Message présidentiel : l'opinion du peuple et les risques

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Le dernier message de Vladimir Poutine à l'Assemblée fédérale a ceci de particulier qu'il répond pleinement aux attentes de la société.

Le dernier message de Vladimir Poutine à l'Assemblée fédérale a ceci de particulier qu'il répond pleinement aux attentes de la société. Que souhaite l'homme de la rue, étranger à la politique et aux discussions sur le successeur à la présidence, sur le "troisième mandat" de Poutine? Il veut que sa famille mange à sa faim et que son pays soit puissant. Tout compte fait, telle est l'idée maîtresse du document.

En effet, la population reste loyale envers le pouvoir (et soutient énergiquement le chef de l'Etat, ce que confirme sa cote de popularité), mais la croissance économique et les prix "exorbitants" du pétrole multiplient les attentes. La crise de la monétisation au début de l'année dernière (où les retraités se sont indignés d'avoir été privés de leurs avantages en nature en échange d'une indemnité en espèces) a montré que les gens ne voulaient plus vivre "aussi bien qu'avant" mais demandaient une amélioration substantielle, pas forcément instantanée, de leurs conditions de vie.

D'où les "projets prioritaires", initiative présidentielle de l'année dernière (une bonne part du message leur était consacrée), et le programme de soutien à la famille proclamé cette fois. Pour le pays pétrogazier qu'est la Russie, il convient parfaitement non seulement d'augmenter radicalement les allocations familiales mais de réaliser des projets plus ambitieux comme les engagements concrets de l'Etat envers les femmes après la naissance du deuxième enfant.

En ce qui concerne la politique militaire, son contenu concret n'est pas moins important que sa signification symbolique. Une armée puissante et un complexe militaro-industriel développé sont nécessaires pour que la Russie puisse se positionner dans le système des relations internationales comme un pays jouissant d'une personnalité juridique et capable de faire face à la pression croissante émanant, entre autres, des Etats-Unis. Sous ce rapport, on peut dire que le message présidentiel a été une réponse au discours de Richard Cheney à Vilnius où il s'en est pris à la Russie, principalement sur le terrain de la démocratie.

Une réponse symétrique du président aurait ressemblé, dans cette situation, à une justification ("nous sommes tout de même un pays démocratique...") ou aurait eu un caractère confrontationnel ("nous n'avons pas besoin de vos conseils!"), ce qui n'entrait pas dans les plans du président russe. Il a donc choisi une réponse asymétrique et a esquissé les contours de la Russie future, ce qui est une sorte d'avertissement aux Américains qui ne dépasse pas la limite de la courtoisie diplomatique.

D'autre part, l'armée et le complexe militaro-industriel jouent par tradition, en Russie, un rôle symbolique, celui d'attributs d'un pays puissant dont on peut être fier. A la fin des années 1980 cette tradition avait perdu de sa force dans la conscience des masses mais quelques années plus tard un processus inverse s'est déclenché sous l'effet, entre autres, de l'idéalisation de la période soviétique de l'histoire du pays. D'ailleurs, dans son message le président prend ses distances avec la tradition soviétique consistant à préférer le complexe militaro-industriel à la politique sociale. Cela répond pleinement à l'état d'esprit des gens, qui ne veulent pas que les canons soient favorisés au détriment du beurre.

Il va de soi que le message présidentiel "militaro-social" n'est pas seulement une réponse à la demande de la société qui insiste sur cette version de la politique socio-économique. Un rôle non-négligeable appartient aussi à la déception engendrée par le dialogue avec l'Occident, notamment le dialogue énergétique qui se poursuivra, mais qui a peu de chances de l'emporter sur les autres éléments constitutifs de la politique économique. Autre chose importante, le pouvoir dispose de ressources financières considérables d'origine pétrogazière qui lui permettent de réaliser de grands projets socio-économiques.

Les idées énumérées par le président dans son message ne sont pas toutes vouées au succès. Le principal risque inhérent à la politique choisie ne réside cependant pas dans l'influence extérieure directe (le rôle de l'Occident dans la politique russe contemporaine n'est guère important) mais dans trois autres facteurs, de loin plus puissants.

Le premier facteur est la bureaucratie russe qui, outre qu'elle excelle dans l'art d'enliser les initiatives du pouvoir suprême, est corrompue de fond en comble. En Russie, il n'y a jamais eu de bureaucratie universaliste capable de réaliser des projets d'envergure sur l'initiative ou avec une participation directe de l'Etat (comme cela a été le cas en France après la guerre).

Le deuxième facteur est lié aux intérêts des groupes et des clans qui restent très puissants dans la Russie contemporaine et peuvent s'opposer à toute politique économique réfléchie. Dans ces conditions, le partenariat entre les secteurs public et privé dans la réalisation de la "nouvelle politique" peut offrir de nouvelles possibilités pour accorder des préférences aux structures économiques "amies".

Le troisième facteur est le prix des ressources énergétiques sur le marché mondial. Rappelons que les projets non moins ambitieux d"accélération" de Gorbatchev n'ont pas survécu à la chute des cours du pétrole. La question suivante se pose : aurons-nous assez de temps pour diversifier normalement notre économie car ce processus n'en est qu'à ses débuts? En attendant, les experts attestent que nous en avons suffisamment. Les spécialistes affirment que la période des cours élevés du pétrole, favorable à la Russie, durera encore pendant plusieurs années. Puisqu'on a du temps, autant en profiter efficacement.

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