Cinq obstacles à la paix en Syrie

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Moscou et Washington travaillent enfin coude à coude pour trouver une sortie de crise, du moins en termes de diplomatie publique, dix mois après que le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a reconnu que le conflit syrien était bien une guerre civile.

Moscou et Washington travaillent enfin coude à coude pour trouver une sortie de crise, du moins en termes de diplomatie publique, dix mois après que le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a reconnu que le conflit syrien était bien une guerre civile.

Leur plan consiste à organiser une conférence – initialement prévue pour juin – pendant laquelle le régime syrien et l'opposition entameraient les négociations. Objectif? Trouver le moyen de créer un gouvernement de transition et parvenir à un règlement politique du conflit.

L’idée n’est pas révolutionnaire: un tel plan a déjà été approuvé de facto par les deux camps et un certain nombre de médiateurs internationaux pendant la conférence de Genève en 2012 – et il a été enterré par le conflit en l'espace de quelques semaines. Personne ne respectait les accords.

Le nouveau plan aura-t-il plus de succès? RIA Novosti a consulté les meilleurs experts russes sur le Proche-Orient, qui ont identifié cinq obstacles à la paix en Syrie.

Le régime craint un "nettoyage"

La paix nécessitera le départ d'une partie de l'élite dirigeante. Non seulement du président Bachar al-Assad (qui refuse catégoriquement de le faire) mais aussi les dirigeants des forces armées et des services de sécurité, estime Vladimir Akhmedov de l'Institut d'études orientales à l'Académie des sciences de Russie. Cela signifie que les hauts fonctionnaires dont il est question devront renoncer au pouvoir – ce qui est très peu probable. De leur côté, les rebelles devront faire des concessions et offrir des garanties de sécurité à des personnes qu'ils ont pourtant menacé d'exécuter à maintes reprises.

Les moujahiddine ne veulent pas de compromis

Hormis les représentants des forces modérées qui soutiennent l'opposition, la Syrie déborde d'islamistes armés, dont beaucoup sont des jihadistes professionnels venus d'autres pays.

Certaines organisations islamistes comme l'influent Front islamique de libération de la Syrie (FILS), sont disposées à dialoguer, tandis que d'autres – le Front al-Nosra lié à Al-Qaïda ou le Front islamique syrien veulent la mort d'Assad et instaurer la loi de la charia: il est donc peu probable qu'ils fassent des concessions. Selon Boris Dolgov, expert à l'Institut d'études orientales, les extrémistes pourraient être privés de soutien et éliminés seulement si les forces modérées de l'opposition et le gouvernement s'unissaient – ce n'est pas une tâche facile étant donné le fossé qui les sépare.

Les forces modérées sont faibles et divisées

Quand le conflit a commencé en mars 2011, il était encore un mouvement pacifique vers des changements démocratiques. Les forces modérées dominaient encore politiquement l'opposition, notamment au sein de la large Coalition nationale syrienne qui a été reconnue comme représentante du peuple syrien par vingt pays occidentaux et arabes, dont les Etats-Unis, la France, l'Allemagne, le Qatar et l'Arabie saoudite. Mais lorsque les manifestations ont été impitoyablement réprimées par les autorités et ont dégénéré en guerre civile, les libéraux ont perdu une grande partie de leur influence et ont été progressivement mis de côté par les radicaux armés de Kalachnikov. Pour que les négociations soient couronnées de succès les libéraux doivent récupérer leur autorité d'antan et se retrouver à nouveau au centre de l'attention, ce qui sera difficile au vu du désaccord entre les forces et organisations d'opposition, qui se disputent le leadership au sein de la Coalition nationale.

L'Iran et le Hezbollah ont besoin d'Assad

Damas est le principal allié de l'Iran au Proche-Orient. De plus, les livraisons d’armes destinées à un autre allié iranien – le mouvement politique militarisé du Hezbollah au Liban – passent par la Syrie. En clair l'Iran, ses partenaires et ses ennemis géopolitiques ont tous leurs propres intérêts dans ce conflit:

- Les combattants du Hezbollah se battent aux côtés d'Assad et l'Iran a déployé en Syrie des troupes de son Corps des Gardiens de la Révolution islamique, une unité spéciale de l'armée iranienne. Selon certains médias, 120 000 volontaires sont en attente en Iran, prêts à rejoindre le conflit pour empêcher le renversement d'al-Assad.

- La Ligue arabe – dont la majeure partie des 22 pays membres sont sunnites

- (et donc opposants traditionnels de l'Iran chiite) – fournirait des armes à l'opposition syrienne, avant tout aux jihadistes. Ils ne soutiendront pas le plan prévoyant le replacement des extrémistes religieux par les libéraux, principalement laïques, bien qu'il soit possible de convaincre les pays de la Ligue de ne pas s'ingérer trop activement, estime Akhmedov.

- Autre ennemi de l'Iran : les Etats-Unis, qui avec l'UE fournissent aux rebelles syriens tout à l'exception des armes - des médicaments, des moyens de communication, des blindés.

- Un armement ouvert des ennemis d'Assad est le "plan B" de l'Occident au cas où les négociations à venir échouaient, déclare Akhmedov, mais cela ne contribue certainement pas aux négociations de paix.

Comment apaiser les passions?

La tension, la force et la nature de la violence en Syrie sont simplement "moyenâgeuses", pour reprendre les propos d'un analyste. La majorité des crimes ont été certainement commis par des combattants étrangers, les membres d'un noyau réduit composé des forces gouvernementales et de criminels récidivistes invétérés qui ont fui les prisons dans la confusion du temps de guerre. Mais le rebelle qui a été filmé en avril dernier mangeant le cœur et le foie d'un soldat ennemi était un Syrien ordinaire, devenu fou suite aux abus et aux traitements infligés par les soldats d’Assad à sa famille et ses amis. "Le pays est empoisonné par la violence", déclare Irina Zviaguelskaïa de l'Institut des relations internationales de Moscou (MGuIMO). Aucun conflit civil, aussi furieux et féroce qu'il soit, ne dure jamais éternellement – prenons l'exemple du Rwanda, des Balkans ou du Caucase – mais la fin (ou au moins le "gel") de telles guerres a nécessité une intervention étrangère intensive, parfois des troupes de maintien de la paix. Dans le cas de la Syrie, aucun médiateur hypothétique (y compris Moscou et Washington) n'a encore déclaré être prêt à envoyer son armée. Or si l'on laissait les passions s'apaiser elles-mêmes, ce processus pourrait prendre des décennies.

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