Pourquoi de jeunes Allemandes rejoignent Daech?

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Plusieurs jeunes femmes allemandes avaient rejoint les rangs du groupe terroriste Daech. Des expertes de la radicalisation des jeunes en Allemagne évoquent pour Sputnik les méthodes employées par les recruteurs, les itinéraires pour projeter les filles d'Europe en Irak et en Syrie, et les mesures que pourraient prendre les autorités.

«Taxi jusqu'à Daech pour 25 euros»: les jeunes femmes de Daech de la radicalisation au départ

 

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Que se passe-t-il exactement quand une jeune femme se radicalise et veut rejoindre le groupe terroriste État islamique? Comment est organisé le départ vers le Moyen-Orient, vers Daech? Par quels contacts? Quels intermédiaires et réseaux, y compris sur le plan international, sont impliqués? Sputnik fait le point dans une interview exclusive avec des experts de la question.

Les experts de l'islamisme sont en mesure de reconstituer les événements, ce qu'ont vécu certaines jeunes femmes de Daech arrêtées en Irak comme Linda W, 16 ans, originaire de la région allemande de Saxe, avant leur départ pour l'organisation terroriste EI. Parmi ces experts: Birgit Ebel, activiste de Herford, ainsi que Sigrid Herrmann-Marschall, expert de l'islamisme de Francfort-sur-le-Main.

Pour Sputnik, ils retracent le parcours de ces jeunes Allemandes, de la radicalisation au départ au Moyen-Orient en tant que combattantes de Daech.

«L'effet Roméo»: tout commence en Allemagne

Toutes les jeunes femmes radicalisées n'ont pas suivi le même chemin. «On peut s'imaginer la fille d'une famille musulmane religieuse stricte, commence Birgit Ebel, fondatrice de l'initiative préventive «Extrêmement contre» (extrem dagegen). La jeune femme souhaite se créer son propre monde et, soudainement, devient bien plus religieuse que ne l'exigeaient d'elle ses parents et ses frères. C'est alors qu'elle cherche elle-même des contacts avec des salafistes radicaux qu'on trouve sans problème sur internet.» Puis les salafistes peuvent commencer le travail de radicalisation. «C'est comme un lavage de cerveau», note Sigrid Herrmann-Marschall, spécialisée dans l'éducation des adultes.

Il pourrait aussi s'agir d'une jeune femme «traversant une crise personnelle», estime Birgit Ebel. «Si elle a été désorientée d'une manière ou d'une autre. Peut-être que sa famille ne prend pas soin d'elle. Elle s'intéresse alors à l'islam et se rend à la mosquée.» Des jeunes hommes déjà radicalisés commencent à lui parler sur place. «Ces recruteurs salafistes sont présents dans des réseaux bien organisés à travers toute l'Allemagne. Nous partons du fait qu'en Allemagne se trouvent plus de 650 islamistes potentiellement dangereux, parmi lesquels il y a de très jeunes hommes.» L'experte parle de l'«effet Roméo». Les hommes savent que les jeunes femmes veulent se marier rapidement et les influencent en faisant des promesses, allant jusqu'au mariage et à la fuite.

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D'après l'experte Sigrid Herrmann-Marschall, un cas peu ordinaire a récemment été enregistré à Leipzig. «Un traducteur qui, comme il s'est avéré, était adepte d'une mosquée extrémiste, s'est mis à établir le contact avec des réfugiés musulmans», explique l'experte.

«Par la suite, les services de sécurité ne comprenaient pas pourquoi, tout à coup, ces réfugiés avaient voulu repartir dans leur pays. En réalité, ils n'y étaient pas retournés pour apporter une aide humanitaire mais pour combattre au sein de Daech. Il est nécessaire de prévenir de tels cas le plus tôt possible. C'est pourquoi nous avons besoin d'une analyse structurée et d'un maximum d'informations sur ce genre de cas pour informer et protéger la population.»

«Une affaire rentable»: la préparation du départ pour Daech

«Les recruteurs islamistes en Allemagne disposent de contacts internationaux avec Daech au Moyen-Orient, en Syrie et dans d'autres pays», déclare Birgit Ebel.

«Ils gagnent ainsi de l'argent car ils jouent le rôle d'intermédiaires entre les combattants et les futures fiancées de Daech, qui assurent la descendance de l'EI. C'est une affaire rentable. Souvent on retrouve également parmi eux des individus du milieu criminel. Tout se mélange. Les recruteurs rencontrent les sujets, d'abord dans l'anonymat, dans des mosquées clandestines. Ou dans une planque. A huis clos, où il n'y a pas de contrôle.»

On sait qu'il existe en Allemagne des cellules de Daech, par exemple à Detmold et à Osnabrück.

Si des relations de confiance s'établissent entre le recruteur et la jeune femme, alors ils conviennent d'un lieu concret d'où cette dernière pourra ensuite partir à l'aéroport. «En règle générale, la jeune femme ne part pas seule: elle est accompagnée pendant le vol et le voyage par d'autres individus radicalisés. Souvent c'est une amie déjà radicalisée approximativement du même âge. Dans certains cas, comme dans le cas de Linda W, on effectue le vol de Francfort à Istanbul. Les radicaux que Linda W a rencontrés en ligne l'ont aidée à acheter un billet jusqu'à Istanbul.»

Gaziantep, le centre de transit

A leur arrivée en Turquie, les jeunes femmes sont attendues par des salafistes qui déterminent l'itinéraire à suivre. «Ce pays abrite de très nombreux islamistes, dont beaucoup soutiennent Daech. De plus, les autorités turques sont très négligentes en ce qui concerne la prolongation des documents d'identité et des passeports, ce qui joue en faveur des radicaux», explique Birgit Ebel. «Par le jeu des intermédiaires, la jeune femme se retrouve entre les mains d'organisations et d'individus qui lui font ensuite traverser la Turquie» en direction des régions contrôlées par l'EI. Généralement, elles partent vers l'Irak et la Syrie.

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Gaziantep se trouve au sud de l'Anatolie à 12 heures de route d'Istanbul et à seulement 50 km de la frontière syrienne. «Ce lieu est le principal point de transit et de transbordement de l'EI», indique Birgit Ebel. «Les profils d'islamistes connus sur internet mentionnent souvent Gaziantep comme lieu de résidence, même si ces personnes vivent à Herford, Detmold, Gütersloh ou Bielefeld.» Le simple nom de la ville est un «code secret et un signal» pour d'autres partisans de Daech en Allemagne. En outre, d'après l'experte, il est très difficile pour l'armée turque et syrienne de protéger la frontière turco-syrienne «longue et ouverte». «J'ai entendu les experts dire que le voyage en taxi de Gaziantep jusqu'à Daech ne posait aucun problème. Vous payez 25 euros et vous êtes déjà sur le territoire de l'État islamique.»

L'enfer au bout du chemin

Un destin très difficile attend les jeunes femmes une fois qu'elles sont arrivées à destination. D'après les médias, les jeunes femmes sont utilisées comme des «des machines à accoucher de Daech et des esclaves sexuelles». Certaines d'entre elles reçoivent des «tâches plus nobles», travaillent dans la police des mœurs de l'EI pour veiller au respect rigoureux des règles islamistes. D'autres combattent dans les rangs de Daech ou travaillent pour l'appareil de propagande des islamistes.

«On peut se faire arrêter n'importe où durant ce parcours», note Birgit Ebel. «Mais il est crucial de tuer le problème dans l'œuf. C'est-à-dire de prendre des mesures préventives. Grâce à un travail pédagogique dans les écoles, à la pédagogie sur les questions démocratiques avec un accent sur l'humanisme, l'équité et l'égalité des chances. Nous devons accorder beaucoup d'attention à l'image du monde et des gens chez les jeunes menacés par la radicalisation. Nous devons faire attention à certaines expressions.» C'est alors qu'on pourra intervenir avec l'aide des parents, des enseignants et des amis. «Mais cette tâche revient avant tout à l'école», estime l'activiste.

Le «numéro vert» de la radicalisation: que fait l'État?

«Le gouvernement fédéral allemand accorde beaucoup d'attention aux thèmes comme la prévention et la déradicalisation», déclare Thomas Ritter, représentant du service fédéral pour la migration et les réfugiés à Nuremberg. «C'est pourquoi notre service a créé en 2012, à l'initiative du ministère de l'Intérieur, un centre consultatif Radicalisation pour faire face à l'islamisme et au salafisme.» Le centre consultatif sert de premier point d'appui pour les représentants et l'entourage des personnes radicalisées. «Depuis la fondation du centre, nous avons reçu plus de 3.600 appels. Plus de 950 consultations ont été accordées et transmises aux partenaires de la société civile», explique Thomas Ritter.

«Le personnel gère également une ligne verte», poursuit Thomas Ritter. «Il apporte une aide consultative conjointement avec des associations et se charge également de la coopération avec les autorités publiques.»

Le centre consultatif est financé uniquement par le budget fédéral, à hauteur de 650.000 euros en 2017. Les effectifs du réseau d'aide et de conseil comptent près de 60 personnes. Actuellement, six personnes travaillent dans le centre: des politologues, des sociologues, des pédagogues et des psychologues. Birgit Ebel et Sigrid Herrmann-Marschall soutiennent l'activité de ce centre public d'aide préventive.

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