Akhmat Kadyrov lie la Russie et l'Orient

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Par Marianna Bélenkaïa, commentatrice de RIA Novosti

Le président de la République de Tchétchénie, Akhmat Kadyrov, entame ce jeudi, 15 janvier, la partie officielle de sa visite en Arabie saoudite. C'est le premier déplacement qu'il effectue à l'étranger depuis son investiture.

L'Arabie saoudite est le berceau de l'Islam, c'est ici que se trouvent La Mecque et Medina, des villes sacrées pour tous les musulmans. L'invitation à se rendre dans ce pays faite pendant la visite en Russie du prince héritier d'Arabie saoudite, Abdallah ben Abdelaziz, avait été en quelque sorte une reconnaissance d'Akhmat Kadyrov par le monde islamique en qualité de dirigeant légitime de la République de Tchétchénie.

Dans une interview accordée à RIA Novosti, Alexeï Vassiliev, membre correspondant de l'Académie des sciences de Russie et président du Centre d'études des civilisations et des régions, a relevé que "la visite d'Akhmat Kadyrov en Arabie saoudite était un prolongement de la politique de renforcement des relations entre Moscou et Riyad et dans le même temps une manifestation pratique de la politique russe de rapprochement avec le monde islamique".

Rappelons que l'année dernière, en annonçant son intention de dynamiser la coopération avec l'Organisation de la Conférence islamique, le président Vladimir Poutine avait indiqué que si les musulmans russes étaient des citoyens de plein droit de la Russie, ils devaient également se sentir membres à part entière du monde islamique. La visite d'Akhmat Kadyrov dans le Royaume, au cours de laquelle, à part les pourparlers, il effectuera un mini-Hadj, constituera une sorte de pont entre les musulmans russes et leurs coreligionnaires dans le monde arabe.

Il est possible aussi qu'au cours de son voyage en Arabie saoudite Akhmat Kadyrov ait des entretiens avec des responsables religieux.

Alexeï Vassiliev a rappelé que dans le passé Akhmat Kadyrov avait été mufti de Tchétchénie. "En tant que personne de grande piété, il pourra, au cours des entretiens avec ses interlocuteurs saoudiens, utiliser la même langue qu'eux, celle de l'islam, la langue des grands principes sur lesquels cette religion repose, notamment la langue de la tolérance, la langue du djihad (effort suprême) aussi, dont le sens principal est l'autoperfectionnement de l'homme", a fait remarquer le chercheur russe.

Toutefois, cela ne signifie nullement que les vues des musulmans saoudiens et des musulmans russes coïncident pleinement. Par exemple, le terme "wahhabisme" en Russie et en Arabie saoudite est interprété différemment.

Le chef du Département de l'information de la représentation de la République de Tchétchénie à Moscou, Edi Issaiev, a déclaré mercredi qu'au cours de sa visite Akhmat Kadyrov "demanderait aux leaders musulmans d'Arabie saoudite de condamner le mouvement wahhabite et de prendre des mesures pour empêcher toute aide financière et autre aux combattants séparatistes et autres extrémistes en Tchétchénie".

L'idéologie du Royaume d'Arabie saoudite repose sur la doctrine de Mohammed ibn Abdel Wahhab. "Encore au XIX-e siècle les théologiens égyptiens de la grande Université islamique Al-Azhar avaient décrété que cette doctrine ne contredisait pas les principes de l'islam. Les Saoudiens appartiennent à la branche sunnite de l'islam dans son expression hanbalite. Et la Russie et l'Occident ont beau associer le terme "wahhabisme" à l'Arabie saoudite, les Saoudiens ne le reconnaissent pas", a précisé Alexeï Vassiliev.

En Russie le wahhabisme est une étiquette que l'on colle aux courants extrémistes musulmans qui existent au Caucase du Nord, une étiquette à laquelle on associe un Etat bien déterminé. "Ce qui altère le fond du problème", estime l'orientaliste russe.

Alexeï Vassiliev a expliqué qu'au Caucase du Nord, en protestant contre les injustices économiques et sociales beaucoup de musulmans repoussent cette forme de l'islam qui prédomine dans cette région, notamment le karitatisme, et sollicitent le hanbalisme et la doctrine de Mohammed ibn Abdel Wahhab. C'est leur droit, c'est leur protestation sociale et Moscou ne devrait pas, apparemment, s'immiscer dans ces processus sociaux et religieux internes.

Cependant, cette protestation sociale, issue partiellement d'un mécontentement à l'égard des autorités locales et à laquelle on confère une connotation religieuse, prend souvent des formes extrêmes. L'Etat est alors obligé d'intervenir. Toutefois, cela ne veut pas du tout dire que tous les habitants du Caucase du Nord professant l'islam sont des extrémistes ou des terroristes.

Le terrorisme n'est pas lié à une religion quelconque, "il est un corollaire des mutations trop rapides qui se produisent dans le monde moderne, auxquelles une partie non négligeable de la population n'est pas prête", estime Alexeï Vassiliev.

Le "portrait" du terroriste d'il y a vingt-cinq ans est une personne niveau d'instruction moyen qui ne ressemble en rien au terroriste de nos jours, qui bien souvent a hérité d'une importante fortune, a reçu une instruction supérieure modèle occidental. Le chercheur russe relève que pour cet anti-héros de l'époque de la globalisation le problème numéro un est non pas la survie physique, mais la recherche de son identité.

La grande question de l'heure, c'est celle de savoir comment combattre le terrorisme. Dans l'isolement, aucun pays au monde n'est à même d'éliminer ce phénomène.

Il va de soi que la lutte contre le terrorisme international figurera parmi les thèmes les plus délicats qui seront abordés pendant la visite d'Akhmat Kadyrov à Riyad. Car tantôt on découvre une piste arabe en Tchétchénie, tantôt on tombe sur une trace "tchétchène" en Arabie saoudite.

Un exemple. A la fin du mois de novembre de l'année dernière les forces de sécurité saoudiennes ont découvert un dépôt d'armes appartenant à des bandits. L'enquête a établi que le chef de la bande était Salekh al-Ooufi, du "groupe 19", qui avait organisé l'attentat perpétré à Riyad au mois de mai 2003. Or, il y a quelques années Salekh al-Ooufi avait combatu en Tchétchénie.

A une époque plusieurs fondations caritatives saoudiennes avaient utilisé illicitement une partie de leurs moyens pour soutenir l'activité terroriste aussi bien dans le Royaume qu'à l'étranger. Actuellement les autorités saoudiennes s'emploient à démanteler les filières de financement des organisations terroristes. Elles sont épaulées dans cette entreprise par les services secrets de pays étrangers, y compris ceux de la Russie.

Cependant, le problème du terrorisme ne se réglera pas uniquement par la force.

L'enseignement religieux est un des moyens à même d'empêcher l'extension de l'idéologie extrémiste. "La piété authentique, la connaissance des principes de la religion contredisent l'extrémisme, surtout dans sa forme extrême qu'est le terrorisme", estime Alexeï Vassiliev. Un sondage réalisé dans les milieux musulmans russes par l'Institut d'Afrique relevant de l'Académie des sciences de Russie a révélé que ceux qui connaissaient véritablement les principes de leur religion étaient des gens tolérants, disposés au dialogue avec ceux qui professent une autre croyance. Quelque 1.500 personnes ont été sondées dans la seule ville de Moscou.

Au demeurant, selon Alexeï Vassiliev, parmi les musulmans russes on trouve aussi des extrémistes. Pour le chercheur, ils ne sont pas plus de 5 pour cent et "en règle générale ce sont des gens qui ignorent les principes de base de l'islam, ils ne connaissent que les slogans se rapportant à la religion". Ils ne font qu'utiliser la religion en qualité de bannière pour des actions extrémistes.

Aussi n'est-il pas étonnant que la coopération dans le domaine de l'enseignement religieux sera elle aussi au menu des pourparlers qu'Akhmat Kadyrov aura pendant sa visite.

Cependant, on ne saurait oublier que le président tchétchène se rend en Arabie saoudite pas seulement en qualité de représentant des musulmans russes. Il y représentera également la Russie. Or, la Russie est un pays pluriconfessionnel et ce n'est pas un secret que ces derniers temps dans ce pays, tout comme en Occident d'ailleurs, l'Arabe, l'Arabe musulman est de plus en plus mal vu. Tout comme le sont les représentants de la civilisation occidentale en Orient.

Pour réussir à annihiler cette perception négative réciproque il faut jeter des ponts de la compréhension entre les représentants des diverses cultures et religions et ce pas seulement au niveau officiel.

Ainsi, Alexeï Vassiliev pense que "Moscou doit absolument fonder un Institut du monde arabe à l'image de celui qui existe à Paris". Selon lui, il faut pour cela des investissements arabes et russes conjoints. Cet établissement serait un instrument de coopération avec les milieux intellectuels et politiques russes, qui contribuerait à initier de larges couches de la population russe à la culture arabe, islamique, en recourant pour ce faire à des expositions, à des conférences publiques, aux livres de la bibliothèque de l'institut, etc.

Toutefois, relève le chercheur russe, "si les Arabes eux-mêmes ne retroussent pas leurs manches pour dissiper le stéréotype négatif, ils perdront la Russie". La visite d'Akhmat Kadyrov en Arabie saoudite est une nouvelle occasion pour méditer sur ce sujet.

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