Coopération européenne dans armement, les militaires écartés de l’équation ?

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Les coopérations dans le domaine de l’armement entre les pays européens sont dans le rouge. Si cet aspect concerne essentiellement l’économie et si les décisions politiques en sont parfois la cause, qu’en est-il réellement pour les armées concernées? Leurs besoins spécifiques sont-ils vraiment pris en compte dans ces coopérations? Analyse.

Gabegie généralisée dans la coopération européenne en matière d'industrie de défense! Un rapport de la Cour des comptes pointe du doigt dérives budgétaires, surcoûts injustifiés et autres gâchis dans les programmes phares d'armement européen.

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Construire des avions de transport militaires, des hélicoptères de combat ou des navires de guerre à plusieurs est pourtant supposé permettre économies d'échelle et indépendance stratégique pour les pays européens en quête d'un minimum d'autonomie industrielle. Une vision qui place le gestionnaire avant le soldat?

«Les besoins militaires sont fonction des missions qui leur sont fixées par les différents gouvernements. Très schématiquement, vous avez en Europe deux pays qui n'ont pas arrêté de faire la guerre depuis 1945, la France et le Royaume-Uni et qui ont des armées qui sont destinées à la projection. […] Le seul besoin opérationnel commun que nous avons en matière d'outils de combat concerne la France et l'Angleterre.»

L'Amiral Alain Coldefy, ex-numéro deux des armées et directeur de la revue «Défense nationale» rappelle que le premier point à mettre en avant dans un programme d'armement est les besoins des militaires. Des besoins communs entre les armées française et anglaise, donc, mais qu'en est-il de notre principal partenaire, ou du moins présenté comme tel?

«Les autres armées n'ont pas du tout les mêmes missions. L'armée allemande est une armée parlementaire qui est intégrée dans l'OTAN et qui la mission est de défendre le sol allemand.»

S'il rappelle que, depuis la décision de la Cour Constitutionnel de Karlsruhe, l'armée allemande a l'autorisation à se déployer à l'étranger, comme elle l'a fait en Bosnie ou en Afghanistan, sa mission principale est la défense de son territoire et donc les besoins de son armée sont largement différents des celle de la France.

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Le cas des avions de transport militaires est significatif. Alain Coldefy rappelle que Français et Allemands ont coopéré pour mettre au point le C-160 Transall. Ils ont commandé le même nombre d'appareils dans les années soixante afin que partenariat soit égal entre les deux pays. Mais après des décennies, on remarque que les pilotes allemands n'ont volé qu'un tiers du temps des pilotes français. Cette différence s'explique principalement par la différence de missions entre les deux armées: la France se projetant, traversant le monde, alors que l'Allemagne se limitant essentiellement à son territoire. Donc pour le nouveau programme commun, celui de l'A400M, les choses ont évolué et la coopération est plus fragile:

«Les Allemands ont réduit la voilure sur l'A400M, parce qu'ils n'en avaient pas besoin opérationnellement. Ils avaient affiché un chiffre égal aux nôtres pour avoir un partage équitable. Donc finalement, la coopération fonctionne lorsqu'il y a une structure très forte, Dassault par exemple qui est le chef et qui a sept sous-traitants. Il faut soit qu'il y ait un leader incontesté, soit vous êtes fifty —fifty, il faut vraiment être à égalité partout.»

Au-delà de besoins divergents, l'ex numéro deux des forces armées françaises souligne que les difficultés de coopération dans l'industrie de défense tient bien souvent… dans la structure même de l'industrie, très différente en France et en Allemagne.

«Culturellement, les Allemands, parce que c'est un pays fédéral, ne veulent pas de capitaux étatiques dans l'industrie, il n'y en a pas. Alors qu'en France, avec l'exemple de Naval Group, les capitaux sont à très forte majorité étatique. La coopération, la fusion ou l'intégration sont donc impossibles.»

Des propos que l'amiral Coldefy tient immédiatement à nuancer:

«Il est clair que, chaque fois que l'on a des besoins qui ne sont pas des besoins de frontline, qui sont des besoins de logistique, de transport, de communication, etc., et même les missiles, on peut arriver à trouver [une coopération utile, ndlr].»

En effet, il serait absurde de considérer que la coopération dans le domaine de l'armement entre les pays membres de l'Union européenne ne peut que donner des résultats négatifs. Mais, reprenant l'exemple de la coopération franco-britannique, qui pour l'amiral «marche du feu de Dieu», elle n'est pas pour autant évidente, parce que chaque nation a sa culture, ses habitudes, ses techniques:

«Et même avec les Britanniques où l'on est entièrement d'accord, on n'arrive pas tout à faire à s'entendre sur le design et sur les capacités pour les bateaux par exemple, alors qu'on fait exactement les mêmes missions. Mais dans leur esprit, certaines choses sont fondamentales. Là, on rentre dans la technique, séparation par tranche ou par pont, etc. parce qu'ils ont leurs histoires d'explosions, de naufrages, de dommages de guerre, alors que nous, on a la nôtre.»

Mais alors, quelle coopération fonctionne? Il considère que, pour les militaires, le cas STX n'est pas un problème, parce que les navires de guerre sont fournis par Naval Group, entreprise navale française, un cas, donc où le leadership est clair. Concernant la coopération autour des blindés, Alain Coldefy estime également que KNDS, regroupant le français Nexter et l'allemand KMW, est une coopération qui va dans le bon sens, avant de mettre en avant l'exemple de la filière missilière, autour de MBDA.

«Les missiles MBDA, la coopération fonctionne parce que c'est intégré depuis très longtemps. Tout ce qui est purement français marche. Et tout ce qui est en coopération, finalement cela fonctionne un jour.»

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Par ailleurs, outre leurs besoins militaires et leur culture industrielle différents, les pays membres de l'UE qui développent des coopérations se retrouvent confrontés à une autre difficulté d'envergure, le temps. S'il cite Airbus, l'amiral Alain Coldefy considère que, notamment sur les projets d'envergure, le facteur temps est un handicap pour les pays européens face à leurs concurrents. Même s'ils sont considérés comme des alliés politiques, dans l'industrie militaire, les États-Unis sont une menace:

«Il ne faut pas oublier que derrière tout cela, dès qu'il y a une volonté de faire quelque chose d'assez costaud en Europe, les Américains arrivent par-derrière avec leur industrie et ils raflent tout. […] Je vous ai cité volontairement que trois pays [France, Royaume-Uni, Allemagne] de l'UE, parce que les 25 autres […] obéissent aux diktats de l'industrie de défense américaine.»

Si l'achat de matériel militaire américain par les pays membres de l'Union européenne n'est plus à démontrer, l'exemple de l'avion de combat américain de 5ème génération F-35 pourrait illustrer la pensée d'Alain Coldefy: alors que le Royaume-Uni, l'Allemagne, l'Espagne et l'Italie ont largement coopéré et donc investi pour fabriquer l'Eurofighter Typhoon dans les années 1990 et 2000, l'expérience n'a pas été renouvelée. Ainsi, cinq pays membres de l'Union européenne, dont le Royaume-Uni et l'Italie, ont choisi d'investir dans le programme F-35 de Lookheed-Martin donc piloté par les États-Unis, au détriment de la conception d'un nouvel avion européen. Un choix qui se retrouve logiquement dans les renouvellements de leurs flottes aériennes.

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