En finir avec l' "égoïsme énergétique"

S'abonner

Par l'académicien Evgueni Velikhov, président de l'Institut Kourtchatov, RIA Novosti

Le problème de la sécurité énergétique globale est universel en ceci qu'il comporte des aspects à même de menacer le monde. Le développement économique rapide de notre civilisation exacerbe le conflit entre les besoins en énergie et les possibilités réelles de cette dernière. Un autre conflit existe parallèlement, entre l'utilisation intensive de l'énergie et les résultats de ce processus, qui se matérialisent par une pression anthropogène sur l'environnement. On voit se dessiner le danger d'une action globale des gaz à effet de serre sur le processus de réchauffement, sur le changement du climat.

Deux solutions existent pour régler le problème énergétique global. La première consiste à persister dans l'"égoïsme énergétique". On ne saurait ne pas être d'accord avec le président Vladimir Poutine quand il dit que c'est une "voie sans issue". En s'y engageant les pays du G8, le fameux "milliard en or", se replieraient sur eux-mêmes tandis que les autres n'auraient plus qu'à survivre comme ils le pourraient. Seulement alors il faudrait se mettre à l'abri derrière des alliances militaires, des escadres, etc. Tout ceci générerait moult désagréments sous forme d'affrontements mondiaux à différents niveaux, d'une escalade du terrorisme. Par conséquent, vouloir s'isoler de ceux qui se retrouveraient dans une situation difficile, ce serait pratiquer la politique de l'autruche. Seule une politique réaliste, unique et à long terme sera productive. Elle seule permettra d'assurer au monde un développement économique durable, sans crise.

D'un côté, la consommation mondiale d'énergie est considérable, et de l'autre deux milliards d'hommes et de femmes vivent sans l'électricité. Les pays sont loin de tous posséder des ressources énergétiques naturelles et même dans le G8, strictement parlant, la Russie est le seul pays à en disposer (et aussi le Canada dans une certaine mesure). Cela signifie par conséquent que la Russie est à même d'exercer un impact sur la situation énergétique dans le monde. Brossant il y a quelque temps les thèmes du prochain sommet du G8 à Saint-Pétersbourg, Vladimir Poutine a inséré le problème énergétique parmi les priorités. Il avait déjà plusieurs fois mis l'accent sur l'importance de cette question. Il y a six ans, au sommet du Millénaire à New York, le chef de l'Etat russe avait suggéré d'envisager les démarches à entreprendre pour stabiliser la situation dans le monde. L'attention de tous les instants qu'il accorde à ce thème est le fruit d'aspiration pacifiste et aussi de la compréhension que le monde est global.

La situation énergétique dans le monde ne cesse de se dégrader. On en veut pour preuve la montée en flèche des prix du pétrole. Pour de nombreux pays la cherté du produit énergétique essentiel est une véritable catastrophe pouvant déboucher sur une faillite totale.

Dans l'histoire il est déjà arrivé que des événements politiques gravissimes ou des guerres provoquent une valse des étiquettes, après quoi les prix retrouvent une certaine stabilité. Il y a quinze ou vingt ans l'énergie était très bon marché. Seulement la situation a changé et, probablement, de façon irrémédiable. Voilà quel doit être le point de départ en évaluant la portée de la question énergétique et des propositions émises par le président russe dans un article écrit au nom de la Russie assumant la présidence au G8 et publié dans la presse occidentale. De nouveaux aspects de ce thème ont été développés lors de la rencontre des ministres de l'Energie du G8 qui vient de se tenir à Moscou.

Maintenant que nous avons pris conscience que la crise énergétique n'était pas quelque chose de provisoire, il importe de réfléchir en voyant grand. Qu'est-ce que c'est qu'une crise? Pour reprendre un terme de physique, c'est quand les événements évoluent comme une réaction nucléaire en chaîne qu'il devient impossible de maîtriser. Vous prenez à la va-vite des mesures, colmatez les brèches, mais les événements poursuivent leur course et leur vague finit par vous submerger. C'est alors que des situations explosives, critiques voient le jour.

C'est à partir de cette compréhension de la crise que nos démarches doivent être envisagées. Parmi les mesures importantes à prendre, Vladimir Poutine suggère la recherche de procédés à même d'accroître le rendement énergétique en implantant des technologies nouvelles. Si l'on évoque ce problème sur l'exemple de la Russie, force est d'admettre que nous brûlons le gaz de manière fort peu économique, chauffons des logements dépourvus d'isolation thermique et gaspillons l'électricité.

Le développement durable doit aussi avoir pour mission de stabiliser, d'élargir et d'affermir les marchés des principaux combustibles organiques que sont le pétrole et le gaz. Ces marchés doivent être plus prévisibles et gérables, en tenant compte des réserves disponibles et de leur accessibilité. Nous voudrions mettre l'accent sur le rôle que la Russie pourrait jouer dans la solution du problème du gaz. Ce combustible est acheminé essentiellement au moyen de conduites, il est impossible de le transporter comme le pétrole par tankers. Aussi pour des raisons de mobilité faut-il passer au gaz liquéfié. Le plateau continental de l'Arctique russe recèle d'immenses réserves de gaz qui pourraient constituer la principale source d'approvisionnement du marché global du gaz liquéfié. Un grand axe de transport de gaz liquéfié doit être mis en place entre la Russie et l'Europe et nous entendons l'installer. Il s'agit là d'un projet international impliquant un soutien financier substantiel, mais les circonstances nous obligent à nous attaquer à l'entreprise sans tarder.

Aujourd'hui on ne peut plus miser sur une augmentation notable de l'utilisation du charbon, bien que ses réserves sur la planète soient encore considérables. Cette matière première organique est source de problèmes concernant le transport et l'écologie. Par exemple, la houille brûlée en Chine a d'ores et déjà des retombées néfastes sur l'environnement du Japon. Les aérosols, les pluies acides ne sont pas faits pour agrémenter l'existence.

Pour éliminer les problèmes écologiques tout en assurant une consommation d'énergie plus grande il faut donner un "souffle nouveau" à l'électronucléaire. En effet, lui-seul est à même d'influer grandement sur la crise. Bien sûr, d'autres sources d'énergie alternatives existent - solaire, éolienne, hydraulique, biologique - et elles aussi doivent être utilisées. Cependant, elles ne sont pas de taille à dompter la crise de l'énergie.

En Russie les ressources sont propriété fédérale, mais elles sont extraites en partenariat Etat/secteur privé. Il serait vain ici de penser que les choses pourraient être stabilisées uniquement en recourant aux deniers des contribuables. L'Etat doit pouvoir se développer, bénéficier d'avantages, le secteur privé doit lui aussi réaliser des profits. Le problème des investissements est évidemment lié à des risques qui ne sont pas tous identiques, tant s'en faut. Imaginez qu'un pétrolier de 150.000 tonnes fasse naufrage. Ou qu'une centrale nucléaire cesse de fonctionner suite à un accident. Dans les deux cas les pertes seraient considérables et il est bien évident qu'une société privée ne pourrait les supporter. D'où l'importance qu'il y a à répartir les risques, à fixer la part assumée par l'Etat et celle de son partenaire. D'ici à 2030, quelque 16.000 milliards de dollars devront être dépensés dans le monde pour développer le secteur électrique. Mais pour que les hommes d'affaires les investissent, ils doivent être sûrs de récupérer leur argent avec des bénéfices.

Actuellement en ce qui concerne les grands projets internationaux il y a tout lieu de se réjouir. Sept partenaires (Etats-Unis, Europe, Japon, Russie, Chine, Inde et République de Corée) ont convenu de construire en France - en partageant les dépenses et les risques - le premier thermoréacteur au monde ITER. L'accord est quasiment prêt, nous espérons qu'il sera signé la veille du sommet du G8 qui se tiendra au mois de juin à Saint-Pétersbourg. Des fonds sont alloués, l'installation ne sera pas opérationnelle avant 2030. Dans l'avenir les centrales thermonucléaires auront un impact considérable sur l'énergie dans le monde. Ce n'est pas pour rien que cette source d'énergie a été baptisée "soleil terrestre". Au fond, les ITER seront au service des générations nouvelles. Ces projets constitueront la "poutre porteuse" de l'architecture de l'énergie mondiale que Vladimir Poutine appelle à léguer aux descendants, de manière à les mettre à l'abri d'un effondrement énergétique et de conflits.

Fil d’actu
0
Pour participer aux discussions, identifiez-vous ou créez-vous un compte
loader
Chat
Заголовок открываемого материала