La politique tchèque ou l'îlot d'instabilité

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Par Andreï Fediachine, RIA Novosti
Par Andreï Fediachine, RIA Novosti

Les récentes élections sénatoriales en République tchèque ont fortement embrouillé presque toutes les affaires en cours dans la patrie du brave soldat Chvéïk. Les sociaux-démocrates ont gagné, mais pas tout à fait, les démocrates civiques qui tiennent le gouvernement et la présidence ont perdu, mais pas tout. Comme il arrive souvent après n'importe quelles élections, tout le monde - l'opposition et la coalition au pouvoir - tire la couverture à soi en menaçant de déchirer les restes de ce qu'on appelle communément en République tchèque la stabilité politique irrégulière.

En fait, les élections à la chambre haute du parlement tchèque ont été copiées sur la procédure analogue en vigueur au Congrès américain: en République tchèque, le sénat est également élu pour six ans, mais sa composition est renouvelée tous les deux ans d'un tiers. Il compte 81 sénateurs. Lors des récentes élections, 23 mandats sur 27 ont été remportés par les sociaux-démocrates, trois par le Parti démocratique civique (ODS), et un par les communistes.

A présent, bien des choses ne sont pas ou pas très claires. Et notamment: la République tchèque pourra-t-elle poursuivre les réformes économiques et sociales en cours dans le pays? Probablement non, car, de toute évidence, il va falloir changer de gouvernement. La République tchèque installera-t-elle de nouveaux radars américains du système de défense antimissile sur son territoire? C'est une question importante. Il se peut qu'elle ne le fasse pas, mais cela ne dépendra pas que de Prague. Enfin, n'est-il pas dangereux de confier à la République tchèque, dont le système politique est toujours précaire, un rôle si important dans l'Union européenne: à partir du 1er janvier, elle succédera à la France pour six mois à la présidence de l'UE. Ce dernier point commence à inquiéter de plus en plus les voisins occidentaux de l'Etat tchèque. En plus de la non-ratification par Prague du nouveau traité de Lisbonne sur la réforme de l'UE, c'est un pays dont le gouvernement peut tomber à n'importe quel moment et dont le président est un eurosceptique notoire qui va présider l'Union.

Du point de vue technique, l'ODS et ses partenaires dans la coalition (démocrates chrétiens et verts) gardent une majorité relative au sénat et à la Chambre des députés. Ils occupent 44 sièges au sénat, et les sociaux-démocrates en comptent maintenant 35. Deux sièges sont occupés par des sénateurs indépendants. A la Chambre des députés (200 membres), l'ODS dispose de 81 mandats, le CSSD de 74, les communistes de 26, les démocrates chrétiens de 13 et les verts de 6 mandats. Mais le problème consiste en ce que l'ODS ne peut créer une coalition harmonieuse ni avec les démocrates chrétiens, ni avec les verts: tantôt ils n'approuvent pas les réformes du parti au pouvoir, tantôt ils sont scindés, par exemple, au sujet de la défense antimissile américaine.

Un simple fait témoigne des divergences qui existent au parlement. Au début de cette année, lors de l'élection du président de la République tchèque (il est élu par le parlement), Vaclav Klaus (président honoraire de l'ODS) n'a pu être élu à l'issue de trois tours de vote, il a donc fallu organiser de nouvelles élections.

D'ailleurs, le sénat est loin de décider de tout au parlement tchèque. Bien qu'il doive approuver tous les traités et accords internationaux, ses décisions peuvent être bloquées par la chambre basse. Mais les récentes élections témoignent de l'approfondissement des problèmes politiques intérieurs tchèques. Bien plus, à une semaine des élections sénatoriales, les sociaux-démocrates ont remporté une victoire convaincante aux élections régionales. Ils sont actuellement au pouvoir dans 13 des 14 régions tchèques.

L'opposition victorieuse affirme que c'est la fin pour le premier ministre Mirek Topolanek, la coalition gouvernementale, les réformes impopulaires et la politique étrangère, et exige la tenue d'élections anticipées à la chambre basse du parlement (selon le calendrier, elles doivent se tenir en 2010). Mirek Topolanek et l'ODS déclarent que rien n'est perdu, et qu'ils pourraient très bien remporter les élections législatives. Mais ce n'est pas tant l'opposition que ses camarades du parti, y compris le président lui-même, qui se prononcent contre Mirek Topolanek. Ils estiment que c'est lui qui a fait échouer toutes les réformes et conduit le parti à la scission, qu'il doit démissionner du poste de premier ministre et de celui de président du parti. On cite pour lui succéder le très populaire maire de Prague Pavel Bem, son adjoint au sein de l'ODS.

En principe, les Tchèques pourraient apporter des changements à leur système électoral complexe fondé sur la proportionnelle, modifier les limites des circonscriptions électorales de façon à ce que plus de candidats des grands partis entrent au parlement, que les coalitions soient plus solides et que la vie politique trouve son rythme. Pour cela, il faut modifier la Constitution, ce qui implique d'obtenir la majorité des trois cinquièmes au parlement. Mais, dans la composition actuelle, aucune décision ne peut recueillir un tel nombre de voix. C'est un cercle vicieux.

En ce qui concerne la défense antimissile américaine, le problème est là-aussi relativement complexe. Rappelons que la secrétaire d'Etat américaine Condoleezza Rice et le ministre tchèque des Affaires étrangères Karel Schwarzenberg avaient signé en juin à Prague le traité fondamental sur l'installation d'un radar américain près de Prague, sur le polygone de Brdy. La ministre tchèque de la Défense Vlasta Parkanova et le chef du Pentagone Robert Gates ont signé en septembre un second document sur la défense antimissile: le traité sur les conditions de la présence dans le pays des militaires américains (SOFA), qui se trouveront dans la base de défense antimissile. Les deux accords doivent être ratifiés par les deux chambres du parlement, ce qui est dans les conditions actuelles pour le moins incertain.

Selon les résultats de tous les récents sondages d'opinion, près de 70% des Tchèques se prononcent contre l'installation d'un radar de la défense antimissile américaine dans le pays. Sociaux-démocrates et communistes sont catégoriquement opposés au bouclier antimissile américain. Cependant, ils n'ont pas réussi à persuader le parlement d'adopter fin octobre un projet de loi sur l'organisation d'un référendum sur ce problème. Le parlement doit revenir à la question de la ratification en novembre. Personne ne se risque à prédire la décision des députés. Les experts tchèques estiment que le problème du système américain de radars pourrait disparaître de lui-même après les élections aux Etats-Unis et l'arrivée d'un nouveau président au pouvoir. D'ailleurs, le Pentagone n'a plus autant besoin de radars, ils sont très chers à entretenir. En attendant, Prague pourra continuer à s'occuper de ses problèmes politiques intérieurs.

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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