L'audiovisuel public français était sous les feux de la rampe lundi 4 décembre: Emmanuel Macron le qualifiait de «honte de la République» devant les députés de la commission des affaires culturelles et de l'éducation. Le même jour, Jean-Luc Mélenchon consacrait un long billet de son blog au «traquenard médiatique» que lui auraient tendu Léa Salamé, François Langlet et Nathalie Saint-Cricq dans L'émission politique, dont il était l'invité vedette jeudi 30 novembre.
«Voyez-vous, plusieurs personnalités politiques —moi-même- avons eu des problèmes sur des faits énoncés par des journalistes»,
nous précise Djordje Kuzmanovic, porte-parole de Jean-Luc Mélenchon et de la France Insoumise, soulignant qu'actuellement la seule action possible reste le dépôt d'une plainte devant un tribunal.
Afin de pallier ce manque de recours, le chef de file des députés LFI lance la proposition de créer un «tribunal professionnel», qui pourrait être en mesure de sanctionner symboliquement «les menteurs les tricheurs, les enfumeurs». Des propos qu'il concrétise par le lancement d'une pétition sur le site Change.org mardi 6 décembre, appelant à la création d'un «conseil de déontologie du journalisme en France». Pétition, qui, à l'heure où nous écrivons ces lignes, dépasse les 50.000 signatures.
«Les citoyens n'ont aucun moyen d'obtenir une rectification publique en cas de mensonge ou de duperie médiatique. Cela ne fait pas partie des missions du Conseil Supérieur de l'Audiovisuel (CSA).» Extrait de la pétition lancée sur Change.org par Jean-Luc Mélenchon.
Si dans son billet comme dans sa pétition, Jean-Luc Mélenchon souligne qu'une telle instance existe déjà en Belgique, sous la forme d'un Conseil de déontologie journalistique (CDJ), en place depuis 20 ans, le mot «tribunal» est lâché. Un terme lourd de sens largement repris dans la presse, qui fait par ailleurs écho à l'attaque de fond de Jean-Luc Mélenchon.
«Certains s'accrochent sur les mots plutôt que d'aller sur le fond», regrette ainsi Djordje Kuzmanovic.
Des mots sur lesquels certains journalistes, visiblement agacés par cette attaque frontale du député, ne manquent pas de rebondir. Jean-Michel Aphatie, tweete ainsi: «Et sur @LeaSalame cette phrase ambiguë de @JLMelenchon: "Je ne me suis pas préoccupé de ses liens familiaux, politiques et communautaires." On voudrait en savoir davantage.»
Et sur @LeaSalame cette phrase ambiguë de @JLMelenchon: « Je ne me suis pas préoccupé de ses liens familiaux, politiques et communautaires. » On voudrait en savoir davantage pic.twitter.com/Z4mtQVMFaF
— jean-michel aphatie (@jmaphatie) 4 декабря 2017 г.
Mais si avec ses «tribunaux pour médias» Jean-Luc Mélenchon fait l'actualité, il n'est pourtant pas le premier à critiquer ouvertement les méthodes de certains journalistes. Lorsqu'il écrit dans son billet que «ce n'est pas la première fois», pour mettre en garde contre une aggravation de ce phénomène d'«abus de pouvoir médiatique» si rien n'est fait pour en sanctionner les auteurs, Jean-Luc Mélenchon ne parle pas que de lui, comme nous le confirme Djordje Kuzmanovic:
«Ce n'est pas le seul, c'est arrivé à d'autres personnalités et pas seulement politiques, c'est pour ça que cette instance de déontologie se justifie, parce que ce n'est pas la première fois que des informations erronées sont données au grand public par des journalistes.»
«Les médias et la presse jouent un rôle majeur dans la vie démocratique d'un pays. Mais ils ont aussi le pouvoir de façonner le débat public. Ce pouvoir peut donner lieu à des abus. D'autant plus qu'ils dépendent de 9 milliardaires pour 90% d'entre eux et du gouvernement pour le service public.»
Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités, pour paraphraser un célèbre blockbuster américain. Des responsabilités présentées dans la charte de Munich, que certains journalistes interprètent parfois à leur guise, voire, ne connaissent tout simplement pas.
Les journalistes qui ne connaissent même pas la charte de Munich, l'équivalent du serment d’Hippocrate chez les médecins. @valentineletess pic.twitter.com/ksZm6DbqK9
— Adel Tcheb 💭 (@AdelTcheb) 11 марта 2017 г.
Ces derniers mois nous ont notamment montré à quel point était poreuse la frontière entre les mondes politique et médiatique. Sans même revenir sur les journalistes débauchés par la Présidence ou le gouvernement, et avant cela par l'équipe de campagne En Marche!, on se souvient —à titre d'exemple- de la prise de position d'Audrey Pulvar contre le Front national et en faveur d'Emmanuel Macron durant l'entre-deux tours de la présidentielle.
La journaliste politique de CNews avait alors été suspendue par sa direction, qui estima qu'elle avait manqué à son devoir de réserve et de neutralité. De manière plus indirecte, on notera également l'inimitié parfois mal cachée de certains présentateurs et animateurs à l'encontre de femmes et d'hommes politiques.
Une tendance que relevait également l'Observatoire du Journalisme (Ojim), qui dénonçait la tenue de réels «tribunaux inquisitoires» à l'encontre de certains invités, certes générateurs d'audience, mais hérauts d'idées qui révulsent leurs hôtes mainstream. L'observatoire du journalisme pointait les différentes méthodes employées par des journalistes et des présentateurs du service public, revêtant de plus en plus l'habit de «procureur».
«Oui, certains le font et surtout certains le font sans prévenir, […] si vous annoncez la couleur avant, si vous faites un travail d'éditorialiste […] eh bien c'est clair —on sait que vous défendez un courant d'idées-, mais par contre, quand on se présente comme étant neutre et qu'on ne l'est pas, là il y a un souci,» précise Djordje Kuzmanovic.
Des propos qui rappellent l'initiative de Thomas Guénolé, politologue qui ne cache pas son engagement au côté de la France insoumise. Lors de l'un de ses propres édito sur Europe1, celui-ci avait invité les éditorialistes à faire leur «coming out politique», en somme de clarifier leurs positions auprès des Français en assumant leur couleur politique.
On remarquera d'ailleurs l'attitude paradoxale des médias, qui s'insurgent à l'idée de pouvoir être jugés —même par un collège de leurs pairs, mais ne trouvent rien à redire de certaines initiatives, comme le fameux Decodex du Monde, qui se pose en arbitre autoproclamé des élégances médiatiques. Si la France insoumise qualifie de «manque en République» le fait pour les citoyens de ne pouvoir accéder «à une information sincère, indépendante et honnête», d'autres n'hésitent pas à comparer la place qu'occupe la presse française dans le classement de RSF en matière de liberté de la presse, à celle qu'occupe une presse belge chapeautée par un Conseil de déontologie.
«La Belgique est dotée d'un Conseil de déontologie journalistique (CDJ) La #Belgique est à la 9e place du classement mondial de la liberté de la presse (Reporter Sans Frontières) La #France, elle, est à la 39ème place.»
La Belgique est dotée d'un Conseil de déontologie journalistique (CDJ)
— Miss Ives (@_miss_ives_) 4 декабря 2017 г.
La #Belgique est à la 9ème place du classement mondial de la liberté de la presse (Reporter Sans Frontières)
La #France, elle, est à la 39 ème place.https://t.co/mq5QRogvny
Néanmoins, reste à savoir si la création d'un tel Conseil de l'ordre garantirait un meilleur pluralisme dans les médias, au vu de la «quasi-uniformité» politique qui semble de vigueur au sein de la profession en France.