La réduction de l'inflation, une panacée universelle ?

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MOSCOU, 18 novembre /par Nina Koulikova, commentatrice économique de RIA Novosti/. Contenir l'inflation est l'un des objectifs de l'actuelle politique monétaire de la Russie. Mais la réduction de l'inflation est-elle de nature à stimuler la croissance économique ?

Des chiffres officiels ont été annoncés dernièrement : il est fort probable que cette année l'inflation dépasse les 10% programmés pour atteindre 10,5% à 11,5%, selon différentes estimations officielles. Cette annonce a provoqué un bref branle-bas de combat parmi les fonctionnaires. Les responsables du ministère des Finances, du ministère du Développement économique et du Commerce et de la Banque centrale se sont hâtés d'expliquer pourquoi le plan de 2004 n'a pas été rempli. Le vice-premier ministre Alexandre Joukov a déclaré que l'inflation avait augmenté à cause des cours élevés du pétrole et de l'énorme balance positive du commerce extérieur qui avaient fait affluer beaucoup de monnaie étrangère dans le pays.

Il devient de plus en plus évident que les autorités monétaires russes attachent beaucoup d'importance à la réduction de l'inflation. Cette option pour la lutte contre l'inflation est, en principe, facile à expliquer. Du point de vue social, le problème de l'inflation en Russie reste d'actualité du fait que le souvenir du début des années 1990 reste vivant. Le ministre des Finances, Alexéi Koudrine, affirme que la réduction de l'inflation est l'un des moyens de combattre la pauvreté dans le pays. "Lorsque l'inflation prend de l'ampleur, l'accroissement des revenus des pauvres, quelle qu'en soit la source, est en règle générale moins rapide, autant dire que, dans ce cas, il y a appauvrissement de la population", a-t-il expliqué.

Les transformations sociales opérées actuellement par le gouvernement préoccupent vivement la majeure partie de la population. La réforme des retraites et la monétisation des avantages sociaux sont pleines de nuances et leur futur effet économique et social n'est pas clair. Peut-être sur cette toile de fond, les autorités s'emploient-elles aussi à éviter une progression de l'inflation qui risque d'inquiéter davantage la population.

La Banque centrale a présenté dernièrement un projet "Grandes options de la politique monétaire nationale unique pour 2005". Dans ce document elle a de nouveau déclaré qu'une "réduction de l'inflation jusqu'au niveau programmé est l'objectif principal de la politique monétaire". La Banque centrale estime que l'inflation sera ramenée à 6,5% - 8,5% en 2005, à 5,5% - 7,5% en 2006 et à 4% - 6% en 2007. Elle déclare qu'un taux d'inflation bas est un outil de base appelé à assurer la stabilité du rouble, à former des attentes positives parmi les agents économiques, à réduire les risques...

C'est, naturellement, juste mais manifestement insuffisant pour développer l'économie. Pour que la Russie puisse se développer rapidement au cours des dix prochaines années, sans parler du doublement du PIB (objectif fixé par le chef de l'Etat), il faut que le pays dispose d'un marché financier solide, d'un système bancaire stable et de sources de financement à long terme. Le document susmentionné n'accorde que très peu d'attention à ces aspects du problème.

D'autre part, d'après les principes de la théorie économique, la répression de l'inflation ne favorise pas beaucoup l'accélération du rythme de croissance économique. Une réduction du rythme d'accroissement de la masse monétaire a pour effet inévitable une chute de la production et une diminution du nombre d'emplois. Et au contraire, pour encourager la croissance économique un certain excédent de masse monétaire dans le pays (si, bien entendu, elle n'évolue pas en hyper-inflation) peut être un facteur bénéfique parce que les entreprises voient alors se multiplier leurs possibilités d'investir dans le renouvellement de leurs immobilisations. Quel doit être dans ce cas le taux d'inflation optimal est une question difficile. Les chiffres cités par les experts vont de 15% à 20%.

Le problème de l'inflation est souvent évoqué lors de la discussion sur les affectations à donner au Fonds de stabilisation. En instituant ce fonds, le gouvernement a résolu en partie le problème de l'inflation en épongeant l'excédent de la masse monétaire. Lorsqu'on demande d'investir une partie de ce Fonds dans l'économie, les autorités monétaires déclarent que cela ne manquerait pas d'éperonner l'inflation. Une remarque s'avère ici indispensable. Si cet argent est distribué tout simplement à la population, cela augmente les risques inflationnistes. Mais si cet argent est investi dans le secteur réel, il est possible d'élaborer des mécanismes non inflationnistes d'encouragement de la production et alors le Fonds de stabilisation pourra favoriser le développement du marché intérieur sans risque d'accélérer l'inflation.

De nombreux experts soutiennent que l'effet stérilisateur des versements de ressources au budget et notamment au Fonds de stabilisation est excédentaire. De l'avis de l'économiste chef de la société Troïka Dialogue, Evguéni Gavrilenkov, la fonction de stérilisation des offres monétaires excédentaires peuvent être assumées également, outre le Fonds de stabilisation, par d'autres outils, notamment par les marchés financiers, s'ils se développent plus rapidement. Les marchés financiers pourraient absorber la masse monétaire excédentaire et réduire la pression des prix sur les débouchés.

D'après Alexéi Oulioukaev, vice-président de la Banque de Russie, les retombées des facteurs locaux qui ont provoqué une croissance de l'inflation cette année décroisssent et des facteurs fondamentaux vont entrer en scène pour favoriser la baisse de l'inflation. Les experts sont moins optimistes et soutiennent qu'en 2005 l'inflation ne cessera de grimper. Le remplacement des prestations en nature par des compensations en espèces aura pour effet qu'en 2005 la population disposera d'une somme d'appoint de 171 milliards de roubles, ce qui ne manquera pas de créer des risques inflationnistes supplémentaires. En outre, la hausse envisagée des tarifs du gaz et les cours élevés du pétrole - qui peuvent aussi faire monter les prix des produits pétroliers sur le marché intérieur - ne contribueront nullement à contenir l'inflation. L'économiste chef d'Alfa-Bank, Natalia Orlova, estime qu'en 2005 l'inflation sera encore plus rapide et pourrait atteindre 13% sur l'ensemble de l'année.

D'autre part, outre qu'elles cherchent à maintenir l'inflation à un certain niveau, les autorités monétaires s'emploient à éviter un renforcement exagéré du rouble dans le contexte des cours surélevés du pétrole tandis que de nombreux experts affirment que c'est le renforcement du cours nominal du rouble qui peut empêcher la hausse des prix. Autrement dit, les autorités monétaires s'appliquent à remplir à la fois deux tâches contradictoires. Celle consistant à encourager la croissance économique semble être repoussée à l'arrière-plan.

Finalement, le succès des efforts déployés pour doubler le PIB et diminuer la pauvreté en Russie dépend en premier lieu du développement d'une économie compétitive. La lutte livrée à l'inflation n'est qu'un élément de la politique macro-économique qui doit être appliquée en étroite coordination avec ses autres éléments constitutifs.

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