Krans, RIA Novosti

La Russie a maintes fois promis d'approvisionner pleinement l'Europe dans l'avenir, et pas seulement elle, en pétrole et en gaz. Le premier vice-premier ministre Sergueï Ivanov l'a récemment confirmé lors de la Conférence de Munich sur la sécurité. Mais jusqu'à quel point les ressources énergétiques présentes sur le territoire de la Russie garantissent-elles ces engagements?

Le sénateur Guennadi Oleïnik, qui a travaillé dans plusieurs compagnies pétrolières, n'est pas aussi optimiste. En exposant, au cours d'une conférence de presse à RIA Novosti, les problèmes actuels rencontrés dans les régions du Nord de la Russie, il a rappelé que le Nord était la région du pays la plus riche en ressources naturelles et que son propriétaire devait s'arranger pour que cette source ne tarisse pas. Il faut accroître les réserves de matières premières et ce, au moins pour combler l'extraction, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.

Au début des années 90, lorsqu'une réforme avait été engagée dans le secteur énergétique, l'Etat chargea des corporations privées de la prospection du sous-sol. Cependant, elles n'en avaient nullement besoin, à de rares exceptions près: la majorité des compagnies d'extraction avaient suffisamment de matières premières pour les 10 à 15 ans à venir et, par ailleurs, n'avaient aucun stimulant ni facilités fiscales qui puissent les encourager à s'occuper de la prospection géologique. C'est pourquoi elles ont effectué leurs travaux de recherche, pour l'essentiel, dans les limites des territoires fixés par leurs licences et ne se sont occupées d'aucun projet hasardeux. En fin de compte, en quinze ans la Russie n'a pas assuré le renouvellement de ses matières premières minérales et n'a fait que gaspiller l'héritage légué par les générations antérieures.

Cependant, il ne reste plus beaucoup de pétrole pour lequel l'extraction reste relativement peu onéreuse. En ce qui concerne les réserves de gaz, la situation n'est pas meilleure. La Russie exploite aujourd'hui plus de 70% des gisements de pétrole et 60% des gisements de gaz prospectés à l'époque soviétique. Toute la "crème" a pratiquement été mangée, le reste sera épuisé au cours des prochaines années.

Dans ce contexte, les informations relatives à une réduction de l'extraction du pétrole en Russie ne peuvent que susciter de l'inquiétude. Nous faisons allègrement des avances aux Européens, aux Chinois et à d'autres partenaires étrangers, mais serons-nous capables de les justifier? A propos, une diminution de l'extraction est observée non seulement en Russie, mais aussi chez les grandes compagnies occidentales, pour la même raison d'ailleurs. Comme l'a écrit ces jours-ci dans le quotidien britannique The Guardian Jeremy Leggett, célèbre expert en énergie, cinq grandes corporations pétrogazières du monde ont préféré ces dix dernières années dépenser leur argent non pas pour la prospection géologique, mais pour le rachat de leurs actions et le versement de dividendes, bien que leurs géologues aient bénéficié, selon certaines évaluations, de sommes cinq fois plus importantes que leurs collègues russes.

Cependant, les besoins mondiaux en matières énergétiques augmentent à des cadences extraordinaires. Selon les analystes de l'Agence internationale de l'énergie (AIE), d'ici à 2030, ces besoins s'accroîtront de 60%, alors que l'extraction restera à un niveau de 85 millions de barils par jour. Les pétroliers doutent de la possibilité d'atteindre le niveau désiré, soit 100 millions de barils. Bien plus, ils pronostiquent que les indices des pays de l'OPEP se réduiront l'année prochaine de 2 millions de barils par jour.

Comme on le sait, le sous-sol russe recèle un tiers des réserves mondiales de gaz, un dixième des réserves de pétrole et un cinquième des réserves de charbon. Mais ce sont, pour l'essentiel, des prévisions qui doivent encore être prouvées, après quoi l'extraction ne pourra commencer que dix ans plus tard.

Il en est de même pour les fabuleuses richesses du plateau continental arctique, dont on parle beaucoup en ce moment et sur lesquelles comptent nos pétroliers russes. Il s'agit également, selon des estimations approximatives, de 100 milliards de tonnes d'équivalent pétrole (TEP). Cependant, sur 15 gisements qui y ont été découverts, seulement deux - Chtokman et Prirazlomnoïé - sont plus ou moins prêts à être exploités. Quant aux réserves hypothétiques d'hydrocarbures dans la zone à laquelle prétend la Russie, elles doivent également être précisées. Qui plus est, les équipements capables de travailler dans les conditions rigoureuses du pôle Nord n'existent pas encore.

L'académicien Evgueni Kozlovski, ancien ministre soviétique de la Géologie, fait à ce titre un pronostic pessimiste: "La réduction catastrophique des travaux de prospection géologique détruira l'économie russe". Il cite les chiffres suivants: si, à l'époque soviétique, 20.000 gisements de minéraux utiles avaient été ouverts, parmi lesquels 2.000 déterminaient la croissance de l'économie du pays, ces 17 dernières années, pratiquement aucun gisement conséquent n'a été mis en exploitation.

Il est impossible d'affirmer que les autorités économiques n'en ont pas conscience ou qu'elles n'y voient aucun danger. Il y a quelques années, un tournant s'était esquissé, semblait-il, et l'Etat avait commencé à investir d'importantes sommes dans la prospection géologique. Mais, en 2007 et 2008, les taux d'accroissement du financement se sont de nouveau considérablement réduits et ne couvrent actuellement que le taux d'inflation. L'année dernière, le budget avait prévu à cette fin 19,8 milliards de roubles (près de 547 millions d'euros), et encore 130 milliards de roubles (près de 3,6 milliards d'euros) ont été investis par des compagnies privées. Guennadi Oleïnik a fait savoir au cours de la même conférence de presse que le ministère des Ressources naturelles était en train de préparer d'urgence une proposition visant à doubler les investissements en la matière. Mais même cela ne suffira pas, car il faut combler les lacunes en rétablissant, en fait, un service complètement détruit, ou presque.

La prospection de minéraux utiles dans des régions russes difficilement accessibles mérite un débat à part. Pour les entreprises d'extraction, assurer seules la prospection reviendrait très cher et, de plus, elles appréhendent que les prévisions ne se confirment pas. C'est pourquoi la décision de créer une compagnie nationale de prospection géologique pour le travail sur le plateau continental russe a été prise en janvier au cours d'une réunion des membres du gouvernement et des pétroliers qui s'est tenue en présence du président. Le budget fédéral financera également le forage de puits en Sibérie orientale, car la construction du pipeline allant jusqu'au Pacifique bat son plein, mais il ne pourra être rempli, au mieux, qu'au tiers...

Ce n'est un secret pour personne que les indices économiques élevés enregistrés ces dernières années par la Russie, ses immenses réserves de change et la création du fonds de stabilisation ont été possibles grâce à l'exportation fructueuse d'hydrocarbures à des prix exorbitants assurant ainsi la moitié des versements au budget. Ce sont, pour l'essentiel, ces réalisations qui constituent également la base des programmes à long terme de développement de l'économie et du domaine social prévus pour la période allant jusqu'à 2020, voire même jusqu'à 2030. Sans cet atout pétrogazier, toutes ces réalisations et tous nos plans ambitieux seront en danger, sans parler des avances que nous faisons sans même hésiter à nos partenaires étrangers.

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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