La Russie insiste pour une réforme de l'OSCE

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MOSCOU, 8 décembre. (Par Vladimir Simonov, commentateur politique de RIA Novosti). En 1975, quand l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) avait vu le jour, on pensait qu'elle deviendrait un forum pour un dialogue équitable des Européens - de tous les Européens - sur trois sujets: la sécurité, l'économie et les droits de l'homme. L'OSCE avait justifié ces espoirs pendant la guerre froide et les années 1990 transitoires.

Seulement aujourd'hui, trois décennies plus tard, l'édifice de l'OSCE s'est affaissé. L'Organisation s'est éloignée de ses objectifs et se transforme de plus en plus en instrument au service d'un groupe restreint de membres, pour ne pas dire certains Etats. Si l'OSCE ne veut pas perdre son identité et un beau jour se retrouver superflue, elle doit se soumettre de toute urgence à une réforme.

Cette opinion a été émise par le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, au cours d'un sommet de quarante-huit heures des ministres des Affaires étrangères de l'OSCE, tenu au début de la semaine à Sofia. A en juger d'après l'intervention de Sergueï Lavrov, Moscou est enclin à qualifier de crise grave la situation prévalant au sein de l'OSCE.

Le déséquilibre des thèmes dans l'activité de l'Organisation désappointe particulièrement la Russie. Des trois "corbeilles" de l'OSCE, seule celle de la promotion du droit humanitaire international retient l'intérêt des dirigeants de l'Organisation, tandis que les deux autres - coopération technico-militaire et politique - se trouvent selon Moscou dans un état de stagnation.

Pourtant, il serait difficile de trouver, sur le plan de la stabilité et de la sécurité du continent, un document plus prometteur que l'Accord sur l'adaptation du Traité sur les forces conventionnelles en Europe (CFE) signé en 1999. Naturellement, une des missions prioritaires de l'OSCE serait d'aider à l'application de la version révisée du Traité CFE, de concourir à sa ratification, en premier lieu par les pays ayant récemment adhéré à l'OTAN.

Seulement ce n'est malheureusement pas le cas. Qui plus est, on a l'impression que les dirigeants de l'OSCE ne souhaitent pas faire de l'Accord une composante du système de sécurité européenne. Sous des prétextes fallacieux le dossier à été remis aux calendes grecques. Et pendant ce temps l'OTAN met à profit le vide juridique pour redistribuer son potentiel militaire en Europe et le rapprocher des frontières de la Russie.

On ne voit pas non plus l'OSCE faire une contribution tant soit peu importante au règlement des problèmes économiques. Moscou est particulièrement dépité par le fait que des linkages artificiels et des marchandages politiques auxquels certaines délégations ont eu recours n'ont pas permis à la rencontre de Sofia d'entériner l'importante proposition russe concernant la tenue en 2005 d'une Conférence sur la sécurité énergétique. Or, l'ordre du jour de cette manifestation aurait pu comporter des thèmes de grande acuité comme le développement de la coopération dans le secteur énergétique, la sécurité des livraisons de produits énergétiques, les économies d'énergie.

Effectivement, il est une chose autour de laquelle l'OSCE ne cesse de s'agiter, c'est la "corbeille" du droit humanitaire. Cependant, depuis l'élargissement de l'Union européenne et de l'Alliance de l'Atlantique Nord, l'Organisation interprète sa mission dans ce domaine avec beaucoup de liberté. Au fond, aujourd'hui l'OSCE joue le rôle de superviseur de la situation politique dans les pays ne faisant pas partie de l'UE et de l'OTAN. Si bien qu'elle se métamorphose en instrument de pression exercée par des Etats sur d'autres.

La division arbitraire des pays en Etats "prospères" et "non-prospères" persiste toujours aux forums de l'Organisation. Finalement l'OSCE est de plus en plus fréquemment utilisée à des fins de propagande, en interminables leçons de morale données par certains Etats membres à d'autres pays. Quand ils se mettent à évaluer la situation concernant les droits de l'homme, à estimer le déroulement d'une campagne électorale ou encore le respect de la liberté de la presse, les experts de l'Organisation ne rechignent pas à recourir à la méthode dite des deux poids deux mesures. Si ce sont les élections en Ukraine ou en Tchétchénie, les observateurs de l'OSCE sont enclins à voir tout en noir. S'il est question d'un scrutin en Afghanistan ou au Kosovo, où des centaines de milliers de personnes ont été privées du droit de vote, ces mêmes observateurs applaudissent au "triomphe de la démocratie".

Un autre exemple frappant de cette politique à géométrie variable: depuis plusieurs années déjà les experts de l'Organisation restent muets devant la discrimination révoltante dont sont victimes les minorités russophones en Lettonie et en Estonie. Or, l'Europe devrait être rouge de honte: une zone d'apartheid se trouve au coeur même du continent. Plus de 700.000 personnes vivant dans ces deux républiques baltes ont une carte d'identité d'une autre couleur, sont vouées au statut de non-citoyen. Les avocats des centres de défense des droits de l'homme ont révélé 62 distinctions dans les droits des citoyens et des bannis russophones en Lettonie et 46 en Estonie.

Le comportement des autorités de ces pays, qui viennent d'être accueillis à bras ouverts dans l'Union européenne, n'a rien de commun avec les principes de la démocratie tels qu'ils sont énoncés dans les documents de l'OSCE. Mais en dépit des efforts appliqués par la Russie en vue de sensibiliser l'opinion sur cette situation scandaleuse, l'Organisation ne dit rien et ce silence est naturellement perçu comme une acceptation des graves atteintes portées par Riga et Tallinn aux normes européennes.

Ces déséquilibres dans le processus de défense des droits de l'homme contredisent fondamentalement l'objectif au nom duquel l'OSCE a vu le jour: créer un espace européen indivisible de sécurité avec des commandements de la démocratie uniques pour tous.

Voilà pourquoi la Russie réclame aujourd'hui une réforme globale, qui optimiserait le fonctionnement des institutions de l'OSCE et de son Secrétariat. La restructuration du système de financement de l'OSCE devra aussi être un élément fondamental de la réforme. Moscou menace de ne pas entériner le budget de l'Organisation pour 2005 si l'échelle des cotisations n'est pas établie en tenant compte du principe de solvabilité des Etats, conformément à la méthodologie de l'ONU, et si la dépense des ressources non-budgétaires n'est pas réglementée.

Il semblera peut-être à d'aucuns que la Russie est tout simplement irritée par ses divergences avec l'OSCE dans l'appréciation des processus qui se déroulent dans l'espace post-soviétique. En réalité les motivations de Moscou sont bien plus profondes et principielles. Il ne veut pas que l'OSCE oublie sa mission initiale qui est de servir d'instrument unificateur de l'Europe. Le Kremlin est convaincu que le mandat de l'OSCE est bien plus large et plus substantiel que les services unilatéraux qu'elle octroie aujourd'hui.

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