La Russie vue par la presse francophone les 10 - 12 juillet

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Le nouveau pragmatisme Russo-américain/ Echange d'espions entre Russes et Américains/ Vienne, la ville que les espions adorent/ L'art en Russie, du musée au tribunal/ Moscou se sent floué après avoir échangé des agents de haut niveau contre une "bande de clowns"/ Après les mirages, les vrais visages de la Russie

Le 10 juillet

Le Figaro

Le nouveau pragmatisme Russo-américain

La rapidité et même, pourrait-on dire, la facilité avec lesquelles a été réglée l'une des plus grosses affaires d'espionnage entre les États-Unis et la Russie depuis la guerre froide en dit long, paradoxalement, sur la chaleur nouvelle qui caractérise la relation des deux anciens ennemis. L'épisode n'a pas, comme certains le redoutaient, altéré cette relation.

À Moscou comme à Washington, les responsables ont au contraire prédit un renforcement du lien russo-américain. Aucune des deux parties ne voulait remettre en cause les progrès enregistrés sous la nouvelle Administration américaine. À peine élu, Barack Obama avait fait du « reset » (la remise à plat) de cette délicate relation une priorité de sa politique étrangère, à un moment où tout allait mal entre les deux grands.

Pour calmer le géant russe et obtenir son soutien sur des dossiers essentiels comme la guerre en Afghanistan et le nucléaire iranien, Washington a fait des concessions sur la défense antimissile et sur l'élargissement de l'Otan à l'Est. L'Amérique d'Obama a également pris ses distances avec la Géorgie, dont l'invasion en août 2008 par les troupes russes avait fait monter la tension. Quant au Kremlin, il s'est rapproché de la position américaine sur l'Iran et a accepté de signer un nouvel accord de désarmement stratégique avec la Maison-Blanche. Le pragmatisme manifesté par les deux camps ne signifie pas pour autant que tous les problèmes sont réglés. Vingt et un ans après la chute du mur de Berlin, les missiles nucléaires russes et américains se font toujours face.

Considéré comme un facteur régional de stabilisation, l'avancée de l'Alliance atlantique à l'Est est toujours vue par les Russes comme une atteinte à leur sphère traditionnelle d'influence, sur laquelle ils ont repris l'initiative. Les États-Unis s'inquiètent de ce que l'arme énergétique soit régulièrement brandie par la Russie, qui rejette en outre le modèle démocratique occidental et ses valeurs en matière de droits de l'homme.

Vue de Washington, la Russie est toujours ce casse-tête contre lequel de nombreux dirigeants occidentaux ne cessent de se cogner. Le partenaire américain est déstabilisé par l'ambiguïté de cette puissance nucléaire, dirigée par un ours à deux têtes et qui cultive dans le même jardin son désir de coopération et ses vieux réflexes de guerre froide.

Pour les États-Unis, la relation avec la Russie a perdu de son importance depuis le 11 septembre 2001. L'ancien adversaire totalitaire a été remplacé par un nouvel ennemi, le terrorisme islamique. Avec l'ancien, Obama veut désormais promouvoir une relation « constructive ». Mais, de son côté, et contrairement aux apparences, la Russie considère toujours les États-Unis comme une menace, un rival agressif qui voudrait contenir son influence en poussant l'Otan dans sa cour et en exportant des installations militaires en Europe centrale...

Le récent démantèlement du réseau d'espionnage prouve, s'il en était besoin, que les institutions de l'ancienne URSS, notamment l'ex-KGB, sont toujours vivaces. Et que le désir d'ouverture à l'Ouest manifesté par le président Medvedev est pondéré par les habitudes de la vieille bureaucratie soviétique qui, dans les « ministères de force », traîne des pieds. Les Français en ont eux-mêmes fait l'expérience. Après avoir relâché leurs efforts de contre-espionnage vis-à-vis de la Russie au lendemain de l'effondrement du communisme, ils ont récemment réalisé que l'activité des espions russes était en pleine recrudescence.

À genoux après la chute du « rideau de fer », la Russie a restauré l'ordre chez elle et ravivé son influence dans ce qu'elle appelle son « proche étranger ». Elle cherche aujourd'hui à parfaire son rétablissement sur la scène internationale en brandissant ses contradictions. Entre Moscou et Washington, ce n'est pas encore la lune de miel.

Le Parisien

Echange d'espions entre Russes et Américains

Les dix espions russes arrêtés il y a une semaine aux Etats-Unis, après avoir été infiltrés pendant une dizaine d'années par le FBI, sont arrivés hier à Moscou, en provenance de Vienne. C'est sur le tarmac de l'aéroport de la capitale autrichienne que s'est effectué, comme au plus fort de la guerre froide, un échange d'agents secrets digne d'un roman de John Le Carré. Il ne manquait rien au scénario concocté par les spécialistes de Washington et Moscou, pas même un petit autobus noir aux vitres teintés, qui a soustrait aux caméras le visage des « héros » au moment crucial : celui de leurs transferts respectifs d'un avion à un autre.

Dans le premier appareil, venu de Moscou, se tenaient prêts quatre Russes accusés, au début des années 2000, d'avoir transmis des informations sensibles à des puissances occidentales : Igor Soutiagine, 45 ans, chercheur russe spécialisé en armement stratégique, condamné en 2004 à quinze ans de prison pour avoir transmis des documents classifiés secrets aux Etats-Unis. Alexandre Zaporojski, condamné à dix-huit ans de camp en 2003 pour avoir transmis des informations à la CIA. Sergueï Skripal, ex-colonel du renseignement militaire russe, expédié en détention en 2006 pour treize ans, aurait, lui, transmis des informations à la Grande-Bretagne. Et Guennadi Vassilenko, ancien agent du KGB, condamné en 2006 à trois ans de prison pour des délits... sans aucun rapport avec le renseignement.

De l'avion en provenance de l'aéroport new-yorkais de La Guardia a débarqué la vedette incontestée de cette rocambolesque affaire, la très jolie Anna Chapman, née Anya Kushchenko, qui fut brièvement mariée à un honorable citoyen britannique avant de traverser l'Atlantique pour y devenir une Mata Hari aux allures de jet-setteuse. Elle était flanquée de ses neuf comparses, davantage des Pieds Nickelés que des James Bond. Il semblerait que ces employés du SRV (services de renseignements extérieurs russes) immergés, après formation, dans de coquettes banlieues américaines où ils se sont fondus dans la population, n'ont en fait jamais rien récolté de vital pour la sécurité des Etats-Unis, malgré l'utilisation de matériel extrêmement sophistiqué. Ils auraient, au mieux, soutiré quelques secrets à du menu fretin, par exemple des assistants d'élus du Congrès de Washington.

Jeudi, les espions russes avaient plaidé coupables devant un tribunal de New York. Tous ont été condamnés, en procédure d'urgence, à des peines de prison couvrant au jour près leur détention préventive. Ils ont été expulsés et mis dans l'avion dans la foulée.

A l'époque du rideau de fer, jusqu'en 1989, personne n'était jamais au courant de ce genre de transaction préparée et accomplie dans le plus grand secret. Cette semaine, tout s'est passé quasiment au grand jour. Barack Obama a, très officiellement, donné son feu vert pour une opération où il tient le beau rôle. Il a échangé des espions pas très efficaces contre des Russes injustement jetés en prison! Ce qui aurait pu virer au cauchemar s'est terminé à la satisfaction de tous. Obama et son homologue russe, Dmitri Medvedev, peuvent se remettre aux affaires sérieuses, à savoir la relance de bonnes relations entre Washington et Moscou, l'une des priorités des deux grandes puissances.

Le 11 juillet

Le Monde

Vienne, la ville que les espions adorent

Vienne a renoué avec l'atmosphère trouble de la guerre froide, celle du Troisième Homme de Graham Greene, ou des premiers romans de John Le Carré. L'échange d'espions auquel ont procédé Russes et Américains sur le tarmac de l'aéroport de Schwechat, vendredi 9 juillet, a été suivi en direct par les Autrichiens, flattés d'être soudain au centre de l'attention, même si officiellement ils n'étaient au courant de rien.

L'opération, qui a permis de clore une affaire épineuse pour Moscou et Washington, fut rondement menée. En fin de matinée se posait un avion du ministère russe des situations d'urgence, suivi peu après d'un Boeing de Vision Airlines, une compagnie basée au Nevada, dont le principal client est le gouvernement des Etats-Unis. Souvent utilisés en Irak et en Afghanistan par la CIA, le service de renseignement américain, ses avions ont été vus parfois à Budapest, Bucarest ou Bratislava.

Parqués dans l'aéroport, les photographes qui espéraient surprendre avec leurs téléobjectifs les yeux pétillants de la fameuse Anna Chapman, surnommée par la presse tabloïd " Agent 00Sexe ", et star incontestée de cet épisode des relations Est-Ouest, ont été déçus. Evacuées de l'avion au moyen d'une passerelle opaque, les dix personnes arrêtées fin juin aux Etats-Unis et accusées de travailler pour le renseignement extérieur russe, le SVR, sont montées dans un minibus noir aux vitres fumées, avant d'être transférées dans l'appareil russe. Même procédé en sens inverse pour les quatre Russes condamnés pour espionnage au profit des Occidentaux et graciés, la veille, par le président Dmitri Medvedev.

Mais pourquoi l'avoir fait au coeur de l'Europe ? Pourquoi Vienne et non Berlin, où les échanges d'espions étaient courants avant la chute du Mur ? Par volonté de ritualiser la nouvelle entente dans un des lieux emblématiques de la guerre froide, avance l'expert allemand Erich Schmidt-Eenborn. Et, selon d'autres sources, parce que ce ballet, réglé en peu de temps, nécessitait une logistique dont les services de renseignement disposent à Vienne, où les autorités ont toujours été compréhensives dès lors que ces activités étaient dirigées contre des pays tiers.

Les diplomates et leurs familles - quelque 15 000 personnes - en poste dans les ambassades et auprès des organisations internationales, constituent un milieu propice aux agents secrets : leur nombre reste d'ailleurs " exceptionnellement élevé ", souligne un récent rapport du ministère de l'intérieur.

Le Monde

L'art en Russie, du musée au tribunal

ENCART: Après deux ans de procédure, une exposition pourrait conduire son commissaire et l'ancien directeur du Musée Andreï-Sakharov en prison
L'art interdit. " L'exposition portait décidément bien son nom. Durant un mois, en mars 2007, le petit Musée Andreï-Sakharov " pour la paix, le progrès et les droits humains " de Moscou a présenté vingt-trois oeuvres d'artistes russes contemporains refusées auparavant par les musées de la capitale en raison de leur caractère jugé subversif.

Aujourd'hui, le commissaire de l'exposition, Andreï Erofeev, et le directeur du Musée Sakharov de l'époque, Iouri Samodourov, sont accusés d'incitation à la haine religieuse par un tribunal moscovite pour avoir organisé une exposition jugée " blasphématoire ". Le verdict, attendu le 12 juillet, pourrait leur valoir une condamnation de trois ans ferme en colonie pénitentiaire.

Pour illustrer l'autocensure qui sévissait dans les milieux artistiques officiels du pays, l'exposition " L'art interdit " était entièrement cachée par de grands pans de murs blancs, sur lesquels seules les vignettes des oeuvres étaient accrochées. Des petits trous, à près de deux mètres de hauteur, permettaient aux spectateurs de jeter un oeil sur les fameuses oeuvres séditieuses : ici, le Christ affublé du logo de McDonald's sous l'inscription " Ceci est mon corps " ; là, un officier russe sodomisant un jeune conscrit sous l'épithète " Gloire à la Russie ! ".

Avec le soutien du directeur du musée de l'époque, Iouri Samodourov, c'est l'historien de l'art Andreï Erofeev qui était commissaire de cette exposition. Ardent défenseur de l'art contemporain russe, on lui doit également l'exposition " Sots Art ", qui avait connu un joli succès à Paris fin 2007, malgré une polémique concernant la censure de certaines oeuvres qui n'avaient pu quitter la Russie.

En conflit ouvert avec la direction de la Galerie Tretiakov, dont il assurait, depuis 2002, la direction des " nouvelles tendances ", cet excellent francophone, né à Paris de parents diplomates il y a 54 ans, a été licencié en 2008 et déplore, depuis, une " Galerie Tretiakov devenue à nouveau un musée soviétique des arts autorisés ".

Pire qu'un licenciement, le long procès de près de deux ans qui s'achève pourrait bien lui valoir, ainsi qu'à Iouri Samodourov, une sentence ferme d'emprisonnement. Lundi 21 juin, les procureurs ont requis trois ans de réclusion dans une colonie pénitentiaire. Inculpés en 2008, les deux hommes sont sous le coup du deuxième paragraphe de l'article 282 du code pénal russe, qui proscrit " l'incitation à la haine " et " le dénigrement de la dignité humaine ".

Jusqu'à la conclusion du procès, Andreï Erofeev est en liberté conditionnelle : libre de ses mouvements, il ne peut cependant pas quitter les limites de la ville de Moscou. Dans son appartement du quartier de Zamoskvorechie, situé à quelques dizaines de mètres de la Galerie Tretiakov, Andreï Erofeev attend la lecture du jugement avec inquiétude. " Il s'agit d'un procès idéologique, dont la symbolique est très forte ", estime l'historien de l'art. " C'est un peu comme le procès de Mikhaïl Khodorkovski - l'ancien patron de Ioukos - : rien n'est clair, on nous invente des inculpations, on est dans le faux... Ce n'est pas un procès contre Erofeev ou contre "L'art interdit", c'est le procès de l'ultra-droite contre l'art contemporain. "

Un groupuscule d'extrême droite se tient effectivement en embuscade dans les coulisses de cette affaire. Les militants de Narodny Sobor (Le concile du peuple) ont fait montre d'un zèle exemplaire afin de fournir à l'accusation des preuves du caractère " blasphématoire " de l'exposition. Proche des milieux ultraconservateurs de l'Eglise orthodoxe russe, le groupuscule bénéficierait également de l'appui de certains députés de la Douma.

Pourquoi un tel acharnement de la droite extrême contre l'art contemporain du pays ? Les publications ultranationalistes regorgent d'attaques au vitriol - et souvent ouvertement antisémites - contre les artistes, qui " se moquent avec une totale impunité de la religion, de la culture, du caractère sacré de la nation russe ", selon l'auteur anonyme d'un pamphlet publié sur un site radical.

" L'Etat russe n'a absolument pas de relation avec sa propre culture, il ne la connaît pas, il n'a pas même le désir de la voir se répandre dans la société... Du coup, on jette en pâture la culture aux extrémistes, comme on jette un os aux lions ", avance Andreï Erofeev, pour qui le Narodny Sobor a directement participé à la fabrication du dossier de l'accusation. " Leurs militants distribuaient, à la sortie des églises, l'adresse du juge d'instruction aux babouchkas - grands-mères - et aux vétérans d'Afghanistan, bref, aux personnes très religieuses et à celles psychologiquement fragiles. Ces gens-là s'y sont rendus, le juge leur a soufflé leur témoignage qu'ils ont couché sur le papier avant de le signer. "

Une quarantaine de personnes se sont portées volontaires pour témoigner du caractère blasphématoire d'une exposition qu'ils assurent pourtant n'avoir jamais vue : ils en ont entendu parler par la radio...

Durant le procès, les autorités politiques n'ont pas bronché sur ce dossier. Vladislav Sourkov, proche conseiller du président Dmitri Medvedev, avait laissé entendre en privé que l'affaire serait certainement abandonnée par la justice, et pourtant... Des lettres de soutien aux deux inculpés ont bien été adressées au locataire du Kremlin ainsi qu'au premier ministre, Vladimir Poutine.

" Comme toujours en Russie, le dernier acte se joue les rideaux fermés, en écrivant au président ou au premier ministre ; on écrit au tsar pour demander grâce, discrètement ", ironise Andreï Erofeev. " Désormais, nous sommes au stade de la concurrence des influences politiques entre l'ultradroite et nous ", estime l'historien de l'art. Le ministre de la culture, Alexandre Avdeev, s'est prononcé fin juin contre l'inculpation des deux hommes, après, il est vrai, avoir gardé le silence tout au long du procès.

La communauté culturelle de la capitale russe s'est également mobilisée en faveur des deux prévenus. Des performances artistiques ont été organisées à Moscou durant le procès, et une dernière prestation devrait avoir lieu près du tribunal, une heure avant la lecture du verdict.

Le galeriste Marat Guelman, très connu sur la place de Moscou, a, lui, déjà annoncé la couleur : si Andreï Erofeev et Iouri Samodourov sont reconnus coupables lundi 12 juillet, il reprogrammera, dans sa propre galerie, l'exposition tant décriée...

Le 12 juillet

Le Figaro

Moscou se sent floué après avoir échangé des agents de haut niveau contre une «bande de clowns»

Dix «clowns» contre quatre authentiques agents: voici à quoi se résumaient hier les commentaires relatifs à l'échange d'espions qui s'est noué vendredi sur l'aéroport de Vienne. Quarante-huit heures après le dénouement de l'affaire, Washington jubile. «Nous avons récupéré quatre très bons espions» russes, s'est félicité le vice-président américain, Joe Biden, regrettant simplement, sur le ton de la plaisanterie, d'avoir laissé partir Anna Chapman, dont le joli minois avait émoustillé la presse. Parallèlement, le FBI évite la tenue d'un procès aux États-Unis qui aurait pu révéler la maigreur des charges retenues contre les dix. À Moscou, en revanche, l'heure est à l'autoflagellation: «Il aurait fallu garder le secret sur ces négociations dont le résultat souligne les erreurs (de nos) services secrets», regrette le député Guennadi Goudkov, membre de la commission de la sécurité.

«Ce scandale suscite la honte et porte atteinte à la sécurité nationale», renchérit l'expert militaire Pavel Falgenhauer. Fait exceptionnel, la Russie, qui se contentait dans le passé de libérer des agents américains, relâche cette fois «ses propres traîtres». Parmi eux figure Igor Soutiaguine, un spécialiste en armement arrêté en 1999, qui a toujours clamé son innocence.

Doté de méthodes peu orthodoxes, le Service des renseignements extérieurs (SVR), qui porte la responsabilité du recrutement des dix «amateurs», est montré du doigt. Selon les experts, le SVR reste la seule agence de renseignement au sein de la communauté internationale à faire appel à des «illégaux». L'absence de toute protection officielle, notamment diplomatique, rend ces derniers rapidement vulnérables et repérables (par le FBI en l'occurrence), dès lors qu'ils s'approchent de sources sensibles. Ce recours aux «illégaux», qui avait débuté sous la période soviétique, est désormais critiqué. Il n'est pas sûr, pour autant, que le pouvoir russe procède à des purges au sein de l'institution.

Bataille médiatique 

Son patron, Mikhaïl Fradkov, qui fut premier ministre de Vladimir Poutine, est en poste depuis seulement 2007, sept ans après le début de la constitution du réseau américain. Un délai trop court pour que le Kremlin soit tenté de lui faire porter le chapeau. «Le SVR reste fier de ses traditions et n'a jamais été réformé. Pour qu'il le soit, il faudrait constituer une commission d'enquête, qui pourrait être parlementaire par exemple. Mais ce n'est pas le genre de pratiques courantes en Russie, et l'enjeu n'en vaut pas la peine. Depuis la fin de la guerre froide, cette institution n'est plus un instrument privilégié de la politique étrangère», commente Andreï Soldatov, rédacteur en chef du site spécialisé agentura.ru.

Moscou préfère faire taire l'histoire au plus vite. La télévision publique, unique source d'information pour la grande majorité des Russes, fait désormais l'impasse sur le sujet des espions, permettant ainsi à Washington de remporter la bataille médiatique.

Le Point

Après les mirages, les vrais visages de la Russie

Photo. Photographie de la nouvelle Russie (1991-2010). Maison européenne de la photo, Paris, 4e. Jusqu'au 29 août.
Ce n'est qu'avec la perestroïka, à la fin des années 1980, qu'apparut véritablement en Russie une autre photo, non plus privée de liberté, mais privée tout court, libérée, issue d'une culture underground longtemps tue, celle de l'individu qui l'emporta enfin sur le collectif, les mirages du communisme, la propagande, le discours officiel. La photo soviétique est longtemps restée une machine (de guerre) idéologique, une pratique ultracontrôlée, quand elle n'était pas détruite.

Tel est le point de départ de cette exposition proposée par Olga Sviblova, fondatrice de la Maison de la photographie de Moscou (qu'elle a créée sur le modèle de la Maison européenne de la photo de Paris), musée russe dédié à la photo très longtemps absente des cimaises du pays...

Pour cette exposition qui se tient justement à la MEP, à l'occasion de l'Année France-Russie 2010, Olga Sviblova a sélectionné des images documentaires, des reportages contemporains, poignants (sur la guerre de Tchétchénie entre autres, villages et vies en ruines, femmes fatiguées qui font la queue à Grozny, dans le froid, pour quelques bûches de pain) et des photos plus plasticiennes, aux univers aseptisés, aux couleurs acidulées, entre mode et performance. Un panorama ciblé et captivant qui donne plus d'une idée des travaux photographiques et de l'énergie créatrice des nouveaux artistes russes.

Si la partie documentaire est séparée de la salle dédiée aux plasticiens, les deux genres ne cessent de s'entremêler. Dans les reportages figurent des incisions plastiques, comme sur cette image de Mikhaïl Evstafiev qui joue avec le rouge. Sergueï Tchilikov, l'une des stars actuelles de la photo russe, dresse un portrait kaléidoscopique de son vaste pays à travers ses régions dans les années 1990 : on passe des filles rock and roll à celles en costumes traditionnels, des visages blonds aux traits mongols. Igor Moukhine donne à voir les vestiges du communisme, Moscou en noir et blanc en 2001, qui nous replonge dans le passé. Comme cette autre image de Grozny, miroir de la guerre : un homme, fusil sur l'épaule, se regarde dans la glace, au coeur d'une forêt, les pieds dans la boue, une photo en noir et blanc prise en 1996 qui semble avoir été faite un siècle avant. Les temps changent, mais la guerre et ses images, effets et reflets, restent finalement les mêmes.

Après la guerre, l'amour ! Nikolay Bakharev montre des couples d'amoureux, très sensuels, en maillots de bain, une intimité des corps bannie par le stalinisme, ici dévoilée avec pudeur et tendresse, peau contre peau. Autre intimité, celle des scènes d'intérieur, de la vie familiale. Vladimir Mishukov a photographié, un peu à la manière d'August Sander, les familles russes dans leur salon, le père au centre et sa profession servant de fil conducteur, qu'il soit plombier, chef du sovkhoz, médecin ou acteur et beau gosse.

Côté photo plasticienne, il ne faut pas manquer la balade lunaire avec Leonid Tishkov, artiste qui se promène toujours avec sa lune qu'il installe dans sa luge. Le croissant lumineux l'accompagne partout jusque dans son lit, sur son dos, sur son toit. Promenade poétique au clair de sa lune qui fait toujours son effet à celui qui la découvre pour la première fois.

Le groupe AES+F nous déçoit un peu avec sa série réalisée en 2009, une mise en scène très plastique, très plate aussi, où le groom se fait servir par le patron, semble-t-il. Travail moins intéressant que ses grandes fresques angoissantes sur les enfants, nouveaux monstres élevés aux jeux vidéo et dans le culte des marques à la mode. En parlant d'enfant gâté, Vladimir Fridkes en a photographié un, justement : "le garçon riche"... No comment, il faut le voir pour le croire.

Vladislav Mamyshev-Monro, né en 1969, l'un des artistes russes les plus renommés sur la scène internationale, joue la carte du travestissement et se transforme, non sans humour, en Sherlock Holmes, en Dracula, en Jésus... avec toute la panoplie de l'icône.
Enfin, Olga Chernijshova (enfin, une fille !) a zoomé sur les bérets en laine de ses compatriotes pour une série qui évoque sans grande originalité les travaux de l'Anglais Martin Parr. Finalement, c'est le titre qui est le plus drôle (ou le plus triste, au choix) : En attendant le miracle III.
Cette exposition, riche et pointue, donne un (autre) visage à la Russie tout en nous faisant découvrir sa nouvelle scène artistique, assez peu vue en France, rendue visible grâce au travail remarquable d'Olga Sviblova, qui a souvent organisé dans son pays "des expositions non officielles d'artistes non officiels". Elle a consacré un film à Dina Vierny, à son engagement auprès des avant-gardes. Celle-ci lui avait alors conseillé de toujours "garder les yeux ouverts"...

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