La "diedovchina", ce nouveau terme russe entré dans le lexique international

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Par Boris Kaïmakov, commentateur de RIA Novosti

La "diedovchina" - sorte de bizutage violent ayant cours dans l'armée russe - est un terme russe qui tend à être utilisé dans la presse étrangère aussi couramment que spoutnik, cocktail Molotov, vodka, etc. Le bizutage est un système de brimades auxquelles les "anciens" soumettent les "bleus". Les "anciens" occupent une position dominante dans la troupe et en général ce sont eux qui font régner l'ordre et la discipline. Dans la caserne c'est sur les "anciens" que les officiers s'appuient, se déchargeant ainsi sur ces soldats de leurs obligations de service quotidiennes et de leurs tâches liées à l'observation du règlement militaire. Cependant, ce contrôle est exercé au moyen de méthodes brutales, prohibées bien entendu par le règlement.

Ces derniers jours la Russie a toutes les peines à se remettre du choc. Un jeune soldat de l'Ecole des blindés de Tcheliabinsk (Oural) a été amputé des deux jambes et des organes génitaux. Les médecins ont été contraints à cet acte extrême après que dans la nuit du Nouvel An le jeune soldat en question ait été passé à tabac et humilié. Ce garçon a été contraint de rester accroupi pendant plus de trois heures d'affilée et il était roué de coups dès qu'il esquissait un mouvement. Trois jours plus tard, quand on s'était aperçu que la gangrène s'était déclarée, on a appelé des médecins.

En principe dans l'armée les brimades auxquelles les "bleus" sont soumis sont notoirement connues. A plusieurs reprises le Comité des mères de soldats a publié des informations sur ces brimades. Les jeunes sont parfaitement au courant de ce phénomène aussi font-ils des pieds et des mains pour échapper au service militaire. Les procédés sont connus. La remise d'un pot-de-vin à la commission de réforme en est un. Si bien que les jeunes appelés sous les drapeaux sont issus de familles nécessiteuses, ce qui marginalise les effectifs. Les tentatives entreprises par le Comité des mères de soldats pour attirer l'attention de l'opinion sur ce phénomène du bizutage se sont heurtées à la résistance des hautes instances militaires et de nombreux députés à la Douma (chambre basse du parlement) qui pensent que cette information a pour but d'affaiblir l'armée et de la miner de l'intérieur. Surtout que le Comité des mères de soldats est une organisation non-gouvernementale et que nombre de ces organisations sont financées de l'étranger. Le débat sur la légalité de cette activité financée par des sponsors étrangers a été relancé après que le FSB (services de sécurité) eut révélé que des agents britanniques professionnels en poste à Moscou versaient des fonds à des organisations non-gouvernementales hostiles au pouvoir. Au cours de récents entretiens avec la chancelière allemande, Angela Merkel, Vladimir Poutine a relevé que ce financement d'organisations russes par des services de renseignement étrangers jetait le discrédit sur ces défenseurs des droits de l'homme.

Cependant, la réaction des militantes des droits de l'homme du Comité des mères de soldats ne pouvait plus être ignorée plus longtemps par le ministère de la Défense. Ce qui s'est passé à l'Ecole de blindés de Tcheliabinsk a suscité une vague d'indignation même dans les milieux militaires et le ministre de la Défense, Sergueï Ivanov, a réclamé publiquement à la télévision l'ouverture d'une enquête approfondie sur ce drame.

Des généraux ont été dépêchés à Tcheliabinsk, le parquet a ouvert une enquête, des soldats et des officiers de cet établissement ont été arrêtés. Qui plus est, on a annoncé que l'école serait dissoute, mais peu après le ministère de la Défense a démenti cette information. Le soldat Sytchev a été hospitalisé dans un état grave.

Cela ne fait aucun doute, les soldats et les officiers qui ont martyrisé Sytchev seront punis. Certains seront dégradés et bannis de l'armée, d'autres seront condamnés à des peines d'emprisonnement. Mais est-ce que cela mettra les futurs jeunes soldats à l'abris des sévices des "anciens"? Les partisans de l'armée de métier prétendent que ce n'est pas de cette façon que l'on règlera le problème de fond. Ils préconisent de créer une armée sur le modèle occidental. Ce doit être une armée de professionnels, avec des officiers bien payés, jouissant du respect au sein de la société et qui se respectent eux-mêmes. Quant aux soldats, ils doivent servir sur contrat. Selon eux, c'est la seule façon d'éradiquer le bizutage.

L'histoire de Tcheliabinsk a révélé un autre problème. On s'interroge sur l'état de santé mentale de soldats qui peuvent avoir un comportement sadique vis-à-vis de leurs camarades. Peut-on confier à ces militaires le maniement d'armes sophistiquées? C'est que ces armes pourraient très bien être utilisées contre quelqu'un!

Cette question a été posée aux généraux. Le chef du Département éducation des Forces armées russes, le général Nikolaï Reznik, y a répondu en disant ceci: "Nous avons suggéré à la Douma de recourir au détecteur de mensonges".

Selon ce haut responsable militaire, il est indispensable d'exclure la présence de militaires malades et psychiquement instables dans certaines armes, notamment dans les troupes de missiles stratégiques, la défense antiaérienne, la flotte sous-marine, l'aviation et les troupes blindées.

"Quand un militaire est malade il peut être à l'origine d'un accident et même d'une tragédie planétaire", estime ce général russe.

Jusqu'ici ce genre de déclarations n'émanait que d'experts indépendants et de militants des droits de l'homme. Aujourd'hui elles sortent de la bouche d'officiers supérieurs du ministère de la Défense.

Les photos (l'armée russe)

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