La grenade dégoupillée géorgienne

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MOSCOU, 21 juillet - par Evguéni Sidorov, politologue, en exclusivité pour RIA Novosti.

L'enquête sur la tentative échouée d'attentat contre les leaders américain et géorgien est entrée dans sa phase finale. Un suspect nommé Vladimir Aroutiounian a été arrêté et, blessé au moment de l'arrestation, a avoué sa faute, à en croire ses médecins traitants.

Pendant que le président américain George W. Bush prononçait un discours le 10 mai au centre de Tbilissi, le malfaiteur a lancé en direction de la tribune une grenade enveloppée dans un mouchoir. La grenade était dégoupillée et n'a pas explosé par le plus grand des hasards.

"Les médecins racontent qu'il s'est dit prêt à renouveler sa tentative d'attentat contre les deux présidents", a déclaré le vice-ministre géorgien de la Santé, Irakli Guiorgobiani. Des représentants du FBI ont déjà visité le suspect à l'hôpital, rapporte le ministère de l'Intérieur.

L'affaire semble toucher à sa fin: le malfaiteur est en garde à vue, et il subira une lourde peine. Mais l'histoire ne vient que de commencer.

Le président américain se rendait pour la première fois dans un pays qui, de l'avis de beaucoup d'Occidentaux, est la vitrine de la liberté et de la démocratie dans le ténébreux royaume de l'autoritarisme qu'est l'échiquier post-soviétique. Cependant, c'est à Tbilissi qu'un attentat attendait l'un des chefs d'État les plus protégés du monde.

Non seulement la partie accueillante a été incapable de garantir la sécurité des hôtes éminents, mais aussi elle n'a pas su présenter d'explications crédibles de ce qui s'était passée. "La grenade ne représentait aucune menace", a indiqué le secrétaire du Conseil national de la sécurité, Guela Bejouachvili. Pourtant, ce n'était pas le cas.

Pire encore, les autorités géorgiennes n'avaient pas prévenu les États-Unis de l'avertissement de Moscou concernant la possibilité d'un attentat contre le président américain, annoncent des sources dans la capitale russe.

Washington ne fait que commencer à se familiariser avec la Transcaucasie. Et tout porte à croire que cette première surprise, quoique peu agréable, de l'attentat contre Bush ne sera pas la dernière.

La militarisation de la Géorgie peut aussi constituer une surprise. Car, qu'on le veuille ou non, elle a tous les traits d'un État "raté". Gâté par l'Occident, son leader Mikhaïl Saakachvili mène une politique ouvertement militariste et continue de concentrer le pouvoir entre ses mains au moyen de "recettes" connues, comme les pressions sur les médias, les modifications législatives, etc.

Sur fond de troubles intérieurs et de graves problèmes socio-économiques, la Géorgie dépense des fonds énormes, pour un pays pauvre, pour la défense et la protection de l'ordre public. Rien qu'en 2005, 324 millions de dollars, soit un cinquième du budget national, ont été déboursés à cette fin. "Cette année, la Géorgie a le plus gros budget militaire des pays du Caucase du Sud qui est égal à son budget national sous Edouard Chevardnadze", a avoué le ministre de la Défense, Irakli Okrouachvili. Mais il existe, selon une source à Moscou, d'autres fonds extrabudgétaires de financement des structures de force alimentés par des caisses "secrètes" au sein du ministère de la Défense et du ministère de l'Intérieur.

Des armements, y compris lourds, sont achetés à l'étranger, en particulier dans les pays de l'ancien bloc de Varsovie qui, après avoir adhéré à l'OTAN, cherchent à se débarrasser de leurs vieux arsenaux. Ainsi, en avril-mai 2005, la Géorgie a signé des contrats avec la Macédoine et la Bulgarie sur la fourniture de 7 avions d'assaut Su-25. En outre, la Hongrie, la République tchèque, la Roumanie et la Macédoine envisagent de céder à la Géorgie - gratuitement - près de 2 000 armes automatiques et une grande quantité de munitions. Et ce sont les militaires américains, toujours selon la source moscovite, qui jouent le rôle de principaux coordinateurs des achats.

On a l'impression que ceux qui fournissent des armes à la Géorgie ne se rendent pas compte des conséquences de la militarisation active du pays dont les forces de l'ordre ne sont pas en mesure de protéger leur propre président.

N'oublions pas que les conflits en Abkhazie et en Ossétie du Sud ne sont toujours pas réglés. On ne connaît que trop les déclarations de certains représentants du pouvoir exécutif et législatif de Tbilissi prêts à jouer avec le feu dans les zones de conflit. La tentation du recours à la force risque de déstabiliser fortement la situation non seulement en Géorgie, mais aussi dans la Transcaucasie entière.

Dans cette région, comme dans les régions voisines, aucun acteur important n'y a intérêt, notamment avec l'ouverture de l'oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan et le début des travaux de construction du gazoduc Bakou-Tbilissi-Erzeroum.

Vu la corruption omniprésente, les armes risquent de se propager à l'intérieur et au-delà de la région, mais aussi de tomber entre les mains des terroristes internationaux. Bref, une menace qui semble tout à fait réelle.

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