Le libre-échange USA-UE : remède de taille ou palliatif ?

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Il faudrait compléter le Petit Robert, en y rajoutant deux termes néologiques qui scindent les sociétés occidentales : l’ eurooptimisme et l’euroscepticisme.

Il faudrait compléter le Petit Robert, en y rajoutant deux termes néologiques qui scindent les sociétés occidentales : l’eurooptimismeet l’euroscepticisme. Certains croient encore à une Europe unie, potentiellement solide, responsable jusqu’au bout de ceux qu’elle a apprivoisés, à savoir la Grèce qui cause bien des soucis et des casse-têtes à nos fins politiciens de la Vieille Europe. On s’en sortira, disent-ils, parce que, jusque là, on a toujours su se débrouiller … Il suffit de demander à un eurooptimiste s’il pourrait, ne serait-ce que dans le cadre d’un scénario apocalyptique, envisager la chute de l’euro, que l’on entendrait aussitôt rétorquer : « Que non, cela ne se peut en principe ! Pourquoi une telle foi en l’euro, foi frôlant une sacralisation inconsciente de ce qui n’est pourtant pas sujet à déification ? Rappelons-nous le sort de l’URSS : Empire à la base puissant, ayant tout de même tenu soixante-dix ans malgré une configuration erronée qui a conduit à sa perte. Et il n’est pas question d’idéologie, quoi que celle-ci fut, j’en conviens, extrêmement difficile à vivre. Il était question, à un moment donné, d’un certain nombre de pays hétérogènes sur le plan économique que la Russie, au sens propre du terme, nourrissait à ses dépens. Un de mes collègues a un jour avancé qu’il n’y avait pas d’idéologie unificatrice en URSS alors qu’il en est une au sein de l’UE. Cette remarque m’est apparue incorrecte pour la simple et bonne raison que la Russie, la Biélorussie, l’Ukraine … pour le moins ! … se sont toujours prévalues d’une seule et même idée motrice, d’une seule et même histoire commune. Je n’irais pas chanter des louanges au panslavisme d’un Lev Goumilev, mais il y a du juste dans ses réflexions. L’argument clé que présentent les partisans d’une Europe promise à la survie est que l’idéologie européenne, conception pourtant floue et discutable, surpasse en fiabilité celle qui animait l’URSS. Rien de moins certain, au fond. Le communisme, si utopique qu’il fut, ne souffrait guère du deux poids deux mesures qui caractérisent la fameuse nouvelle religion des Droits de l’homme. Elle ne pâtissait guère des perturbations interethniques dont l’Europe est aujourd’hui la première victime. Idéologie artificielle parce que peu réaliste, le communisme a porté ses fruits justement parce que les thèses qu’il arborait avait l’avantage d’être claires, univoques, que les efforts fournis au nom de sa réalisation étaient communément acceptés. L’Europe, quant à elle, se démène comme un beau diable, elle ne sait plus du tout à quels saints se vouer, quelles mesures adopter pour sauver une monnaie qui génère plus de tracas que jamais. L’une de ces mesures d’urgence, l’ouverture d’une zone d’échange libre entre les USA et l’UE, est justement dans les radars de la nouvelle politique de sauvetage empruntée. J’ai demandé à M. Jacques Sapir, économiste émérite, directeur d’études à l’EHESS, directeur du Centre d’études des modes d’industrialisation (CEMI-EHESS) ce qu’il pensait de ce projet, si celui-ci ne comportait pas comme un double fond anxiogène qu’il faudrait élucider. Voici la quintessence de ses réflexions :

La VDLR. Croyez-vous que l’application, dès 2014, du projet sur le libre-échange transatlantique soit véritablement un remède contre la crise qui sévit actuellement en Europe occidentale?

M. Jacques Sapir. Non. De toute évidence, c’est une mesure purement psychologique. Il s’agit de montrer qu’en dépit de la crise, les pays de l’Europe occidentale, mais aussi des USA, ne s’embarquent pas dans une guerre protectionniste les uns contre les autres. Mais en ce qui concerne les effets concrets de cette mesure, ils seront, au mieux, des plus limités.

La VDLR. On sait que ce projet n’est quand même pas neuf, il remonte à 1995. Comment se fait-il qu’il soit jusque là resté à un stade embryonnaire ?

M. Jacques Sapir. Il faut dire que ce projet n’a pas beaucoup de sens autre que psychologique. Les USA, comme l’UE, sont membres de l’OMC, de l’organisation mondiale du commerce, ils ont évidemment signé des accords de libre-échange les uns par rapport aux autres, et un accord supplémentaire ne vient en fait que renforcer le cadre général et ne provoque pas de changements immédiats. Par ailleurs, il faut dire que dans ces différents accords, il y a toujours des clauses de sauvegarde. Dans l’accord qui va rentrer en opération en 2014, ces clauses de sauvegarde existent. Autrement dit, on aura bien un mécanisme d’échange entre les économies de l’UE et l’économie des USA … mais aussi celles du Canada et du Mexique …, cela à condition de respecter un certain nombre de règles. On sait que dans ces règles peuvent survenir toute une série de problèmes qui peuvent causer des interruptions de commerce. On sait par exemple que les USA ont des règles sanitaires très particulières en ce qui la concerne la nourriture, même chose pour l’UE. Cela ne veut pas dire que l’on aura un libre-échange effectif, complet, entre ces deux autres.

La VDLR. Les USA paraissent bien enthousiastes, ce qui intrigue, sachant que leurs intérêts économiques ne coïncident pas forcément avec ceux de l’UE. N’estimez-vous pas que l’UE risquerait d’y perdre plus qu’elle n’y gagnerait ?

M. Jacques Sapir.C’est une vieille revendication de la part des dirigeants américains d’éviter que se constitue ce qui s’appelle laForteresse Europe .Et on voit bien que les USA sont toujours très anxieux de maintenir un cadre de libre-échange entre leur économie et l’économie européenne. Pour l’instant, ce n’est pas un problème réel pour l’UE, parce qu’elle n’est pas véritablement menacée par les produits américains. Elle subit une concurrence assez dévastatrice, il faut le dire, des produits chinois, voire des produits indiens, voire même, pour les pays de l’Europe occidentale, des productions d’autres produits de l’UE, ce que l’on appelle les nouveaux membres, les pays nouveaux-entrants qui, évidemment, bénéficient du même statut de pays européens et qui ont, de cette façon-là, accès au marché des pays de l’Union occidentale. Donc, je ne vois pas pour l’instant de problèmes entre l’UE et les USA. Cependant, si les USA continuent de dévaluer le dollar par rapport à l’euro, ce qui est malheureusement tout à fait possible, parce que les USA sont aujourd’hui engagés dans une politique d’assouplissement quantitatif, ce qui veut dire que la Banque centrale américaine, la Réserve fédérale, est en train d’injecter des sommes considérables dans l’économie américaine. Si cela provoque une baisse du dollar par rapport à l’euro, alors oui, effectivement, à terme, ceci pourrait se révéler très négatif pour l’économie européenne.

Voici, en toute clarté et brièveté, le point de vue de M. Jacques Sapir, brillant théoricien de la démondialisation, estimant qu’une sortie de l’euro pourrait, dans les quelques années qui viennent, s’imposer en forte éventualité, sinon en échéance. Dans cette nouvelle aventure pro-euro dont on comprend maintenant mieux les tenants et les aboutissants, il faudrait se méfier aussi bien du grandUncle Sam papivore jusqu’à la boulimie la plus incurable … car ce n’est pas le papier à dollar qui manque dans les usines … que de nos propres illusions. D’un autre côté, il est vrai que l’espoir fait vivre, que ceux qui, tous les jours, dans les supermarchés ou ailleurs, tendent le fier symbole d’une franc-maçonnerie de plus en plus déséquilibrée à l’intérieur de ses loges, n’ont d’autre issue que de s’accrocher à n’importe quelle brindille d’espoir, à n’importe quelle mesure, surtout si elle semble spectaculaire comme celle dont M. Sapir nous a décortiqué les fondements.

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