Quand la brume s’épaissit …

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Le cinéma, tout comme la philosophie ou la littérature (si grande différence il y a), reflète à merveille les humeurs de la société. Indicateurs-baromètres infiniment précieux, ces films que l’on voit, ces livres que l’on lit, donneront à nos descendants une image tout à fait claire de ce qu’étaient nos pensées profondes, nos motivations.

Le sujet étant vaste, je voudrais fournir aujourd’hui l’ombre d’une brève réflexion sur la valeur psycho-sociale de notre cinéma et, quand je dis « notre », je sous-entends et le cinéma russe, et le cinéma français. L’esquisse d’une analyse comparée s’impose tout naturellement.

Peut-être suis-je prompte à m’étonner, mais à vrai dire, le choix des films présentés au Festival de Cannes m’a laissée songeuse. Que ce soit « Amour » de Michael Hanek, titulaire de la Palme d’or (pour la deuxième fois d’ailleurs depuis 2009 !) ou « Dans la brume » de Vladimir Svirskiy, on balance entre deux situations extrêmes, respectivement fondées sur l’échéance morale et le choix au-delà de toute logique humaine, au-delà de ce que la guerre et un régime totalitaire offrent d’options. Aimer et devoir accompagner l’être cher jusque dans la mort simplement parce qu’il faut bien que quelqu’un y passe le premier. Laisser ou enlever la vie simplement parce que les circonstances acculent à cette échéance souveraine. Oui, là encore, l’échéance. L’imminence. La fatalité dans les deux cas. La teneur énergétique des deux films épouse la sobriété la plus totale, les couleurs les plus ternes. Dans un clair-obscur ambiant, l’obscurité se prélasse à l’ombre de la lumière, comme le déclin, la peur, le désespoir à l’ombre de la vie en attendant de se redresser, tête haute, faisant une révérence respectueuse à ce refuge du temps dont elle n’a plus besoin.  Amouret Dans la Brume,voici donc deux créations symptomatiques qui dressent le bilan de nos soucis. Au fin fond des forêts biélorusses, c’est une soif de patriotisme et de justice, d’un soupçon de justice au-delà du bien et du mal que l’on attrape par une patte. C’est l’inextricable problématique de la trahison que l’on saisit par le collet. C’est, somme toute, l’humain dans l’inhumain, la lanterne contre le feux follet, que l’on recherche à en perdre haleine. N’y a-t-il pas un lafontainisme assez net dissimulé dans le coffre-fort de ce film qui, selon les dires de Mr. Svirskiy lui-même, « n’est pas (…) sur la guerre mais sur des gens qui se trouvent dans des situations particulières » ? A un niveau global, c’est notre société, celle des années 10 du XXI siècle qui s’avère visée et à fort bon escient. Fait doublement intéressant : je ne sais si cela avoisine le reproche, le constat neutre ou une forme d’admiration modestement réprimée, mais l’on a plus d’une fois attribué à la Brume des vertus visuelles amplement dominantes sur les vertus auditives. Pourquoi ? Sans prétendre pénétrer dans le dessein du réalisateur, je présume qu’il y a là, premièrement, une tentative de s’adapter à la perception picturale d’une société de moins en moins sensible aux paroles, deuxièmement, renforcer l’effet de cette zone tiède et fade, de ce degré éthique zéro où les repères sont brouillés jusqu’à l’effacement. Entreprise réussie si l’on ne tient pas compte des critiques un brin pointues qui ont été formulées contre la stylistique traînante et langoureuse d’un film relativement long.

Enfin, à mon humble sentiment, il y a viscéralement un autre aspect : ce n’est pas tous les jours que la France prête attention au cinéma russe … surtout au cinéma patriotique, car, quoi qu’en dise l’auteur du film, l’action se situe non pas dans un bureau, mais à la guerre, en 42, partisans biélorusses de tous côtés. Cette reconnaissance inopinée d’un film assez spécial me laisse croire que cela sent le grillé, car la France a toujours eu cette tendance historique curieuse de regarder côté Russie quand ça ne tournait pas rond. A en juger par la tonalité du film, je ne m’égare pas tant. La brume s’épaissit

La rhétorique de la Palme d’or, du film Amour, est teinté d’une mélancolie dénudée, sans complexe, celle qui marque le déclin quand tout est vécu et il n’y a plus rien à cacher. Poignant, fort de par sa simplicité, on se sent presque dans la peau de ces deux octogénaires qui se trouvent au seuil de la séparation définitive.

Sobriété de la lute intérieure quand la mort guette, quand le régime pèse. Sobriété du déclin paisible et douloureux, celui d’une fin logique. Ainsi obtient-on deux axes superficiellement concomitants mais qui, à les superposer, constituent à eux deux une dialectique flagrante. Celle de la résistance et celle de la résignation. Tels sont donc les deux mots clés qui à l’heure actuelle animent la société française.  

Le cinéma russe tel que je le vois à l’heure présente est rigoureusement assis sur deux sièges : historico-patriotique (il pleut des films sur la 2 Grande Guerre !) et psychologique, toujours avec une touche perceptible de lyrisme. Là encore, l’explication ne se fait pas attendre : le pays a besoin de reprendre racine, de se reforger son authenticité, de reprendre la vie à pleins poumons. La dialectique ouverte du cinéma russe, ouverte, c’est-à-dire  tendant à une synthèse bien définie, appuyée sur des notions soigneusement délimitées, rappelle assez les vieux films français doués d’un élan vivifiant. Quant aux œuvres sélectionnés par le cinéma français … quand même elles semblent supérieurement vivifiantes – je songe ici aux Intouchables, – introduisent un dramatisme sans issue réelle, phénomène que je me permettrais de désigner par dialectique fermée ou négative. La synthèse demeure inabordable, projetée en-deçà des réalités sociales. Une fois de plus, le Festival de Cannes nous a permis de lire à livre ouvert ce qui se devine entre les lignes de la presse et les témoignages des gens.

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