Le portrait-robot du terrorisme djihadiste

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Pour combattre le terrorisme en France, l’Unité de coordination de la lutte antiterroriste doit repérer les djihadistes présumés. Jacques Poinas, ancien chef de l'Unité, définit le nouveau terrorisme, explique quels en sont les défis et comment se passe la coordination entre les pays dans un entretien à Sputnik.

Le nouveau visage du terrorisme

Suite aux attentats du vendredi 13 novembre à Paris, les gendarmes et les unités spéciales sont sur le pied de guerre dans de nombreux pays européens, les perquisitions administratives et les arrestations se multiplient. Pourtant, la menace terroriste sait toujours prendre un nouveau visage.

Ainsi, jeudi 20 novembre, des hommes armés ont pénétré dans le périmètre de l'hôtel Radisson à Bamako, au Mali, grâce à un véhicule muni de plaques diplomatiques, déjouant ainsi les systèmes de fouilles et de sécurité. Une dizaine d'hommes armés retenaient 170 personnes en otages. Parmi elles figuraient 130 clients et 40 membres du personnel de l'hôtel.

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En Europe, en Afrique, en Amérique, la difficulté la plus grande est celle de débusquer les terroristes alors qu’ils font partie du paysage et frappent par leur capacité de s'adapter.

Jacques Poinas, ancien chef de l’Unité de coordination de la lutte antiterroriste, explique qu'il n’y a que des haut placés, comme Abdelhamid Abaaoud, présumé responsable des attentats de Paris, qui sont clandestins, les autres terroristes vivent leur vie quotidienne parmi nous.

L’impossibilité d'emprisonner "un suspect" pour cette seule raison

"Il est très difficile de savoir lesquels parmi ces plusieurs milliers de suspects du djihadisme resteront au niveau de la volonté non-exécutive et quels seront ceux qui passeront à l’acte", ajoute Jacques Poinas.

Et même si les quatre terroristes étaient déjà connus des services spéciaux américains et certains connus de services français, ils ne résidaient pas en France et c'est pourquoi ils ne se trouvaient pas sous la responsabilité des services français.

"Nous savons bien qu’il y a dans d’autres pays d’Europe — tout comme en France — des gens suspects qui peuvent glisser vers le djihadisme. Mais ce ne sont que les autorités des pays où ils résident qui peuvent faire quelque chose" développe M. Poinas.

Et bien qu'il existe des suspects fichés "S", tout n'est pas si simple avec eux, car il est impossible de mettre quelqu’un en prison sur la simple supposition qu’il est dangereux.

"Tous ceux qui sont fichés +S+, se sont fait remarquer pour avoir présenté une évolution vers le radicalisme islamiste qui les rend susceptibles de passer à des actions violentes. Mais il n’est pas prouvé qu’ils passeront à l’acte", ajoute le spécialiste.

Pourtant, il propose la solution de perquisitionner "les suspects" chez eux, ce que fait la police depuis que l’état d’urgence a été instauré en France.

"Il faut voir ce qu’ils ont chez eux, dans leurs ordinateurs. Il faut pouvoir parler avec eux. Si après ces premières mesures, il s’avère qu’ils représentent un danger plus précis, il faudrait les assigner à résidence", estime Jacques Poinas.

En parlant de l'intensification des frappes françaises suite aux attentats, l'ancien chef de l'Unité de coordination pointe qu'il était normal après les évènements parisiens de montrer que la France n'est pas intimidée et ne changerait pas son attitude contre Daech. Pourtant, n'étant pas un militaire, il avoue ne pas avoir d’informations sur l’efficacité réelle de ces frappes. "A-t-on vraiment détruit des centres importants ou seulement des bâtiments plus ou moins déserts? Je ne sais pas", déclare-t-il.

La coordination France-Russie n'a jamais été remise en cause

Parlant de la coordination, Jacques Poinas souligne que pour lui, "coordonner avec une coalition – c’est une chose, coordonner avec les services des pouvoirs syriens –  c'est une autre chose". Voilà pourquoi les frappes françaises n'ont jamais été coordonnées.

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Pourtant, d'après lui, la coordination de la lutte anti-terroriste entre la France et la Russie "existe de toute façon et n’a jamais été remise en cause".

"Il s’agit surtout du partage d’informations sur les terroristes identifiés se déplaçant entre la Syrie et les autres pays. Si on parle de coalition, il faut que sur le plan du renseignement également on mette en commun le maximum de renseignements. La Russie peut en obtenir beaucoup de par sa position", fait remarquer le spécialiste.

Quant aux pays de l’Union européenne, il existe déjà des règles particulières.

"Notamment, les fichiers qu’on appelle en France +S+ sont communs pour tous les pays de l’espace Schengen, plus le Royaume Uni. Quand la France considère que quelqu’un représente un danger comme djihadiste et émet une fiche +S+, cette fiche devient connue de tous les pays de l’Union européenne", explique-t-il.

Et d'ajouter, qu'avec des pays étrangers, qu'il a préféré ne pas mentionner, il s'agit également de relations entre services du renseignement intérieur, qui "ont des représentations dans certains pays et certaines capitales". Ils procèdent alors à des échanges par des moyens humains et des moyens techniques.

Jacques Poinas précise qu'il n'a pas de doutes sur le fait que la collaboration est cruciale. Cependant, le plus difficile est de savoir ce qui peut intéresser un pays parmi les problèmes de la France, quelle information serait utile.

La 3e Guerre Mondiale "larvée"

Face à la situation de crise actuelle le président français François Hollande propose de créer un nouvel état provisoire. Un état de droit qui ne serait pas permanent, qui correspondrait à des situations de crise terroriste.

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Quand il y a des périodes de rejaillissement du terrorisme, comme maintenant, qui succèdent à des périodes d'accalmie, "un état juridique provisoire d’exception n’est pas la solution idéale pour faire face à une menace qui peut durer encore 10 ans, avec des accalmies et des crises", indique le spécialiste, car il est impossible de prédire quand le terrorisme djihadiste prendra fin.

"Même si Daech est vaincu, le centre de l’activité djihadiste peut se recréer en Libye", explique-t-il.

Alors depuis l’apparition du djihadisme en Afghanistan, il s'agit d’une Troisième Guerre mondiale larvée, "car la crise est sans cesse transposée d’un pays à l’autre: en Tchétchénie, en Bosnie, au Mali… maintenant en Syrie, mais peut-être plus tard ailleurs", conclut Jacques Poinas.


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