La Russie se dote d'un nouveau missile naval intercontinental

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Par Viktor Litovkine, commentateur militaire de RIA Novosti

Le ministre russe de la Défense, Sergueï Ivanov, a informé le président Vladimir Poutine des essais d'une maquette du nouveau missile naval stratégique "Boulava", essais qui ont eu lieu la semaine dernière en mer Blanche, dans le nord de la Russie. Cette maquette a été tirée en plongée depuis le "Dmitri Donskoï", le plus grand sous-marin nucléaire russe.

Cet événement est déterminant pour la Marine de guerre russe et le complexe militaro-industriel du pays. Certes, un volume de travail assez important reste encore à faire avant que le "Boulava" soit opérationnel, cependant on peut affirmer que la Russie et sa Force de dissuasion stratégique disposent d'ores et déjà d'un nouveau missile naval intercontinental. "Boulava" a été conçu pour la nouvelle classe de croiseurs sous-marins nucléaires du projet 955 "Boreï", dont le premier exemplaire baptisé "Youri Dolgorouki" avait été mis en chantier en 1996 au Centre de constructions navales nucléaires de Severodvinsk, dans la région d'Arkhangelsk.

Le "Youri Dolgorouki", première unité d'une série de nouveaux submersibles de troisième génération, appelés à remplacer les croiseurs lourds sous-marins stratégiques "Taïfoun" ("Typhoon selon la classification occidentale) techniquement dépassés, aurait dû être livré à la Marine de guerre russe en 2001, mais cela n'a pas été fait en raison de défauts décelés dans la conception du missile à carburant solide qui devait remplacer les missiles stratégiques R-39 ou RSM-52 (SS-N-20 Sturgeon) désuets eux aussi. Les trois tirs expérimentaux effectués en mer Blanche à la fin des années 90 n'avaient pas été concluants. Les missiles avaient explosé en vol.

C'est l'Institut moscovite de thermotechnie qui a été chargé de créer le nouveau missile naval stratégique. Le nouveau projet a été baptisé "Boulava". Il a fallu adapter à ce missile le sous-marin nucléaire "Youri Dolgorouki" ainsi que le "Dmitri Donskoï". Les plus grandes difficultés ici ont été rencontrées non pas dans l'étude du missile, mais dans la conception de son système de lancement en plongée. En effet, les tirs de missiles depuis n'importe quel sous-marin (russe, américain, français ou britannique) sont effectués au moyen de ce que l'on appelle un cavitateur qui, projeté légèrement en avant du missile, fraye la voie de ce dernier. Techniquement et technologiquement, il est très compliqué de trouver la bonne distance entre les deux corps physiques qui fusent hors de l'eau, afin d'éviter que les flammes du premier n'endommagent le cône du second. Car il s'agit d'une ogive à charges multiples autrement appelée ogive mirvée. Dans le même temps, la vitesse de ces deux corps doit être synchrone de manière à ce que l'écart entre eux ne soit pas trop grand. Qui plus est, à la surface de l'eau le premier élément doit s'écarter pour laisser la voie libre à l'autre, c'est-à-dire au missile.

Outre les difficultés d'ordre technique, il y avait les problèmes financiers. Le financement du projet n'était pas toujours régulier et souvent inférieur à ce qui avait été envisagé. Cela aussi a causé des retards dans le calendrier et perturbé le travail. Toutefois, en dépit des difficultés rencontrées par l'Institut moscovite de thermotechnie et l'ensemble du complexe technico-militaire, le nouveau missile naval a été réalisé dans des délais record. Son financement a commencé à la fin de l'année 1999 et, comme nous le voyons, le premier tir réussi a eu lieu en septembre 2004. Le constructeur général des missiles "Topol-M" et "Boulava", Youri Solomonov, nous a déclaré que ces cadences étaient ignorées en Union Soviétique où pourtant les missiles stratégiques étaient construits à la chaîne et l'argent ne manquait jamais pour ce genre de travail.

On connaît assez peu de choses sur le missile naval stratégique "Boulava". Certes, conformément aux accords bilatéraux passés entre Moscou et Washington, ses caractéristiques essentielles ont été communiquées au Pentagone. Cependant, la presse ne les publie pas. On peut quand même dire qu'il s'agit d'un missile à carburant solide. Ce n'est pas un secret non plus qu'il est doté d'une ogive mirvée. Par contre, rien n'est dit sur le nombre de charges contenues dans cette ogive.

Il est facile de calculer la portée du "Boulava". Le terme "intercontinental" signifie qu'il peut franchir de 8 à 10.000 kilomètres au minimum. On peut évidemment supposer aussi que les charges qu'il emporte sont capables de percer n'importe quel parapluie nucléaire actuel ou futur. Cette aptitude est le propre de tous les "articles" fabriqués par l'Institut moscovite de thermotechnie. Ces qualités avaient été évoquées au mois de février dernier par le président russe, Vladimir Poutine, lorsque celui-ci avait visité le polygone balistique de Plessetsk, non loin d'Arkhangelsk.

On peut annoncer aussi que le croiseur sous-marin nucléaire stratégique "Youri Dolgorouki" emportera douze missiles de la classe "Boulava", un nombre qui correspond à celui de ses silos. Cette unité devrait être opérationnelle dans la Marine de guerre russe en 2005 ou 2006. Au moins deux autres submersibles de ce type devraient être livrés d'ici à 2010. Le deuxième sous-marin du projet 955 a été mis en chantier le 19 mars dernier. Il s'appellera "Alexandre Nevski". Le troisième le sera plus tard. Le tir réussi en immersion du missile "Boulava" atteste que ces plans de la direction politique et militaire russe seront réalisés. A la fin de l'année 2012, il ne restera plus à la Russie que de dix à douze sous-marins nucléaires stratégiques et le nombre d'ogives emportées par leurs missiles sera pleinement conforme aux clauses du Traité russo-américain sur la réduction des potentiels offensifs stratégiques.

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