Ukraine : un gouvernement provisoire pragmatique

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MOSCOU, 29 septembre (Alexeï Makarkine, directeur général adjoint du Centre des technologies politiques en exclusivité pour RIA Novosti).

La composition du nouveau gouvernement ukrainien avec à sa tête Iouri Ekhanourov n'a pas été une surprise. Cependant, plusieurs candidats aux postes de ministres dont les noms avaient été cités dans les médias sont finalement restés sans poste. Quoi qu'il en soit, l'essentiel était prévisible : le gouvernement de Iouri Ekhanourov témoigne du pragmatisme de l'élite ukrainienne.

Anatoli Kinakh, ancien premier vice-premier ministre, a quitté le gouvernement. Mais il est resté au sein du système de pouvoir et a même, selon certains experts, bénéficié d'une promotion, ayant succédé à Piotr Porochenko au poste de secrétaire du Conseil de sécurité et de défense nationale (CSDN).

Cependant, cette promotion semble éphémère : à la différence de son prédécesseur, M. Kinakh a perdu le droit d'approuver les candidatures des juges, des membres du Conseil supérieur de la Justice, des dirigeants des structures de force dans les régions, ainsi que l'attribution des grades militaires. Le secrétaire du CSDN a été privé du statut de conseiller du président, du droit de participer aux réunions du gouvernement et de donner des consignes aux organes exécutifs. Anatoli Kinakh a néanmoins accepté ce poste, nouveau point de départ pour ses éventuelles ambitions au poste de premier ministre.

En revanche, le ministre des Finances, Victor Pinzenik (baptisé "Gaïdar ukrainien" dans les années 1990 [Egor Gaïdar, ministre des finances sous Boris Eltsine, est théoricien de la thérapie de choc dans l'économie]), n'a pas trop hésité entre ses sympathies pour Ioulia Timochenko et sa volonté de conserver le poste de ministre. Le problème venait du fait que Mme Timochenko ne pouvait que lui proposer le même poste de ministre des Finances, et ce dans l'avenir hypothétique des élections à la Rada (parlement), puisqu'il n'est pas évident qu'elle redevienne première ministre. Pour sa part Victor Iouchtchenko, était en mesure de le nommer immédiatement. En faisant partie du nouveau gouvernement de Iouri Ekhanourov, le ministre, pragmatique, a choisi, bien évidemment, une variante plus rationnelle.

Les ministres des Affaires étrangères et de la Défense, Boris Tarassiouk et Anatoli Gritsenko, ont quant à eux conservé leurs postes. Ce qui signifie que le vecteur euro-atlantique de la politique extérieure et de défense du pays ne sera pas revu.

Le maire de Kiev, Alexandre Omeltchenko, qui n'a pas fait partie du gouvernement, figure manifestement parmi les gagnants. Il est le seul dirigeant des régions ukrainiennes à avoir conservé son poste après l'arrivée au pouvoir de Victor Iouchtchenko. L'important ne réside pas uniquement dans le fait que son représentant au gouvernement, le ministre du Combustible et de l'Energie, Ivan Platchkov, soit resté à son poste. La chose essentielle est que l'allié de longue date de M. Omeltchenko, Stanislav Stachevski (qui a été pendant des années vice-maire de Kiev), ait accédé au poste de premier vice-premier ministre. Il y a quelques années, il était, sans avoir cueilli trop de lauriers, à la tête du ministre du Combustible et de l'Energie.

Un autre vétéran de l'appareil d'Etat ukrainien, Ivan Sakhan, est devenu ministre du Travail et de la Politique sociale. Il y a quelques années, il avait déjà occupé ce poste, dans trois gouvernements à la suite. Ces derniers temps, il travaillait comme directeur général à Aluminium d'Ukraine, filiale de Rusal d'Oleg Deripaska.

Arseni Iatseniouk (membre de l'équipe de Sergueï Tiguipko à l'époque de sa présidence de la Banque nationale d'Ukraine), a été nommé nouveau ministre de l'Economie. M. Tiguipko dirigeait l'état-major électoral de Victor Ianoukovitch pendant les élections présidentielles de 2004.

Suite à la "révolution orange", Sergueï Tiguipko a perdu son poste à la Banque nationale. M. Iatseniouk n'a pas su s'entendre avec son successeur Vladimir Stelmakh, ancien ami de Victor Iouchtchenko. A cette époque-là, les experts du marché des valeurs exprimaient leur déception face à la démission de ce partisan important de l'économie de marché et auquel a recours aujourd'hui, le cabinet de Iouri Ekhanourov.

Quant à l'appartenance politique de chaque ministre durant les jours de la révolution, elle ne préoccupe guère personne en Ukraine pragmatique.

La nouvelle composition du gouvernement se présente donc comme suit :

Victor Pinzenik (professeur, libéral, avec un goût manifeste pour la politique),

Stanislav Stachevski (constructeur, gestionnaire à l'âge de la retraite, de type soviétique),

Ivan Sakhan (il a longtemps travaillé au Komsomol et a été inspecteur du Comité central du parti communiste d'Ukraine à la fin des années 1980).

Enfin, Arseni Iatseniouk, 31 ans, jeune manageur contemporain, de même que Victor Bondar, 29 ans, nouveau ministre des Transports et des Télécommunications. Qu'est-ce qui réunit ces hommes ? C'est uniquement le pragmatisme politique.

Mais peut-on considérer que cette équipe formera un gouvernement opérationnel composé de partisans des mêmes idées, capable de venir à bout des problèmes réels auxquels fait face le pays (tels que le brusque ralentissement de la croissance économique, l'inflation galopante, l'absence du boom des investissements attendu) ?

Il semble que c'est le prochain cabinet des ministres, formé à l'issue des élections, qui s'occupera de ces problèmes. La tâche du gouvernement de Iouri Ekhanourov consiste à traverser l'hiver sans bouleversements, en évitant une nouvelle crise gouvernementale et une lutte violente entre adversaires politiques ambitieux. Ce gouvernement est en fin de compte provisoire, il ne sera sans doute pas habilité à adopter des décisions de principe.

D'ailleurs, il y a lieu de supposer que le gouvernement ukrainien formé après les législatives ressemblera à celui de Iouri Ekhanourov. Il y aura, bien entendu, de nouveaux personnages, mais son essence, qui réside dans le compromis pragmatique intra-élitaire, restera la même.

Il est évident qu'aucun parti ukrainien ou même une coalition politique stable ne saurait à l'issue de la campagne électorale former un gouvernement en toute indépendance. Il se peut donc que le prochain cabinet des ministres représente un dispositif aussi complexe et contradictoire que le gouvernement provisoire de Iouri Ekhanourov.

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