L'UE en route pour la Sibérie

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Par Dmitri Danilov, pour RIA Novosti
Par Dmitri Danilov, pour RIA Novosti

Le prochain sommet Russie-UE de Khanty-Mansiïsk sera probablement qualifié d'historique: les leaders européens et le président russe y donneront le feu vert aux négociations sur un nouvel Accord de partenariat et de coopération, négociations qu'ils prévoient d'engager un mois plus tard.

La Russie y était prête depuis un an et demi. Les difficultés avaient surgi au sein de l'Union européenne, qui n'arrivait pas à faire adopter le mandat pour les pourparlers avec Moscou. D'abord, c'est la Pologne qui avait occupé une position très rigide à la suite de l'interdiction par la Russie des importations de viande polonaise, non conforme aux normes sanitaires russes. Ensuite, lorsque ce problème fut enfin réglé, la Lituanie posa à son tour plusieurs conditions au lancement des négociations, à la surprise générale. Moscou est resté judicieusement dans l'expectative, considérant les obstacles apparus comme une affaire intérieure de l'UE. A présent, alors que la Commission européenne a reçu le fameux mandat pour les négociations après avoir levé les objections de Vilnius, la Russie et l'UE sont prêtes à ouvrir une nouvelle page dans l'histoire de leur partenariat.

Cependant, cela ne lève en aucun cas les désaccords au sein de l'UE sur les questions des rapports avec la Russie, ni les différences de points de vue de Moscou et de Bruxelles sur le caractère et le contenu du nouvel accord de partenariat stratégique. Les négociations promettent d'être complexes et leurs perspectives restent incertaines.

L'UE souhaiterait élaborer un document assez détaillé contenant non seulement les principes généraux et les orientations de la coopération, mais aussi une sorte de programme de développement de cette coopération dans différents domaines. Moscou juge nécessaire d'arriver à ce que le nouveau traité ne soit pas une réédition de l'Accord de partenariat et de coopération revu, dont le délai a été prorogé pour cette année. La Russie estime qu'il est important de faire entrer ses rapports avec l'Union européenne, qui est son partenaire prioritaire, dans une nouvelle dimension. Mais Moscou estime qu'il serait très difficile de tomber d'accord sur un projet trop détaillé dans des délais raisonnables. Le fait essentiel est que cet accord ne peut pas être prévu pour une période trop longue, compte tenu des transformations structurelles en cours aussi bien dans l'UE qu'en Russie. Moscou se prononce pour la signature d'un accord compact qui, d'une part, tiendrait compte des nouvelles réalités et qui soit orienté vers un partenariat approfondi et, de l'autre, permettrait aux parties de se montrer relativement souples quant à son application.

Bref, Moscou et Bruxelles se mettront à la table des négociations sans avoir une vision commune du nouvel accord. On ne sait pas encore comment régler ce dilemme apparu bien avant les pourparlers. Le fait est que la Commission européenne n'a pas le droit de modifier le mandat qu'elle a reçu des pays membres. Quant à la Russie, qui met l'accent sur la coopération sur un pied d'égalité, il est peu probable qu'elle soit prête à renoncer à son plan de négociations et à prendre pour base le projet européen.

Un compromis pourrait probablement être trouvé en complétant l'accord compact (selon le scénario russe) par des suppléments sur le développement de la coopération dans des domaines concrets (compte tenu du mandat de la Commission européenne). Mais un tel compromis revêtirait, pour beaucoup, un caractère technique, car ni l'UE, ni la Russie n'ont déterminé jusqu'à présent les objectifs souhaitables de leur coopération à long terme. Par conséquent, il sera difficile de trouver un équilibre entre l'aspiration à une nouvelle dimension des rapports et une coopération souple pragmatique.

Il y a un risque que les parties préfèrent, en fin de compte, camoufler les incertitudes et les divergences qui restent en travaillant moins sur le contenu de l'accord que sur ses formules. Exemple éloquent de document de ce genre, qui est en fait non un contrat mais une déclaration d'intentions: les feuilles de route signées il y a trois ans par la Russie et l'Union européenne portant sur la création des espaces communs: économie, sécurité intérieure et extérieure, science, ainsi qu'enseignement et culture.

Mais, d'autre part, les feuilles de route ont montré clairement que la coopération entre la Russie et l'UE a atteint une étape où les déclarations politiques sur le partenariat stratégique ne suffisent plus pour assurer la progression, il faut un nouveau fondement législatif et institutionnel. Et c'est conscientes de ce fait que les parties abordent les négociations sur le nouvel accord, c'est pourquoi il est peu probable que l'élaboration de ce document puisse s'achever rapidement.

D'autres circonstances influent également sur les délais des négociations à venir. Il s'agit, avant tout, du processus d'adhésion de la Russie à l'OMC. Pour Moscou, l'adhésion à l'Organisation mondiale du commerce fournira un système important de repères dans les rapports économiques avec l'Union européenne. Pour les deux partenaires, ce serait une base réglementaire commune, et les négociations sur le nouvel accord seraient menées selon la formule "OMC+". Autrement dit, l'UE et la Russie pourraient s'entendre sur les questions de savoir sur quels aspects et jusqu'à quel point elles acceptent de dépasser le cadre et les normes de l'OMC.

Le processus de Lisbonne est une autre circonstance importante. Le traité de Lisbonne change substantiellement l'image de l'UE, ce qui doit être pris en considération dans le nouvel accord. Autre point à ne pas oublier: après l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, les nouveaux mécanismes de fonctionnement de l'UE doivent subir une sorte de rodage. C'est pourquoi il est souhaitable de conclure le nouvel accord stratégique à un moment où il y aura le plus de clarté possible quant au fonctionnement pratique de la machine institutionnelle de l'UE. Actuellement, de nouveaux problèmes surgissent en raison du "non" irlandais au traité de Lisbonne. L'incertitude qui règne au sein de l'UE complique beaucoup l'élaboration des modalités de ses rapports avec la Russie, surtout à long terme. En outre, le désarroi de l'Union européenne et la nécessité de rechercher d'urgence des moyens de sortir de la situation de crise qui est apparue compliqueront inévitablement pour elle le début des négociations avec Moscou. Or, leur dynamique dépend, à bien des égards, justement de l'étape initiale, notamment de la présidence tournante de l'UE assumée par la France, qui est, de même que l'Allemagne, la locomotive de l'intégration européenne, et un partisan décidé de l'approfondissement de la coopération avec la Russie. Moscou le comprend, et ce n'est pas par hasard que le président Dmitri Medvedev a effectué sa première visite occidentale à Berlin, et que le premier ministre Vladimir Poutine s'est rendu quelques jours plus tôt à Paris.

Par conséquent, sans aller trop loin, on peut tout de même supposer que les négociations dureront au moins deux ans et qu'elles ne seront pas faciles. Si les rapports économiques se développent de façon assez dynamique, et si ce développement peut effectivement devenir la base du partenariat stratégique, en revanche, dans des sphères comme l'espace de sécurité intérieure et extérieure, l'envergure de la coopération pratique est certainement insuffisante. Pour que l'accord soit effectivement stratégique, il est important d'enregistrer des progrès dans tous les domaines, il faut équilibrer les partenariats économique et politique.

Enfin, il est temps de reconnaître que la Russie et l'UE sont non seulement partenaires stratégiques, mais aussi concurrents. Il est important de savoir de quel type sera cette concurrence. En élaborant cet accord de partenariat stratégique, il est possible d'assurer son développement transparent selon des règles établies, sur la base de la reconnaissance des intérêts mutuels. Une telle concurrence permettra d'éviter des conflits graves et de former un partenariat stratégique réel, et non pas un partenariat verbal entre deux voisins européens.

Dmitri Danilov est chef du département de la sécurité européenne de l'Institut de l'Europe de l'Académie russe des sciences.

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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