Quand la France se mêle de Génocide

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Lorsque le futur Président François Hollande évoquait l’affaire de la loi votée par le Sénat en janvier 2012, il indiquait vouloir rompre avec ces méthodes. Mais il y a deux jours, le président de la République a fait une déclaration tonitruante qui fait aujourd’hui scandale.

Force est de constater qu’en France l’histoire est une passion nationale qui fait vibrer les cœurs, qui déclenche les débats et enthousiasme le public. Cet enthousiasme depuis quelques décennies semble être une préoccupation constante chez les politiques qui ne se privent plus de prendre des positions et de donner le « La ». En janvier, la France donc votait une loi condamnant sévèrement la négation des génocides jetant dans l’émoi la Turquie très sensible sur un sujet sulfureux qui décidément ne cessera pas de lui créer des barrières diplomatiques qu’elle aura toujours du mal à franchir.

Si la loi, ne prononçait pas clairement le génocide arménien nié par la Turquie depuis déjà presque un siècle, c’est d’une manière inévitable que cette dernière a prise au premier degré cette loi franco-française. Il est en effet de notoriété publique que la France a dans son sein une diaspora arménienne appréciée et intégrée qui a offert à la France quelques grands talents. La France pourtant et malgré ce fait, n’a reconnu officiellement le génocide arménien que tardivement par rapport à la vingtaine de pays qui ont fait ce pas.

Ainsi l’Uruguay est le premier pays, en 1965, à avoir légiféré sur la question et reconnu le Génocide arménien officiellement. Il fallut attendre 30 ans pour que la Russie par son assemblée, la Douma, reconnaisse également ce génocide, la France ne franchissant cette borne qu’en 2001. Dernièrement en 2010, l’Irlande du Nord, le Pays-de-Galle et l’Ecosse ont également légiférés sur cette question alors qu’Israël étudie la possibilité d’une reconnaissance. Le problème bien évidemment est au cœur de manipulations politiques nationales et internationales qui font aujourd’hui encore beaucoup de vagues.

La question essentielle se situe sur l’existence ou non du Génocide arménien. Sur cette question, les historiens ont fait depuis longtemps leur travail et les atrocités commises par l’Empire Ottoman contre les arméniens et de très longue date bien avant les années 1915 et 1916, ne font aucun doute. Beaucoup d’encre là encore a coulé pour commenter l’ampleur et l’atrocité des massacres, macabres comptages et sombres débats qui pour les uns et les autres ne sont une fois encore qu’un moyen de minimiser ou de maximaliser l’horreur. 600 000, 850 000, 1 million, un million et demi ? Dans le fond peu importe, l’extermination des arméniens pour leur appartenance à une ethnie, voire leur religion a été reconnue et ne peut être mise en doute par le gouvernement turc.

Pourtant la Turquie poursuit malgré de faibles oppositions intellectuelles internes sa politique de négation, ayant légiférée à l’inverse contre ceux qui viendraient battre en brèche l’histoire officielle. Après presque un siècle, il est évidemment très difficile pour la Turquie moderne d’avouer avoir mené une politique négationniste à de sombres fins, puis à des fins de politiques intérieures, le retour en arrière semblant impossible. D’un autre côté, en s’engageant vers la voix de la reconnaissance, le gouvernement turc avouerait une faiblesse, une erreur qui ferait certainement sauter ou discréditerait dans l’opinion ceux qui prendraient une telle décision. L’aspect financier est également sans doute une puissante raison, car la Turquie comme en son temps l’Allemagne se verrait sans doute contrainte à payer d’énormes indemnités aux familles des centaines de milliers de victimes.

La Turquie malgré les désavantages internationaux très handicapants ne peut nous le voyons pour des causes de politiques internes se plier à la reconnaissance officielle du Génocide arménien. Bien sûr c’est avec tristesse que je le dis, car en tant qu’historien, voir un aussi grand pays que la Turquie héritière de l’Empire Ottoman qui fut sur le point de dominer le Monde s’enliser dans une telle mauvaise cause ne peut qu’attrister. Mais c’est aussi en tant qu’historien que je regarde effaré mon pays, notre gouvernement et nos politiques perdre leur temps à jouer aux historiens. Car enfin, il faut bien le dire, il s’agit bien là d’une question d’historiens et non de politiques. Monsieur Hollande donc, comme par le passé quelques autres membres du paysage politique français, s’avance sur les voies de la démagogie où nous devons le mettre en garde de poursuivre.

L’histoire en effet est trop souvent, pour ne pas dire tout le temps, l’éternelle prisonnière, l’éternel otage des courants politiques. Sans vergogne l’histoire est instrumentalisée et flouée, en particulier par la presse, et par la presse française n’en déplaisent à mes concitoyens. C’est également dans la tristesse que je dis cela, car je suis à la fois historien et journaliste, et il ne se passe pas à un jour dans mon métier pour que j’assiste impuissant aux fleurissements médiatiques d’articles pseudos historiens censés informer la population. Je mettais moi-même en garde contre les méthodes éhontées employées dans l’histoire de la Guerre d’Algérie, c’est malheureusement un exemple parmi beaucoup d’autres.

Nous devrions déjà rappeler que l’origine du mot Génocide est tout à fait récente, pour beaucoup, ce mot semble sortir de la puissance et de la profondeur des âges, dans des temps immémoriaux où l’homme allégrement pourfendait ses semblables. Le mot est toutefois seulement de 1944… et fut associé devons-nous le dire aux massacres de masse des juifs, la Shoa sombre épisode de la Seconde Guerre mondiale. Très vite, les penseurs ont évidemment associés ce mot à l’affaire arménienne avec raison, et la brèche étant ouverte bientôt à d’autres tâches de l’histoire. En France récemment, M. Secher en 1985 appuyé par quelques sommités de la Sorbonne a lancé la question du Génocide vendéen.

L’événement, ou plutôt ce faux événement a donné lieu à de pitoyables passes d’armes, entre une Université française traditionnellement à Gauche dans les courants des années 70, et qui se retrouvait surprise d’avoir enfanté un tel débat historique et politique. C’est ainsi que sorti de son contexte historique le Génocide vendéen se retrouva politisé et l’objet d’un énorme scandale. M. Jean-Clément Martin dans un ouvrage La Vendée et la Révolution édité en 2007 s’est encore penché sur le sujet du Génocide vendéen. L’affaire là encore est simple, les bleus d’un côté, les blancs de l’autre, et vous voici plongés dans une rocambolesque histoire d’historiographie où les meilleurs spécialistes comme Monsieur Martin y perdre piteusement leur latin tout en essayant de nous convaincre du non-sens de la reconnaissance du terme Génocide pour un événement survenu 150 ans avant l’invention du terme.

Devons-nous pour autant avaliser les massacres ? Bien sûr que non, et dénoncer avec force ces populicides reste un des devoirs de l’historien. Si nous poussions plus loin la réflexion nous pourrions également nous demander de la pertinence d’un Génocide amérindien commis par les Anglais puis par les Américains, mais aussi de celui commis par les Espagnols et les Portugais en Amérique Centrale et de combien d’autres dans l’histoire ? Devront nous imposer aux Grecs et aux Italiens de demander pardon pour l’esclavage, ainsi que la longue litanie des peuples esclavagistes dans le Monde… Huns, Turcs, Arabes, Portugais, Français, Anglais, Américains ? Les Turcs devront-ils demander pardon pour les massacres de Chios ou la France pour la Saint-Barthélemy ? Les peuples scandinaves devront-ils payer des indemnités pour tous les massacres commis en Europe par les Vikings, notamment un jour de Noël à Nantes ?

C’est dans de tels excès qu’aujourd’hui la France se propose par le biais de son président de la République de demander une loi contre la négation des génocides et particulièrement celui des Arméniens. En tant qu’historien, je ne peux que m’insurger devant ce déni de l’histoire, car l’histoire et non pas celle construite par les politiciens n’appartient qu’aux historiens et par eux à tous les habitants de la Terre. Avons-nous en France assez d’argent à perdre pour faire perdre leur temps à 600 députés pour discuter, ergoter sur une affaire qui n’est pas de leur ressort ? Le président François Hollande a-t-il vraiment besoin d’une telle manœuvre démagogique alors que nous sommes plongés dans une crise sans précédent qui réclamerait son énergie ailleurs ?

L’Histoire, les historiens se chargeront de poursuivre le combat pour l’établissement des faits. Depuis 2001, la France est entrée dans les pays reconnaissants le Génocide arménien, c’est un fait et une bonne chose. Mais là s’arrête le travail du politique et nous espérons vivement qu’après les fanfaronnades déclarant la loi sur les négations des génocides inconstitutionnelle, Monsieur Hollande qui vient de déclarer vouloir en construire une nouvelle ne continuera pas la longue histoire des ingérences politiques dans le métier des historiens. Sont-ils entendus par ailleurs ? C’est véritablement à se demander si l’influence des historiens dans la vie de la société n’a pas été réduite à néant dans les dernières décennies car aujourd’hui les journalistes, les politiques peuvent sans vergogne « surfer » sur l’histoire, ayant de fait, une audience plusieurs dizaines de fois supérieure aux professionnels de l’histoire. Et ce constat augure mal de l’état de la Démocratie dans un pays, même comme la France. /L

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