Policiers: «On sait qu’il y a des armes dans les cités, et on n’a aucun ordre pour aller les récupérer»

© Photo Pixabay / worldspectrumArmes à feu, image d'illustration
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600 armes saisies et une centaine d’individus mis en cause par 350 gendarmes dans 50 départements. Un vaste coup de filet qui avait débuté dans une petite commune sans histoire de Seine-et-Marne. Une réussite qui masque cependant l’absence de consignes ciblant les trafiquants les plus lourdement armés, dans les zones les plus sensibles.

Tout a commencé en mars 2019 avec l’interpellation de quatre individus dans de petites communes sans histoire de Seine-et-Marne. C’est un quinquagénaire passionné d’armes, cadre dans le BTP et inconnu de la justice, qui remilitarisait des pièces dans une vieille bâtisse de Darvault. Mais l’air du temps est glocal! Le trafic s’est révélé «national et international», avec des armes qui proviennent des États-Unis et de Serbie. Du 8 au 10 octobre, l’opération a mobilisé 350 gendarmes qui ont mis la main sur 400 armes d’épaule, dont une vingtaine de fusils d’assaut, et plus de 200 armes de poing, à travers 50 départements. «Le démantèlement de ce type de réseau s’inscrit dans la lutte contre la prolifération d’armes dont certaines sont parfois utilisées dans des affaires en lien avec la criminalité organisée», souligne Philippe Astruc, le procureur de Rennes.

La lutte contre la prolifération des armes, un mirage?

Les 600 armes interceptées feront naturellement augmenter le chiffre des saisies annuelles, de l’ordre de 4 à 5.000 par an. Mais l’opération reflète-t-elle pour autant une amélioration de la lutte contre la prolifération des armes? Le coup de filet impressionnant a de quoi étonner: «ce qui est surprenant, c’est qu’on laisse nos collègues aller jusqu’au bout de la procédure», constate Alexandre Langlois du syndicat de Police VIGI. Car la réalité du trafic d’armes s’accompagne d’habitude de la passivité des autorités.

En juillet 2012, une note confidentielle du ministère de l’Intérieur évoquait un doublement du nombre de Kalachnikov saisies en France. «Nous avons saisi 3.910 armes à feu en France en 2011, déclarait le ministre de l’époque, Manuel Valls: par rapport à 2010, nous constatons une augmentation de plus de 44%.» Ainsi, le premier flic de France avait-il déclaré la guerre aux armes de guerre.

«Cette guerre de la com’ a été très impressionnante, mais dans la réalité rien n’a été fait, regrette Alexandre Langlois: on en est toujours au point mort». Le problème est profond, mais les décideurs auraient la vue courte: «les armes n’intéressent pas le grand public; il n’y a pas d’utilité à lutter contre celles-ci de manière électorale.»

«Les policiers sont assignés en fonction des objectifs prioritaires, en fonction de la com’ politique du moment, poursuit-il, alors que les policiers devraient assurer la sécurité de manière générale.»

Et Alexandre Langlois d’évoquer l’exemple symptomatique de l’attaque à la préfecture de Police: «les politiques n’ont jamais rien fait pour lutter contre le radicalisme dans la police. Après l’attentat, deux personnes sont suspendues pour radicalisation dans la foulée. Ils agissent toujours dans la précipitation, jamais sur le long terme.»

Deux poids deux mesures?

Le succès d’un tel coup de filet ne reflèterait donc pas pour autant une lutte plus efficace contre la délinquance qui gangrène le plus la France. Même si la détention d’une arme sans permis reste un acte illégal, le profil des personnes mises en cause semble nous éloigner des quartiers perdus de la République.

«Les collectionneurs [d’armes illégales] sont plus faciles à avoir»: «il n’y aura pas de vagues, ils ne vont pas se venger,» constate Alexandre Langlois. À contrario, «on sait que dans certaines cités, il y aura des vagues si on intervient.» Mais les autorités détournent le regard: «on sait qu’il y a des armes dans les cités, à droite à gauche, et on n’a aucun ordre pour aller les récupérer», déplore le patron du syndicat VIGI.

Un trafic en augmentation?

Le chiffre de 15.000 Kalachnikov présentes en France a circulé dans les médias, une estimation qui reste invérifiable: «tout ce qui est illégal est caché». Mais derrière les estimations, une réalité: Alexandre Langlois a le sentiment d’une prolifération du fait du bouleversement du banditisme. «Le trafic de stups a été morcelé entre plusieurs clans, explique-t-il: il n’y a plus de mainmise du grand banditisme, tous les petits clans vont régler leurs comptes en se tirant dessus». De surcroit:

«Le temps des braquages est quasiment révolu, il y a des secteurs beaucoup plus lucratifs qui ne nécessitent pas d’attaque à main armée. Donc les armes ne servent plus beaucoup à attaquer la police, mais plutôt à des règlements de compte entre trafiquants, à l’exception du terrorisme, mais ces derniers temps les attaques terroristes avec armes à feu sont moins courantes, elles se font davantage au couteau.»

Aux trafiquants s’ajoutent une deuxième catégorie de personnes, «les survivalistes» qui «s’équipent en prévision d’une catastrophe. Ils veulent se défendre, on trouve quelquefois des caches, entre 20 et 30 armes».

En définitive, force est de constater qu’«il n’est pas très compliqué d’avoir des armes en France de manière illégale». «Ça fait une vingtaine d’années que c’est plus facile, avec l’écoulement du bloc de l’est, avec des prix accessibles. Mais je pense que c’est plutôt la demande qui fait qu’il y a plus d’armes plus que la facilité d’accès aux armes».

Une AK-47 ne coûte que 2.000 à 2.500€ au marché noir. Or, «les gens qui se les procurent font un trafic qui leur rapporte des millions. Une AK-47 à 2.500 €, c’est une goutte d’eau: si ça leur permet d’appréhender le marché du voisin, l’investissement au niveau de la rentabilité est exceptionnel», explique Alexandre Langlois, avant de conclure, avec un soupçon d’humour noir: «et puis ceux qui veulent commettre un attentat, de toutes façons ils ne vont pas survivre, donc ils peuvent mettre leurs derrières économies dedans. L’un dans l’autre, c’est très accessible pour tout le monde!»

Et Alexandre Langlois de revenir à l’écueil politique: «s’il y avait une tuerie de masse avec des armes, quelle qu’en soit la raison, effectivement ils agiraient dessus. Mais ils passeraient à une autre priorité le mois d’après», craint-il.

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