Quand la danse nous chante des histoires

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Il existe différentes façons de verbaliser l’Art, de revêtir le sentiment, d’illustrer, par le corps, le mouvement, la grâce, ce qui fait de nous des êtres non seulement doués de raison, mais aussi de sensibilité toute humaine.

On se demande si le Beau sert toujours le Bien. Si la réponse est généralement discutable et tend à un « non » catégorique, les hésitations s’estompent aussitôt qu’il s’agit du ballet, un art à part mêlant toutes formes de théâtralité, toutes formes de verbalisation. C’est en dilettante totale que j’ai interrogé Mme. Ethéry Pagava, une chorégraphe brillante aujourd’hui octogénaire qui a accepté de m’accorder un quart d’heures de conversation téléphonique. Je vous laisse profiter de ses confidences et considérations sur le ballet tel qu’il apparaît à l’heure actuelle et sur la danse classique d’une manière plus générale (ci-dessous, transcrites, des extraits de conversation. Certaines parties sont à écouter dans leur intégralité).

La VDLR. Vous êtes une chorégraphe de renom, une franco-géorgienne connue dans le monde entier pour des interprétations fabuleuses. Je pense notamment à La Somnambule de Balanchine, à la Tragédie de Vérone, à la Fille mal gardée etc. Vous avez fondé votre propre compagnie, les Ballets Ethéry-Pagava, puis d’autres chorégraphies devenues elles aussi célèbres. C’est donc à une danseuse en herbe que je m’adresse ce soir pour lui demander comment est-ce qu’elle voit l’évolution du ballet aujourd’hui. En France ? En Russie ? D’une façon générale, êtes-vous satisfaite de la voie empruntée par les danseurs de la nouvelle génération ?

Ethéry Pagava. C’est en effet une bonne question. J’en ai parlé aujourd’hui avec l’Inspectrice de la danse, à Paris, des conservatoires. Et bien, comme toujours dans la vie, il y a un progrès sur le plan technique, énorme quand même – les danseurs classiques font des prouesses –mais par contre, personnellement, je trouve (et je ne suis pas la seule) qu’il y a moins d’expression dans le mouvement. Comme l’Art est le reflet d’une époque, je dirais qu’un peu dans tous les arts la technique et la virtuosité prend le pas sur l’expression et l’intériorité. Alors il y a de merveilleux danseurs, aussi bien en Russie qu’en France, de très belles compagnies et de grandes exceptions aussi … car ce qui compte, c’est d’être un artiste … ! mais je dirais que l’enseignement actuel vante la prédominance de la virtuosité et moins de l’émotion, de la vibration qui fait que le public est ému, heureux. Voici la tendance actuelle. Je ne peux pas dire que c’est moins bien qu’avant, je pourrais dire que c’est autre chose (…). La technique, pour moi, ce n’est pas une fin en soi. C’est un moyen de s’exprimer. Cette vision se perd (…). La technique discipline le corps – je fais moi-même des exercices tous les jours – mais il faut savoir, oubliant un peu la technique, exprimer surtout et avant tout la musique. Je disais dernièrement à mes élèves que ce sont les bras qui font la mélodie. Les bras sont hélas moins importants qu’avant ce qui enlève à la danse de sa poésie naturelle. La prédominance est accordée aux jambes qu’on lève très haut, beaucoup plus haut que jadis, aux tours etc. Bref, à diverses virtuosités qui sont importantes … Je rêve quant à moi au moment où on arriverait à concilier cette technique époustouflante qu’on retrouve à présent à l’émotion qui existait davantage naguère. L’enseignement que j’ai suivi en France – comme vous dites, je suis géorgienne – a été assuré par des professeurs russes qui étaient là, qui étaient de merveilleux artistes et qui avant tout nous ont appris, enfants, même déjà dans les exercices, à être dansant et à exprimer la musique (…).

La VDLR. L’intérêt pour le ballet en France, est-il le même qu’en Russie ?

Ethéry Pagava. La Russie est un peu la patrie de la danse. C’est déjà un fait déterminant. Pour la France : il ne faut pas oublier que Petipa était français. Il y a certes un intérêt pour la danse mais peut-être moins qu’en Russie. En France, la danse contemporaine a pris énormément d’essor. Je reconnais qu’il y a parfois de la très-très belle danse contemporaine, il y a de beaux ballets. Mais, actuellement, cette danse contemporaine ressemble plus à de la danse expérimentale … ce qui donne parfois des résultats fastidieux. Donc, il y a un intérêt estimé en France pour la danse contemporaine, mais le public, malgré tout, reste extrêmement fidèle à la danse classique. Ce sont plus les organisateurs qui essayent de faire pencher la balance vers le contemporain (…). A noter qu’il y a moins de danse classique en France qu’avant. C’est un peu dommage, même s’il y a toujours l’Opéra de Paris qui reste une très-très belle compagnie. En revanche, les différentes compagnies qu’il y avait même en province se sont peu à peu dissoutes, éteintes, ouvrant ainsi la voie au registre contemporain. Beaucoup de gens le regrettent, parce que le nouveau registre est un peu trop intellectuel et donc un peu ennuyeux … En Russie, par contre, les ballets restent merveilleux. J’ai vu, par exemple, Flamme de Paris que des danseurs russes étaient venus danser dans la capitale française – ballet dans lequel avait dansé Tsiskaridze – c’était très beau ! (…).

La VDLR. Vous avez mis en scène un certain nombre de spectacles inspirés de l’Histoire. Je pense au Rêve de d’Artagnan, aux Chevaliers de la Table Ronde. Pourquoi ce choix ? Aspiriez-vous à un rapprochement de l’Histoire et de l’Art ?

Ethéry Pagava. Ca vient de loin, parce que, quand j’ai dansé dans les Ballets du Marquis de Cuevas ou à La Scala de Milan, j’aimais beaucoup interpréter les rôles. J’ai dansé dans tous les répertoires classiques, à savoir Giselle que toute étoile rêve de danser, Le Lac des cygnes … et malgré tout, j’avais crée en Europe – parce qu’en Amérique c’était Danilova qui l’avait crée – La Somnambule de Balanchine. Mais c’est bien moi qui l’ai crée en Europe et c’était un grand rôle ! J’ai dansé Juliette, j’ai dansé Antinéa dans l’Atlantide qui était un opéra où j’étais la seule danseuse. Donc, déjà, je racontais des histoires. Sans oublier de dire que quand j’avais douze ans, j’avais fait un récital de danse avec mes chorégraphies … on m’avait d’ailleurs appelé le Petit Nénuphar, Nénuphar étant un grand maître de l’époque, on est toujours marqué par son influence … Je racontais donc des histoires. Une fois devenue chorégraphe, ça m’est resté en moi-même cette envie, par la danse, d’exprimer de belles histoires que j’aimais beaucoup : d’Artagnan, le Roi Arthur que j’ai monté dernièrement (…). Ma préoccupation était surtout d’amener un nouveau public à la danse. C’est pour cela d’ailleurs qu’avec mon époux, le chanteur Jacques Douai, on avait un théâtre pendant vingt ans, le Théâtre du Jardin, où on travaillait avec les enfants pour qu’ils puissent découvrir la danse (…).

Voici, reflété à travers certaines réflexions de fin connaisseur, le parcours passionnant d’une personne non moins éprise de l’Art que de la vie, porteur d’une vocation rare dans un domaine qui prête à rêver. Heureusement qu’il y a des gens de cet acabit pour rendre meilleur un monde dans lequel il manque toujours un peu de lumière.

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