La télévision russe se perfectionne et se dégrade

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par Olga Sobolevskaïa, commentatrice de RIA-Novosti

La télévision russe rappelle un homme qui, à peine remis d'une grave maladie en contracte immédiatement d'autres plus redoutables encore. Les fêtes de fin d'année en sont la preuve.

Par le nombre de chaînes de télévision, la Russie, à l'opposé de l'époque soviétique, en a plus qu'il n'en faut. Il y a des chaînes spatiales et hertziennes. Elles peuvent être marginales ou, au contraire, destinées à un vaste public, à tous les âges et à tous les intérêts comme ces "poids lourds" que sont La Première, Rossia et NTV. Il y a des chaînes pour la jeunesse et même pour les quadragénaires.

Mais toutes les télévisions sans exception ont débité, dans la nuit du 31 décembre au 1er janvier et les jours qui ont suivi le Jour de l'An, les mêmes visages, une trentaine tout au plus. Des grandes idoles des variétés, mais aussi des parodistes et des satiriques. Mêmes tubes et mêmes sketches, en non stop, d'une chaîne à l'autre. La nuit du Nouvel An, certains numéros étaient "réédités" sur plusieurs chaînes à la fois.

Les hommes du show-biz cherchaient à convaincre l'audience que c'était là ses artistes préférés, et les meilleurs. A leur nombre, des "grands" comme Alla Pougatcheva, Sofia Rotarou, Valeri Leontiev et d'autres. Et des "jeunes", comme Maxime Galkine, un parodiste, animateur et improvisateur de 27 ans. Les jours de fête ont été pour lui tout bénéfice. Il a pris part à deux concerts le 31 décembre, le 1er janvier, il jouait dans une comédie musicale "On ne court pas deux lièvres à la fois" et animait, le soir du 1er, le jeu télévisé "qui veut devenir millionnaire?" (calqué sur un projet occidental, la télévision en abonde actuellement). "Je testerais volontiers d'autres choses encore mais je préfère ne pas être omnivore", avoue cette "star", devenu, d'après des sondages de fin 2003, le show man le plus populaire.

A la télévision, les fêtes du Jour de l'An se sont succédées sous le signe des divertissements qui n'en finissent pas. Et c'est normal. Seulement, les jours ouvrables - sur La Première comme sur Rossia, les fêtes "durent" 24 heures sur 24, et à l'instar de la pratique mondiale ils sont devenus des "marathons de divertissements". En prime time, ce n'est qu'une interminable succession de talk-shows, de jeux, d'opéras savon, d'émissions humoristiques ou culinaires ou de shows de cascadeurs pour les goûts les moins exquis. Konstantin Ernst, qui est à la tête de La Première, définit cette politique comme "une capacité de sentir les états d'esprit et de se produire à l'unisson avec eux".

A étudier les programmations, on déduira que les Russes seraient peu enclins à voir du cinéma classique ou des émissions "sérieuses", par exemple, de vulgarisation scientifique. L'un et l'autre sont présents sur les chaînes, mais à des heures tardives ou pendant la journée, lorsque l'audience "adéquate" ne peut être assise devant la télé. Le 25 décembre, le jour de Noël catholique, un film de Franco Zeffirelli, "Callas Forever", sur la chanteuse de génie, a débuté à minuit moins dix. Le lendemain, les journaux abondaient de lettres des lecteurs qui reprochaient à la télévision son "mépris" pour eux et pour le "cinéma de qualité".

D'ailleurs, les émissions consacrées à l'art du cinéma sont toujours loin d'avoir le statut qu'avait, à l'époque soviétique, le programme "Ciné-Panorama", animé par le réalisateur connu Eldar Riazanov. On voudrait croire que c'est une force d'inertie : la décennie précédente, le cinéma russe n'a pas produit beaucoup de films de talent. A l'aube du XXIe siècle, il manifeste des signes de vie et attire l'attention des pouvoirs publics. Mais le "quatrième pouvoir" et, notamment, la télévision, est toujours en dette envers l'art cinématographique.

Mais il y a des faits réjouissants. La Première, Rossia et NTV proposent beaucoup de films qui sont encore diffusés en première dans les salles. En automne, La Première et Rossia montraient les films russes de 2002-2003 ayant remporté des prix à des différents festivals ("Amant" de Valeri Todorovski, "Le Sniper", d'Alexandre Rogojkine, "Le ciel, l'avion, la fille", de Vera Storojeva et d'autres)...

En cela, la "guerre des chaînes" est plus que bénéfique, tout comme dans le cas des feuilletons. Ces derniers sont produits désormais par les chaînes elles-mêmes et les films russes évincent peu à peu les importations. Au milieu de 2003, Rossia lançait L'Idiot de Vladimir Bortko, d'après un roman de Fedor Dostoïevski. A quelques semaines du Jour de l'An, les rues se vidaient vers 21.30 : La Première montrait son Policier rural, film qui engageait des acteurs de tout premier plan, dont Sergueï Bezroukov, 30 ans, un des plus populaires aujourd'hui. Sa participation a rendu cette série encore plus populaire, d'après les sondages de fin d'année.

Mais si vous êtes adepte du cinéma classique, la chaîne Koultoura (Culture) sera une oasis pour vous. C'est une chaîne pour intellectuels. A son menu, des rétrospectives de grands maîtres, ainsi que des spectacles, nouveaux et classiques, du Bolchoï, de La Scala, de Covent Garden, de l'Opéra de Paris, des émissions de civilisation, des reportages sur les festivals d'art, des entretiens avec les écrivains, les historiens de la mode, les acteurs, les responsables de musées. Koultoura n'a pratiquement pas de concurrents, elle a remporté une victoire inconditionnelle dans la "guerre des chaînes" pour la couverture des événements culturels.

Mais cette "guerre" fait rage en matière d'émissions d'analyses et d'information, cette "artillerie lourde" de la télévision. Cette "guerre" est de loin préférable à la paix, cette dernière signifierait une stagnation. Dans le contexte d'une concurrence serrée, les chaînes fournissent des émissions de qualité et de grande qualité. Les leaders incontestables : La Première, Rossia, TVC (chaîne contrôlée par la ville de Moscou, prétend-on) et NTV. Leurs émissions se distinguent par une dramaturgie nette, étayée de commentaires de responsables politiques et gouvernementaux, et par une vive polémique. D'année en année, elles sont animées par de mêmes personnages, par des "chouchous" du public : les "internationaux" Vladimir Pozner, Alexeï Pouchkov et les commentateurs des "affaires intérieures" Nikolaï Svanidze, Leonid Parfenov, Svetlana Sorokina.

Un seul ombre au tableau : si, par le passé, les scènes de violence étaient strictement dosées sinon éliminées dans les journaux télévisés (de crainte qu'elles puissent être vues par les enfants), aujourd'hui, les cadavres , les corps déchiquetés, les flaques de sang et mêmes des instruments de torture sont plutôt monnaie courante sur le petit écran. Seuls les services spéciaux pourraient garantir que la liberté des télévisions soit encadrée et limitée dans ce domaine mais non les psychologues qui sonnent l'alarme depuis plusieurs années. Mais soyons justes : la manière dont les journalistes couvrent les accidents gagne peu à peu en tact ces derniers temps.

Et pourtant, dans la couverture de souffrances humaines, la télévision russe, sans doute reflet de l'époque et des moeurs, se montre de plus en plus "dure de coeur". Depuis plus d'une année, elle clone des reality shows occidentaux, et présente au public blasé des chroniques pleines de froideur sur le comportement humain dans des conditions "extrêmes" créées artificiellement. "Le Dernier Héros", "Derrière la vitre", "Faim" ne sont que quelques-uns de ces projets. Les volontaires qui, privés de nourriture, tentent de survivre sur une île déserte ou ceux qui font de leur existence un spectacle non-stop 24 heures sur 24 ont provoqué dans un premier temps un véritable intérêt. Mais l'indignation sociale l'a quelque peu estompé, et la cote de popularité de ces émissions est en chute libre depuis un certain temps.

"Nous voulons que la TV soit plus interactive et nous essayons de produire le plus d'émissions possible fondées sur les réactions immédiates du public", dit Konstantin Ernst, citant l'exemple de Star Académie, une "couveuse" de jeunes talents. Sans quitter leurs télévisions, les spectateurs votent désormais pour leurs "petites stars". Ce projet, conçu pour la génération éprise d'Internet, de variétés et de téléphonie mobile, est une des grandes réussites de La Première.

Par bonheur, les perdants traditionnels de l'antenne, les émissions pour enfants et sportives, reconquièrent le terrain. La chaîne Rossia, qui a le plus d'émissions pour enfants dans sa programmation, serait la plus attentive à son audience jeune et très jeune. Pour ce qui est du sport, il y a une chaîne spéciale et même les télévisions de "premier plan" retransmettent plus souvent des épreuves sportives.

Quant à la publicité, c'est toujours l'allergène numéro un pour les Russes et surtout en raison de ses qualités artistiques. Mais sans cette publicité qui alimente la télévision le spectateur serait privé des "petites joies" que lui promet quotidiennement son petit écran.

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