Son projet économique, mais également ses positions à l'international sont pointées du doigt par les médias. Un « bad buzz » qui ressemble fort à un « buzz » tout court, offert à 10 jours du premier tour. Et si la surprise de la présidentielle 2017, c'était lui? La question semble sévèrement travailler les rédactions françaises et mêmes internationales depuis moins d'une semaine. Dimanche 9 avril, un sondage Kantar Sofres — Onepoint pour LCI, RTL et Le Figaro est venu chambouler le podium établi jusque-là par les pronostiqueurs, en donnant pour la première fois Jean-Luc Mélenchon devant François Fillon, à respectivement 18 % et 17 %.
Une surprise de taille, d'autant plus que jusqu'à présent, le candidat de la « France insoumise » n'était pas vraiment pris au sérieux par les médias. Preuve en est certainement le fait que depuis plusieurs jours, les journalistes semblent découvrir le programme de Jean-Luc Mélenchon. Pour le politologue Thomas Guénolé, auteur de « La Mondialisation malheureuse » (Ed. First, 2016), il est d'ailleurs rarissime qu'un journaliste lise en intégralité le programme d'un candidat, d'autant plus dans une campagne où onze prétendants s'affrontent:
« Il faut mettre un terme à une légende: la plupart des journalistes, la plupart des éditorialistes et la plupart des électeurs prétendent lire les programmes, mais ne les lisent pas ou les lisent en diagonale ou les lisent de manière bâclée. »
Le politologue souligne ainsi le risque pour les journalistes de « répéter des rumeurs, des clichés ou des raccourcis », faute de temps pour approfondir les choses. Sans oublier, bien sûr, le risque de se retrouver dans des situations pour le moins cocasses…
Être journaliste ne dispense pas de savoir lire (ni de savoir-vivre envers son invité…) https://t.co/vnNXjMBgDJ
— Jacques Sapir (@russeurope) 23 марта 2017 г.
Dans la presse, ce sont principalement Les Échos et Le Figaro qui concentrent les tirs, le premier titrant sur le « risque » Mélenchon, le second sur le « projet dévastateur » du candidat d'extrême-gauche, qualifié au passage de « Chavez français ». Plus modérés, BFM et RMC se sont contentés de revenir sur les craintes de certains Français, prêts à quitter la France si Marine Le Pen ou Jean-Luc Mélenchon venait à être élu. Des critiques de la presse qui donnent échos aux piques adressées cette semaine à Jean-Luc Mélenchon par ces principaux opposants, tels qu'Emmanuel Macron et François Fillon.
Un phénomène rationnel, sur lequel revient Thomas Guénolé, ce phénomène s'explique de manière tout à fait rationnelle:
Cependant, si on pouvait s'attendre à des critiques sur le programme économique du candidat de la part de ses opposants ou de journaux de ligne éditoriale libérale ou conservatrice, la critique prend une toute autre dimension lorsque le programme international du candidat est évoqué. Dans C à vous, Patrick Cohen, brandit fièrement le programme du candidat de la France insoumise devant l'un de ses porte-parole, Alexis Corbière, invoquant le « chapitre » 62 (points 15 et 62 de son programme) et la fameuse alliance bolivarienne, qui depuis ne cesse de faire parler d'elle. Cela vire presque au Mélenchon-bashing, lorsque Clémentine Autin, autre porte-parole de la France insoumise, est prise au dépourvu sur cette même alliance bolivarienne, cette fois-ci sur le plateau de France Info.
Une volée de critiques qui ne fait que légitimer le candidat d'extrême-gauche dans son rôle de candidat antisystème. Phénomène ne pouvant que conforter son assise dans les sondages. Thomas Guénolé revient sur la part considérable des Français qui ont basculé ces dernières années dans une situation de relative précarité économique, d'instabilité professionnelle, nourrissant le vote contestataire, tant dans sa frange « raciste et xénophobe », selon ses termes, que dans son pendant « altermondialiste », évoquant le travail de l'économiste britannique Guy Standing, auteur « Le précariat, les dangers d'une nouvelle classe » (Editions de l'Opportun, 2017):
« Le précariat, c'est la France qui a des débuts de mois difficiles et qui ne sait pas où elle en sera économiquement et socialement le mois prochain. Cette France-là, c'est la majorité des français. »
Pour le politologue, face à cette « conséquence d'une politique économique pro-mondialisation », la question centrale pour Jean Luc Mélenchon dans cette campagne demeure la suivante: « à quel point peut-il réussir à fédérer un maximum de révoltés contre ce qu'on pourrait appeler la mondialisation malheureuse? »
Ainsi, si certains de ces opposants, comme Bernard-Henri Lévy — soutien d'Emmanuel Macron — se satisfont publiquement de cette polémique qui enflait sur l'alliance bolivarienne,
Rejouissant embarras des lieutenants de #Mélenchon face à cette affaire d'alliance #bolivarienne: "Europe non; Iran, Syrie, Cuba, oui!"
— Bernard-Henri Lévy (@BHL) 13 апреля 2017 г.
Celle-ci n'est peut-être pas forcément tant à l'avantage des détracteurs du candidat. Tout comme le souligne d'ailleurs Eugénie Bastié, journaliste du Figaro.
Les gens s'en foutent, il monte encore. https://t.co/QsDwxhDzvl
— Eugénie Bastié (@EugenieBastie) 14 апреля 2017 г.
Reste à savoir à quel candidat cela profite « Jean-Luc Mélenchon est devenu l'allié inespéré de François Fillon » relevait ce matin sur Europe 1, le chroniqueur Antonin André. Il relève un paradoxe: celui, pour le candidat Républicain et celui d' « En Marche! », de placer Jean-Luc Mélenchon au centre du jeu en agitant ainsi « la peur du bolchévique » afin de fédérer leur électorat. « L'arme Mélenchon est à double tranchant, elle peut très bien se retourner contre ceux qui l'agitent » conclut-il.