Le péril chinois, une «fabrication de l’ennemi» entretenue par un rapport de la CIA

© AP Photo / Carolyn Kasterlogo de la CIA
logo de la CIA - Sputnik Afrique, 1920, 11.05.2021
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La Chine, première puissance mondiale, c’est pour bientôt, avertit un rapport du renseignement américain. Pour Jean-Paul Tchang, cofondateur de la Lettre de Chine, cette publication de la CIA et de ses confrères aurait notamment pour objectif de «diaboliser la Chine» «pour essayer de rallier le reste du monde autour des États-Unis.»

La Chine affiche une croissance insolente. Seul pays du G20 à ne pas être en récession en 2020, elle a en effet atteint les 18,3% de croissance au premier trimestre 2021.

Des chiffres anxiogènes vus de Washington, jaloux de sa place de première puissance mondiale. Au point de craindre une date de bascule bien précise: d’ici 2030, la Chine deviendrait «la première économie mondiale» en dépassant les États-Unis, avance ainsi un rapport du National Intelligence Council (NIC).

Ce think tank du renseignement directement rattaché à la CIA et à la Maison-Blanche publie en effet tous les quatre ans, après chaque élection présidentielle américaine, une étude très lue dans le Tout-Washington et bien au-delà. Déclassifié le 8 avril et publié le 5 mai en langue française par les Éditions Équateur, elle reflète la conception pessimiste des États-Unis de l’ordre international, fondée sur des antagonismes chroniques.

«Tous les rapports qui viennent des milieux du renseignement ont du poids auprès des médias et think tanks. C’est une imprégnation de la population pour avertir d’un danger chinois imminent», souligne Jean-Paul Tchang avec amertume.

Pour ce spécialiste de l’Empire du Milieu, cofondateur de la Lettre de Chine, il n’y a guère de doute: ce rapport relève de la pure «fabrication de l’ennemi». Un réflexe devenu récurrent à la Maison-Blanche, au Congrès et à Langley. Après l’ogre soviétique et le terrorisme islamiste, le mastodonte chinois?

«C’est une diabolisation, une campagne continuelle pour affirmer que la Chine est dangereuse en tout, pour essayer de rallier le reste du monde autour des États-Unis», tacle Jean-Paul Tchang.

Ce document de prospective, Le monde en 2040 vu par la CIA, un monde contesté, imagine que «la position de la Chine en Asie» sera devenue «inattaquable» en 2035. L’un des cinq scénarios envisagés par le renseignement US, intitulé «un monde à la dérive», décrit l’état des relations internationales, comme étant «sans direction, chaotique et instable». Un monde désordonné donc, où Washington ne serait plus à même de dicter ses règles, mais où Taïwan serait contraint à l’unification et où Pékin serait dorénavant en capacité «d’intimider un partenaire américain proche

La lutte contre la Chine, un «thème mobilisateur»

Le rapport du NIC serait ainsi une énième incitation à la «préservation de la suprématie et du leadership américain.» La population américaine n’a d’ailleurs guère besoin d’être davantage convaincue de la menace. Les chiffres sont éloquents: l’image de la Chine aux États-Unis est à son plus bas historique dans la foulée de la crise du Covid-19. L’AFP a en effet relayé un sondage du Pew Research Center, publié le 6 octobre 2020, qui indiquait que 73% des Américains sondés avaient une mauvaise opinion de la Chine, soit une hausse de près de 20 points depuis 2017. Une tendance qui se vérifie dans de nombreux pays occidentaux, dont la France –qui atteint des proportions similaires, avec 70% des sondés –, selon la même étude.

​Le consensus semble palpable à tous les niveaux: la Chine constitue à n’en pas douter un «thème mobilisateur», souligne Jean-Paul Tchang, qui réunit de manière transpartisane les forces politiques aux États-Unis, afin de garantir «l’unité politique intérieure». C’est le journaliste Piotr Smolar, spécialiste des questions diplomatiques au Monde, qui en parle le mieux sur Quotidien.

Et pour cause, il est l’auteur de la préface de la version francophone de cette étude prospective géopolitique à moyen terme, qu’il qualifie d’«effort pédagogique, évidemment à destination du Président américain et des décideurs, mais aussi à destination du grand public.»

«Une mentalité de guerre froide»

Il ne s’agirait toutefois pas d’un «rapport politisé», qui chercherait «à répondre à une commande ou à un agenda politique immédiat», a-t-il déclaré à Yann Barthès. Sauf que ce texte s’inscrit clairement dans une politique offensive vis-à-vis de la Chine, initiée par Donald Trump et dorénavant assumée par son successeur Démocrate.

Depuis le 20 janvier, jour de l’investiture de Joe Biden, la nouvelle Administration n’a cessé d’adresser des piques peu diplomatiques à la Chine, notamment au sujet des Ouïghours, de Hong-kong et de Taïwan. Pour faire face à «l’agressivité chinoise», le premier sommet du Quadrilateral Security Dialogue (Quad) a eu lieu le 12 mars, un dialogue informel réunissant les Etats-Unis, l’Inde, l’Australie et le Japon, et vu par certains comme une «mini-Otan asiatique» dirigée contre Pékin.

Artillerie et militaires chinois - Sputnik Afrique, 1920, 26.03.2021
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Quelques jours après, la première rencontre sino-américaine des 18 et 19 mars en Alaska a tourné au vinaigre. Cueillie à froid à la descente de l’avion par l’annonce de nouvelles sanctions, la diplomatie chinoise avait alors dénoncé des «ingérences» et une «mentalité de guerre froide». Un second rapport publié le 13 avril par le renseignement américain dressait un panorama des menaces actuelles pour la sécurité nationale. Le principal danger pour Washington? «La montée en puissance de Pékin en vue d’obtenir le leadership mondial» notaient les auteurs du document.

Le complexe militaro-industriel US se frotte les mains

Le dernier danger imminent en date, c’est le retour le 9 mai dans l’atmosphère de la fusée chinoise Longue Marche-5B, dont certains morceaux auraient pu faire des dégâts sur Terre. Si les Etats-Unis avaient assuré ne pas avoir l’intention de détruire la fusée, le Secrétaire à la Défense, Lloyd Austin, a toutefois laissé entendre que son lancement n'avait pas été planifié avec suffisamment de soin par Pékin. Bill Nelson, patron de la NASA, lui a emboîté le pas, appelant la Chine «à minimiser les risques» et à «maximiser la transparence». Finalement, la bonne nouvelle est arrivée ce 9 mai : une bonne partie de la fusée chinoise s'est désintégrée au-dessus de l'océan Indien.

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Une bataille qui a des retombées bien concrètes, selon Jean-Paul Tchang : Étant «dangereuse», la Chine «mobilise l’opinion» et justifierait ainsi en partie les dépenses somptuaires de la Défense américaine, qui ont atteint en 2019 un total de 732 milliards de dollars.

«On peut penser aussi que c’est cynique, pour avoir plus de dépenses militaires, pour avoir plus d’investissements dans les infrastructures, dans les hautes technologies […) Que les Etats-Unis ressentent le besoin de rattraper le retard dans les investissements, y compris dans le secteur militaire, c’est normal. Mais de là à s’appuyer systématiquement sur l’existence d’une menace extérieure pour se décider à faire ça, c’est dommage», déplore le cofondateur de La Lettre de Chine.
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