Les manifs à Moscou, un événement irréversible

© Photo Vitaliy RaskalovManifestation de l’opposition contre les résultats des législatives
Manifestation de l’opposition contre les résultats des législatives - Sputnik Afrique
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On voudrait croire à l'évaluation donnée au rassemblement de la place Bolotnaïa à Moscou par l’écrivain Boris Akounine : "Cet événement sera irréversible".

On voudrait croire à l'évaluation donnée au rassemblement de la place Bolotnaïa à Moscou par l’écrivain Boris Akounine : "Cet événement sera irréversible". Evidemment, pas dans le sens où les manifestations seront organisées tous les jours, mais dans le sens où on ne reviendra plus jamais dans l’espace de la politique totalement virtuelle et de simulation. Les gens ont abandonné les claviers de leurs ordinateurs et se sont rassemblés sur la place. 25.000 personnes, selon les estimations généralement minorées des policiers, ce qui est beaucoup même pour une ville de 13 millions d’habitants.

En 1990, 1991 et même 1993 le nombre de manifestants était parfois supérieur. Mais les comparaisons quantitatives avec 1991 ne sont pas pertinentes dans notre cas. A l’époque, les places n’étaient bâties comme la place du Manège aujourd’hui, il y avait bien moins de distractions le samedi soir et les gens avaient plus de temps libre. Il n’y avait pas non plus d’autres facteurs s’opposant aux manifestations de masse : la division de la société en classes, le schisme non seulement entre la gauche et la droite, mais dans l’opposition en général.

La différence d’opinions  au sein des groupes sociaux est normale, c’est une bonne chose.

La société n’est pas aussi soudée qu’auparavant, mais dans sa diversité elle est plus rationnelle et plus sobre. Elle ne croit pas au paradis sur terre et ne compte pas, comme il y a 20 ans, sur une vie heureuse dans seulement 500 jours.

La société exige d’avoir le droit de choisir, la possibilité de déterminer elle-même : aller à droite ou à gauche. Et elle ira d’elle-même sur la voie choisie – contrairement à l’époque du socialisme soviétique, elle n’a plus besoin d’être tenue en lisière.

"Les gens ne sont pas venus pour Boris Nemtsov ou Vladimir Ryjkov (membres de l’opposition), ils sont venus pour eux-mêmes, pour leur droit de choisir", estime le manifestant Oleg. Il fait remarquer que cette fois les gens ont bien mieux réagi aux discours des orateurs qu’aux slogans.

Une foule qui réfléchit, c’est un phénomène rarement observé en Russie depuis ces dernières années.

Un individu qui réfléchit ne peut pas apprécier à la fois la gauche et la droite, les nationalistes et les libéraux. Mais il est capable d’écouter les uns et les autres sans les interrompre, et nous l’avons vu sur la place Bolotnaïa. Mais "sans interrompre" ne signifie pas "sans réfléchir" ou "sans avoir une opinion". C’est la raison pour laquelle le slogan de Konstantin Krylov, du mouvement social russe, qui reconnaît ouvertement son nationalisme "C’est le début d’une nouvelle révolution russe! " a été mal accueilli par la majorité des manifestants.

Les gens qui connaissent l’histoire au moins de manière superficielle savent ce qu’est une révolution en Russie. Et c’est également une évolution positive par rapport à 1991-1993 lorsque sans connaître l’histoire il y avait beaucoup de volontaires pour jouer à la « "ville révolutionnaire" » en affrontant les camions de soldats. La population ne se fait plus "avoir" (même aux manifestations) avec les propos "rouges".

"On exige des élections honnêtes! ", ce slogan ne requiert pas tant le courage des pauvres que celui des riches. Ce sont eux, et pas seulement le gouvernement, qui devront en cas de retour aux élections honnêtes affronter leurs craintes devant les "gueux". Et si les gens aisés veulent des élections honnêtes, ils devront en fin de compte se demander comment sortir l’éducation publique du trou dans lequel elle se trouve.

Il serait incorrect de déterminer le rassemblement sur la place Bolotnaïa en fonction de la classe. On le voyait aux drapeaux de diverses couleurs – blancs pour Iabloko, rouges pour les communistes et trois couleurs pour les nationalistes. On y voyait aussi bien des riches que des pauvres.

"Les personnes réunies ici sont satisfaites de leur vie en général, elles gagnent suffisamment d’argent", on pourrait partiellement s’accorder avec cette appréciation de Boris Akounine.

En revanche la suivante mettra tout le monde d’accord : "Mais leur sens de la dignité a été blessé".

Des slogans populistes allant jusqu’à l’extrémisme étaient-ils présents à ce rassemblement? Evidemment. Sont-ils prêts à proposer à la société un ordre du jour positif? Bien sûr que non.

Et le gouvernement en est, hélas, partiellement responsable. Pendant les années "sans manifs"  les gens ont accumulé l’irritation, qui était presque exclusivement exprimée sur internet.

Ainsi, les autorités devraient probablement remercier les manifestants pour ce rassemblement.

Il vaut mieux apprendre les dispositions de la société sur la place Bolotnaïa que sur la place Rouge, ou pire encore, sur la place de la Cathédrale.

 

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

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