Les palais russes seront vendus aux enchères

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MOSCOU, 6 septembre-Anatoli Korolev, commentateur politique de RIA Novosti.

La Russie aborde une nouvelle étape de l'histoire postsoviétique. Le gouvernement a élaboré un projet de loi qui lève le moratoire sur la privatisation des palais des princes, des anciennes propriétés seigneuriales, des parcs paysagers et d'autres nids de la noblesse.

La proposition de lever le moratoire appartient au président. Il est prévu d'examiner la loi appropriée fin septembre à la Douma (chambre basse du parlement russe). De l'avis du ministre de la Culture Alexandre Sokolov, la Douma soutiendra l'initiative du président et, à partir du 1er janvier 2006, tout particulier pourra acheter aux enchères une part du gâteau.

Mais si, au lieu d'un coffret magique, nous ouvrons par hasard la boîte de Pandore et si la privatisation sert de prétexte à une nouvelle guerre?

Les ventes aux enchères auront lieu à Saint-Pétersbourg. Si, à Moscou, pratiquement tous les palais et les hôtels particuliers abritent des institutions d'Etat, des ambassades ou des musées, par contre, à Saint-Pétersbourg, des centaines de monuments de la culture sont loués à des fins différentes, certains d'entre eux se sont même transformés en salons de beauté et en brasseries.

L'état de la plupart de ces monuments culturels est déplorable. Voilà pourquoi Valentina Matvienko, gouverneure de Saint-Pétersbourg, œuvre depuis des années en vue de lever le moratoire sur la privatisation des hôtels particuliers, car autrement il n'y aura bientôt rien à vendre. Or, c'est une véritable mine d'or pour l'Etat. C'est une source de revenus supplémentaires à l'instar des recettes provenant de la vente du pétrole et du gaz. Une liste dressée à Saint-Pétersbourg compte 20 palais convoités par huit banques.

Le palais du grand duc Alexei Alexandrovitch sur le quai de la Moïka est le morceau le plus alléchant. Son prix n'est pas encore fixé, mais il s'agit de dizaines de millions de dollars.

Le président estime également que c'est une source budgétaire importante.

On ne peut pas contester l'idée de privatiser les monuments de l'histoire et de la culture, car l'Etat n'a pas les moyens d'entretenir les milliers de bâtiments uniques en leur genre dans un état convenable.

La vente de palais a été proposée, dès 1994, par le président Boris Eltsine. La tentative actuelle est la sixième du nombre.

A Moscou, une guerre a éclaté entre la mairie de la capitale et le gouvernement pour les droits sur ces monuments de la culture. A la différence de Saint-Pétersbourg, à Moscou, le gâteau tsariste a été partagé. Par exemple, le ministre du Développement économique Guerman Gref accuse l'administration municipale de Moscou de s'être approprié 1500 monuments sous tutelle fédérale.

Aujourd'hui, on peut estimer que la première étape de la guerre a pris fin.

La mairie s'est retirée du champ de bataille.

Mais n'oublions pas que tous les palais, chaque hôtel particulier, chaque parcelle de la propriété nationalisée ont des propriétaires potentiels: ce sont, le plus souvent, des nobles, des héritiers des familles célèbres. Bien qu'ils soient ruinés et vivent dans d'autres pays, bien qu'ils aient changé de nom, ils ont un droit de préemption sur ces biens, même si ce droit est mythique. Si l'on vend, par exemple, l'hôtel Riabouchinski qui abrite aujourd'hui le musée de l'écrivain Maxime Gorki ou le palais d'Ostankino qui appartenait jadis à la famille du comte Chouvalov, la transaction peut être contestée par les héritiers de ces célèbres familles. La famille impériale russe des Romanov prospère à l'étranger, il y a même un jeune prétendant au trône. Il y a également des représentants des familles les plus éminentes: les Bobrinski, les Golitsyne. L'assemblée des nobles de Moscou se renforce. Le rétablissement des certificats généalogiques bat son plein. Il y a également les descendants des capitalistes russes d'avant la révolution. Bref, des héritiers se présenteront.

La disposition de la Constitution sur l'immuabilité de la propriété privée concerne les Russes aussi bien "anciens" que "nouveaux". Les millions de dollars payés pour acquérir le palais d'un "ci-devant propriétaire" n'abrogeront pas les droits de ses descendants, même s'ils sont pauvres aujourd'hui.

D'ailleurs, un précédent a déjà été créé en Russie: le bâtiment d'une ancienne colonie de vacances située près de Rostov la Grande qui était jadis le patrimoine du prince et généralissime Alexandre Souvorov a été acheté fin juillet par le jeune entrepreneur de Moscou Serguei Leontiev, descendant du généralissime.

Dans ce cas, le domaine a été mis en vente par la municipalité de Rostov, il n'y avait pas de prétendants sauf Serguei Leontiev, c'est pourquoi il n'y a pas eu d'enchères. En fin de compte, l'homme d'affaires a acquis le domaine pour 45 000 dollars.

Le nouveau propriétaire a pris l'engagement d'autoriser le libre accès à cet endroit cher au cœur de tous les patriotes russes.

Les désirs des autorités et du propriétaire ont coïncidé: Serguei Leontiev n'a pas l'intention d'entourer le domaine d'une enceinte en béton. Il se propose d'installer le musée d'Alexandre Souvorov dans une partie du domaine et d'ouvrir, dans l'autre, un hôtel pour les clients VIP. Le propriétaire du domaine envisage de dépenser plus d'un million de dollars pour la réhabilitation totale du domaine, du parc paysager, pour la restauration de l'écurie, du chenil et de l'étable.

Mais je suis certain qu'il s'agit là d'une rare coïncidence des intérêts de l'Etat et du propriétaire. C'est une exception à la règle. La prochaine privatisation des monuments de la culture, dont la nécessité est incontestable, provoquera de nouveaux ébranlements.

Il est prévu de mettre en vente environ 60 000 bâtiments d'importance régionale et près de 25 000 monuments relevant du Centre.

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