Au lieu de louer la Russie pour la ratification de l'accord de Kyoto, on la condamne

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PARIS (de notre correspondante Angela Charlton spécialement pour RIA Novosti). L'adhésion tardive de la Russie au protocole de Kyoto était une décision purement politique qui ne traduisait nullement la préoccupation pour l'état de l'environnement. Cependant, la condamnation de Moscou pour une démarche aussi intéressée n'aura pas l'effet escompté, au contraire, elle ne peut que provoquer une réaction appropriée de sa part.

Le sort de l'accord de Kyoto qui ne pouvait pas être adopté depuis sept ans dépendait entièrement de la décision de la Russie, dont le territoire immense et la part dans les émissions générales de bioxyde de carbone et de gaz à effet de serre sont considérables. Après quelques années de scepticisme de la Russie envers cet accord, Vladimir Poutine l'a tout de même signé à l'automne dernier en échange du soutien de l'adhésion de la Russie à l'OMC. Enfin, la décision de la Russie de rejoindre l'accord de Kyoto - tellement souhaitée par tout le monde - entre en vigueur ce mercredi.

La décision de Vladimir Poutine a suscité l'approbation modérée des partisans européens de cet accord qui a été ensuite noyée par les vagues de critiques émises à l'adresse de la politique appliquée par la Russie. En ce qui concerne l'Amérique du Nord, les approbations avares de la décision de la Russie parvenant du Canada ont fortement contrasté avec le silence total de l'administration américaine qui est hostile aux ententes de Kyoto.

La décision de la Russie de soutenir l'accord de Kyoto pourrait être une victoire morale sur les Etats-Unis: alors que l'Amérique, riche, affiche son mépris pour l'avenir de notre planète, la Russie, pays plus pauvre, sacrifie ses intérêts à court terme au nom de la santé de la population de toute la Terre à long terme. Les rares Américains qui ont réagi au changement radical de la position de la Russie à l'égard du Protocole ont fait remarquer que le comportement de la Russie sur ce point avait un caractère de façade. Ils ont vivement critiqué aussi bien Vladimir Poutine pour son opportunisme politique que les multiples insuffisances du Protocole.

Cette réaction témoigne des divergences de plus en plus profondes dans les rapports entre la Russie et l'Occident. Les tentatives de la Russie en vue d'adhérer aux organisations internationales ne trouvent plus la compréhension et l'approbation de ses partenaires plus riches, au contraire, elles ne suscitent que leur suspicion. Les leaders des pays d'Occident sont de plus en plus enclins à isoler la Russie à cause de sa politique intérieure. Quant à la Russie, elle a toujours eu tendance à s'isoler elle-même, lorsque la pression extérieure devenait trop forte. Le Protocole de Kyoto pourrait parfaitement constituer une chance de rompre ce cycle et présenter ce terrain si nécessaire, ce point de convergence des intérêts de Moscou et du monde occidental dans l'océan des contradictions qui existent entre eux.

Au lieu de cela, en raison du statut international versatile du Protocole, ainsi qu'à cause de la différence des positions des Etats-Unis et de l'Europe à l'égard de ce document, la Russie en sera probablement pour ses frais. La réaction timide de l'Occident à la décision de Vladimir Poutine n'a fait que raffermir la certitude des dirigeants russes qu'il est inutile de faire des concessions à l'Occident et a renforcé les positions des Russes qui se prononcent contre la coopération internationale.

Andrei Illarionov, conseiller du président, a déclaré qu'il n'a pas été autorisé à intervenir à Davos cette année, car sa position très critique sur le protocole de Kyoto aurait suscité une réaction négative de Tony Blair et constitué une attaque personnelle contre le premier ministre britannique. De même que de nombreux autres adversaires du protocole de Kyoto, Andrei Illarionov met en doute son bien-fondé scientifique. Cependant, ses arguments avancés contre le protocole de Kyoto, surtout son principal argument, selon lequel le protocole freinera le développement économique de la Russie et qui est formulé au moment où le pays accède aux plus grands marchés internationaux en tant qu'un des partenaires principaux, reposent également sur des thèses fort contestables.

Compte tenu des problèmes sérieux de la Russie dans le domaine des économie d'énergie, l'exécution ne serait-ce que d'une partie des clauses du protocole de Kyoto serait bénéfique pour son économie, bien que certaines pertes sous forme de dépenses accrues soient inévitables à court terme. Les adversaires de cet accord estiment notamment qu'à cause de la ratification du protocole de Kyoto par la Fédération de Russie le peuple russe manquera de chauffage dans les conditions de l'hiver rigoureux dans le Nord du pays. Cependant, tout Moscovite qui habite dans un appartement surchauffé en hiver vous confirmera volontiers que, dans les conditions du chauffage central actuel, les pertes de chaleur atteignent, selon certaines estimations, 50 %.

Le secteur pétrolier de l'économie russe s'est prononcé contre le Protocole de Kyoto et la chute libre des prix du pétrole met les autorités russes mal à l'aise. Dans le même temps, il est grand temps de procéder à la modernisation technique de nos raffineries de pétrole conformément au Protocole de Kyoto. Cela rendra l'industrie pétrolière plus rentable et plus attrayante pour les investisseurs étrangers tout en améliorant l'état de santé de la population grâce à dépollution de la terre et de l'air. De telles réformes sont plus importantes pour le secteur que la construction de nouveaux immeubles de bureaux par les sociétés pétrolières et l'achat de nouveaux avions à des fins corporates qui ont absorbé tous les pétrodollars accumulés pendant le boum pétrolier des dernières années.

Comme l'État réaffirme progressivement son contrôle sur la production nationale de pétrole et s'approprie tous les gisements en limitant leur exploitation et leur achat par les entreprises étrangères, laréalisation des réformes en application du Protocole de Kyoto portera préjudice aux sociétés pétrolières publiques. Les analystes en déduisent que la Russie ne respectera pas les clauses du Protocole.

Avant d'entamer la réalisation du Protocole de Kyoto, la Russie doit évaluer ses émissions des gaz et la quantité de gaz absorbés par les forêts et les marécages. Cette mission ne sera pas facile pour le pays le plus vaste de notre planète. Les États européens doivent surveiller ces efforts, parce qu'ils sont intéressés à ce que la Russie participe activement à l'application du Protocole et le rend ainsi viable. Les observateurs européens doivent aussi veiller à ce que les nouvelles structures russes chargées de vendre les quotas d'émission de gaz ne soient pas touchées par la corruption. Il n'est pas exclu que la Russie n'arrive jamais à atteindre le niveau requis d'émission de gaz polluants pour participer aux manifestations prévues par l'accord de Kyoto. Et même si elle y parvient, il est fort probable qu'elle ne trouvera pas acquéreur pour ses quotas. Or le commerce des quotas d'émission est le vrai moteur économique de la réalisation du Protocole.

Cependant, si la Russie réussit à mettre en œuvre ce projet ambitieux à long terme, ses effets se feront sentir dans l'économie russe et amélioreront la situation écologique dans l'ensemble de son territoire. Ce projet peut s'avérer un cadeau formidable ou une charge trop lourde pour la Russie. Cela dépend de la position de principe de Vladimir Poutine et des partisans occidentaux du Protocole de Kyoto.

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