Skripal: pourquoi les expulsions ont-elles touché le Collège français de St-Pétersbourg?

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Parmi les quatre diplomates expulsés par la Russie en réponse au renvoi de leurs homologues russes par Paris figure le directeur du Collège universitaire français de Saint-Pétersbourg. Un enseignant parmi les diplomates? Sputnik a enquêté sur cet imbroglio diplomatico-universitaire.

Dommage collatéral inattendu de l'affaire Skripal, un nom ressort parmi les quatre diplomates français expulsés par la Russie en réponse à l'expulsion de diplomates russes. David Teurtrie, directeur du Collège universitaire français de l'Université d'État de Saint-Pétersbourg (CUF), a en effet pris un aller simple pour Paris, le 6 avril dernier.

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Pourtant, le CUF, qui fêtait son 20e anniversaire en 2012 est une institution solide et sérieuse, sous le patronage des universités russes et françaises, que l'on aurait pu croire à l'abri des remous diplomatiques entre les deux pays. Pourquoi alors s'est-elle retrouvée dans la tourmente? S'agit-il d'une affaire politique?

Les parties intéressées tentent en tout cas de calmer le jeu, à l'exception peut-être des étudiants. L'élément toujours socialement le plus actif n'a attendu ni d'ordres, ni de rappel à l'ordre pour poster une pétition en ligne pour défendre leur directeur et, plus largement, l'existence du Collège.

«Trop hâtive, cette pétition», s'accordent à dire non seulement les anciens collègues du malheureux directeur, mais également Marek Halter, président fondateur des Collèges universitaires français de Russie, qui appelle à ne pas trop «politiser» l'affaire.
Pour lui, il s'agit d'une «erreur de fonctionnaires», «ochibka tchinovnikov»:

«Comme ils [le Ministère des Affaires étrangères russe, ndlr] voulaient être gentils avec les Français… les fonctionnaires cherchaient les gens moins connus et importants à expulser. Ils sont tombés sur le nom de notre directeur, ils se sont dit: "On ne le connaît pas, il fera l'affaire".»
Or, notre directeur n'est pas un diplomate. Et, même si notre collège est soutenu par le ministère des Affaires étrangères, il est engagé par le Ministère de l'Enseignement supérieur.»

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David Teurtrie engagé par le Ministère de l'Enseignement supérieur, peut-être, mais payé par «Expertise France», une agence publique, placée sous la double tutelle du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères (MEAE) et des ministères économiques et financiers. Émargeant au MEAE, il devait bien figurer bien dans les listes du personnel de l'ambassade et donc faire partie des personnes «expulsables», ce qui n'aurait pas forcément été le cas s'il avait été salarié de l'Enseignement supérieur.

Au-delà de cette situation délicate alors, le directeur n'est pas totalement un inconnu dans la communauté française de Saint-Pétersbourg. Certaines sources anonymes parmi les anciens collègues de David Teurtrie parlent de lui comme d'un chercheur sérieux, mais aussi d'une «personne conflictuelle», au point d'insinuer que son départ soulagerait l'ambassade.
Quant au Rectorat de l'Université, dans sa réponse à Sputnik, il

«attire notre attention sur le fait que le poste de directeur du programme de formation supplémentaire "Collège Universitaire français" n'existe pas. Ainsi, aucun collaborateur du ministère des Affaires étrangères de France, ni plus particulièrement de l'Ambassade de France en Russie, n'ont jamais occupé ni n'occupent actuellement le poste du directeur du programme "Collège Universitaire français" de l'Université d'État de Saint-Pétersbourg, puisque ce poste n'existe tout simplement pas.»

Voilà un tournant inattendu! Directeur fantôme, David Teurtrie? Pour comprendre cette information surprenante, il faut revenir sur les conflits latents, personnels et juridiques, entre l'Université et le Collège. Le président Halter explique à Sputnik le fonctionnement des deux structures:

«À Moscou, nos étudiants, une fois leurs études terminées, reçoivent les diplômes français qui correspondent au MGU [l'Université d'Etat de Moscou, ndlr]. Ils ont un double diplôme: du MGU et du Collège Universitaire. À Saint-Pétersbourg, c'est même plus intégré, nous y sommes considérés comme une faculté autonome. Quand on y envoie un directeur, il doit aussi être accepté par le recteur du SPbGU [l'Université d'Etat de Saint-Pétersbourg, ndlr]. En vérité, je suis son président, il est accepté par deux ministères —Affaires étrangères et Enseignement supérieur et par le recteur de Saint-Pétersbourg.»

Ainsi, pour les Russes, le directeur n'existe pas. Pour les Français, si. Il s'est installé en Russie pour trois ans avec sa famille et touche donc son salaire d'«Expertise France». Des explications de notre source anonyme éclaircissent quelque peu le tableau, puisqu'apparemment, le Collège français n'a jamais eu de personnalité juridique et jouissait gracieusement des locaux. Ainsi, la situation reste presque virtuelle, basée sur la bonne entente entre les deux parties dans cette affaire… et la bonne entente peut être fragilisée à l'occasion d'un conflit qui les dépasse:

«Des mésaventures comme ça arrivent… à nous pour la première fois, déplore Marek Halter. Je ne pense pas qu'il y ait de mauvaises intentions, puisqu'il n'y a pas de raison. Mais, ici, au ministère de l'Enseignement supérieur, on est très énervés. Hélas, je ne vois pas ce qu'ils peuvent faire.»

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De fait, pour la partie française, le Collège Universitaire, dont le diplôme est reconnu par les deux pays, existe bel et bien. Pour la partie russe, il s'agit d'un «programme éducatif supplémentaire», régi par un Comité d'experts de 12 personnes et présidé par le Consul général de France à Saint-Pétersbourg, qui donne lieu au diplôme standard russe.

Face à cette contradiction, tout le monde se pose la question de l'issue de l'année scolaire. Et si les étudiants tirent la sonnette d'alarme, en signant la pétition, les dirigeants de deux côtés se veulent rassurants.

«Je pense que cela ne vaut pas la peine d'envenimer cette affaire, précise à Sputnik Marek Halter. La pétition va lui donner une importance sur le plan diplomatique qu'elle ne l'a pas. Ça n'a de l'importance que sur le plan éducatif. Ça nous pose néanmoins un problème, puisqu'il aura plusieurs centaines d'étudiants qui resteront sans directeur.»

Le rectorat de l'Université quant à lui, n'y voit aucun problème: «Cette annonce de persona non grata du personnel de l'Ambassade de France en Russie [on parle de David Teurtrie, ndlr] n'affectera pas la mise en œuvre du programme d'enseignement complémentaire de l'Université d'État de Saint-Pétersbourg "Collège universitaire français".»

Pour conclure, on peut imaginer que tout le monde s'est fait piéger par l'habitude de l'«entente cordiale» traditionnelle franco-russe. «En Russie, les relations humaines comptent pour beaucoup. En dehors des accords entre les États et Universités», souligne à Sputnik Marek Halter. Visiblement, il est temps de verrouiller ces relations privilégiées par les accords juridiques.

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