Jacques Sapir : «mon carnet suscitait la jalousie de certains collègues»

© Photo Jacques SapirJacques Sapir
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Le blog de Jacques Sapir a été suspendu. L’Universitaire et expert de la Russie est accusé d’en avoir fait une « tribune politique partisane ». Depuis, internautes et universitaires se mobilisent. Cela va-t-il porter ses fruits ?

« Il faut faire pression sur Hypothèses » déclarait l'universitaire Jacques Sapir le 27 septembre. Une semaine après, cette pression s'est fait sentir: le monde universitaire s'est mobilisé: « des professeurs français, italiens, allemands, britanniques, tunisiens, mexicains, espagnols, russes ou au-delà » se sont ajoutés aux nombreux lecteurs de Jacques Sapir. Marin Dacos, le directeur du Centre pour l'Education Electronique Ouverte, s'est dit « fatigué » des 600 messages reçus à ce sujet. « Les gens, quoi qu'ils puissent penser des notes qui se trouvaient sur mon carnet, sont absolument scandalisés », rapporte Jacques Sapir.

Une décision politique?

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La querelle entre science et Cité n'est pas neuve, mais la tour d'ivoire universitaire n'en est pas moins secouée par cette petite affaire. A l'origine, Hypothèses entendait distinguer une « production scientifique » d'une « tribune politique ». Appartenant à Open Edition et rattaché au Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS) et à l'Université Aix-Marseille, ce serveur compte près de 2400 blogs dits «scientifiques».

Les critiques de Jacques Sapir, notamment à l'encontre d'Emmanuel Macron, trop « politiques », auraient été de trop dans le paysage. Le conseil scientifique l'a donc banni à l'unanimité, retirant ses droits d'accès. Mais cette décision n'était-elle pas en elle-même éminemment politique? L'accusation de « politisation » semble s'être retournée contre les accusateurs, débordés par la polémique qu'ils ont fait naître. Alors, censure inquiétante ou mesure de sûreté scientifique?

Un « fan-club » complotiste et injurieux?

« Effectivement, Sapir n'est pas le seul à émettre des opinions politiques sur un carnet d'Hypothèses », admet le membre du Conseil Sylvain Piron, avant d'ajouter: « l'un des carnets ouverts dans la première année d'existence de la plateforme, en 2008, avait pour objectif central de contester l'action du gouvernement… je ne me suis pas privé de critiquer personnellement Nicolas Sarkozy ». Le problème serait donc ailleurs: « de tous les carnets hébergés, Sapir est le seul qui pratiquait l'invective, la diffamation, l'insulte, l'appel au meurtre ». Diantre.

« Que l'on me cite une phrase, une seule! » s'exclame l'intéressé au sujet d'une polémique datant de 2014, ayant vu l'ancien Ministre de l'économie Pierre Moscovici l'accuser d'être « d'extrême-droite ». Et l'appel au meurtre? « J'ai écrit au sujet de M. Samuel Laurent [du Decodex du Monde, ndlr] », concède toutefois Jacques Sapir: « que je l'inviterai bien à prendre un verre, pour la publicité qu'il m'avait faite, mais que je lui casserai peut-être la bouteille sur la tête ».

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« Il était évident que c'était une plaisanterie » doit-il patiemment expliquer: « la qualifier d'appel au meurtre relève de la plus parfaite mauvaise foi ». Mais qui sait: peut-être les universitaires d'Hypothèses exigent-ils, en sus du divorce entre la science et la politique, un divorce entre la science et l'humour?

Olivier Ertzscheid, maître de conférences en Sciences de l'information à l'IUT de La Roche-sur-Yon, accuse aussi Jacques Sapir, n'hésitant pas à lui reprocher le comportement, selon ses termes, de son « fan-club », jugé « souvent complotiste et injurieux » et « globalement usant ». Ni une ni deux, voilà Jacques Sapir, professeur à l'EHESS, amalgamé aux complotistes. « Je ne suis pas un chanteur de rock! » s'exaspère-t-il.

Les soutiens académiques apprécieront: « dernièrement, c'est toute l'équipe de direction de l'Institut de prévision (Moscou) qui m'a envoyé un texte de soutien », rapporte Jacques Sapir, touché par leur geste. Selon ses auteurs, il est impossible de mener des recherches sociales sans tenir compte de politiques publiques, qu'elles soient économiques, sociales ou internationales. En définitive, cette polémique révélerait l'absurdité d'une maison d'édition se voulant « ouverte » mais qui semble… se fermer.

Et après?

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« Rien n'indiquait qu'une mesure aussi extrême se préparait », se désole Jacques Sapir, regrettant cette « pression » lui interdisant d'alimenter son blog. Mais d'où le coup est-il parti? « Je savais, depuis 2014, que mon carnet suscitait la jalousie de certains collègues ». Aujourd'hui, bien des questions restent sans réponse: « je suis dans l'incapacité de mettre un nom sur un ‘responsable' potentiel, si ce n'est sur Monsieur Marin Dacos », accuse-t-il avant de relativiser: « mais ce dernier n'a fait qu'agir au nom d'autres personnes ». Le nom d'Alain Beretz, supérieur de Dacos au Ministère de l'enseignement supérieur, circulerait.

« Le fait qu'ils aient décidé une ‘suspension' de mon carnet montre d'ailleurs qu'ils se laissent la possibilité de faire machine arrière », espère Jacques Sapir: « je maintiens ma demande: que la possibilité de publier sur RussEurope me soit rendue ». Pour l'instant, celui-ci a pu créer un blog de secours, RussEurope-en-Exil, hébergé par Olivier Berruyer sur Les-Crises.fr. Mais, « comme tout exilé », Jacques Sapir n'aspire « qu'à une chose: retrouver sa maison… »

Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur.

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