Des centrales nucléaires flottantes: pour quoi faire?

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Par Tatiana Sinitsyna, RIA Novosti

Pourquoi des centrales nucléaires flottantes sont-elles nécessaires? Plusieurs réponses pourraient être fournies ici, mais l'argument majeur vient de lui-même lorsque l'on jette un regard sur la carte de Russie. Le contour littoral de l'Océan glacial du Nord et des mers extrême-orientales y est prédominant.

Des mers baignent la totalité des territoires septentrionaux, les régions austères, difficilement accessibles mais immensément riches des régions de la Sibérie et de l'Extrême-Orient russe que leurs habitants mettront en valeur pendant des siècles encore.

Cependant, toute incursion en ces contrées implique un approvisionnement régulier en énergie. Or, les centrales hydroélectriques sont à bout de ressources, en ériger d'autres n'est déjà plus possible en raison des conséquences écologiques. Quant aux centrales thermiques, passablement décrépites, elles consomment du combustible organique dont le prix ne cesse d'augmenter. Qui plus est, les ressources naturelles fondent à vue d'oeil: le pétrole, le gaz et la houille sont en quantités suffisantes pour notre génération, mais après, que laisserons-nous aux descendants? Cet impératif moral lui aussi doit être pris en compte. Si bien que force est de se ranger à l'opinion de cette "sommité nucléaire" qu'est l'académicien Evgueni Velikhov, président du Centre de recherche fédéral "Institut Kourtchatov": "Tous les types d'énergie ont droit de cité. Cependant, dans un avenir visible l'électronucléaire restera sans alternative".

Des accidents radiologiques, il y en a eu dans différents pays du monde (une bonne cinquantaine avant Tchernobyl) et, bien évidemment, la catastrophe de Tchernobyl avait fortement compromis l'énergie nucléaire et fait naître dans la société le syndrome de radiophobie. Mais les atomistes savaient que, le temps aidant, les gens prendraient conscience des avantages présentés par l'énergie nucléaire. Ils ont corrigé leurs terribles erreurs et ont tout fait pour que des tragédies deviennent impossibles dans les centrales nucléaires. En pensant surtout à l'avenir, bien sûr, au nouveau potentiel du nucléaire civil.

La centrale nucléaire flottante (CNF) fait partie des projets d'innovation. Après que le directeur de Rosatom (Agence fédérale de l'énergie atomique), Sergueï Kirienko, a signé à Severodvinsk un contrat concernant la construction de la première CNF, les grands moyens d'information occidentaux ont immédiatement évoqué non sans malveillance un "Tchernobyl flottant". Cependant, on se demande ce qui prévaut dans ce stéréotype: la hantise radiologique ou une convoitise banale? Le nouveau projet des atomistes russes est une avancée technologique digne d'intérêt, une solution inédite prometteuse du problème de l'approvisionnement en énergie, qui préoccupe le monde de plus en plus. Il ajoutera au prestige nucléaire de la Russie en matérialisant une idée poursuivie à diverses époques par les Américains, les Chinois et d'autres. Mais seulement poursuivie, sans l'atteindre.

"Cet événement constitue une percée dans le domaine des technologies énergétiques, a déclaré Sergueï Obozov, directeur général adjoint du consortium Rosenergoatom, en commentant le début de la construction de la CNF à Severodvinsk. Grâce à leurs performances exceptionnelles, les réacteurs flottants seront des sources idéales de courant et de chaleur pour les territoires reculés et les entités autonomes de notre pays. Ils deviendront également des produits d'exportation avantageux". Ce point de vue est partagé par les concepteurs: "Notre "petiote" est une véritable aubaine pour les territoires décentralisés, les petites villes et les localités étant donné qu'elle peut régler les problèmes énergétiques sensibles", a souligné le directeur général de la société "Malaïa energuetika", Evgueni Kouzine.

Les ingénieurs ont baptisé leur invention "petiote" parce que sa puissance est 150 fois moins importante qu'une centrale nucléaire ordinaire (avec un réacteur VVER-1000). Seulement pour diverses raisons une centrale nucléaire type ne peut être construite partout. D'autre part, en raison de sa puissance, son implantation se justifie uniquement dans les grandes agglomérations industrielles. Par contre, une CNF, quoique miniature, peut approvisionner en électricité une ville de 200.000 habitants. Elle peut également être utilisée comme station de dessalement de l'eau à raison de 240.000 mètres cubes par jour.

Sergueï Kirienko a annoncé que Rosatom entend aussi construire des CNF dans six ou sept autres sites en Russie. Elles seront installées dans les régions littorales du Grand Nord, à Taïmyr (Doudinka), au Kamtchatka (Vilioutchinsk), au Tchoukotka (Pevek), et auront pour mission d'en finir avec la pénurie de courant dans les régions reculées. Les régions de l'Extrême-Orient russe confrontées en permanence à des problèmes énergétiques, elles non plus ne refuseront pas les services des CNF.

Comment donc fonctionne une centrale nucléaire flottante? Tout d'abord un site d'ancrage pour un ponton est choisi dans les eaux littorales, à proximité d'une ville, d'une localité ou d'une entreprise. Ensuite on installe sur le ponton en question deux réacteurs nucléaires de petite puissance KLT-40S, dont la puissance sommaire assure la production de 70 MW d'électricité et de 150 gigacal/h de chaleur. La CNF comporte également des locaux pour le personnel ainsi que pour les services techniques et domestiques. L'infrastructure terrestre sera compacte: transformateur, station de pompage, centre de distribution de la chaleur. Les dimensions réduites du ponton (21.000 tonnes) et de l'infrastructure terrestre permettent d'implanter la CNF pratiquement dans n'importe quelle zone littorale.

Cependant, tout site énergétique nucléaire fait naître des appréhensions. Sergueï Obozov a assuré que "pour la sécurité, les centrales nucléaires flottantes ne le céderont pas au fusil d'assaut Kalachnikov considéré dans le monde comme un modèle d'arme fiable". Une comparaison impressionnante, certes, mais peut-être pas très heureuse: ce qui se dégage d'un Kalachnikov, c'est quand même une odeur de poudre. La CNF, elle, c'est quelque chose d'essentiellement pacifique, au service du progrès et de la vie.

Les concepteurs de cette "innovation atomique" ont des arguments de plus grand poids à faire valoir. L'idéologie, les principes technologiques insérés dans le projet de CNF ont ceci de bien qu'ils ont été testés par la flotte de brise-glace nucléaires qui depuis 30 dessert la Voie maritime du Nord russe sans le moindre incident. "La centrale nucléaire flottante n'aura aucune influence néfaste sur l'environnement, elle pourra par conséquent être implantés à proximité immédiate des localités, assure Evgueni Kouzine. Lorsque la station quittera les lieux une fois sa mission accomplie, ceux-ci seront la propreté même".

Le fait que la CNF permettra d'économiser annuellement quelque 200.000 tonnes de charbon et 100.000 tonnes de fuel n'est pas négligeable non plus, on en conviendra. Le cycle de vie de la CNF est entièrement assuré par l'industrie nucléaire nationale. Les réacteurs sont chargés en combustible nucléaire une fois tous les trois ans, leurs ressources d'exploitations sont de 40 ans. Ils sont soumis à des révisions complètes une fois tous les 12 ans.

Dans quelle mesure le danger terroriste a-t-il été pris en compte lors de la conception de la CNF? Les critiques de cette dernière prétendent qu'elle représente une "cible de prédilection pour un attentat". Pourtant, les questions sécuritaires ont été étudiées à fond. L'accès aux matières fissiles sera protégé par des technologies biométriques ultramodernes: lecture d'empreintes digitales, reconnaissance par l'iris. Des mesures sont également prévues pour réduire à néant toute tentative de pénétration dans le site par des plongeurs. La centrale a été aussi conçue pour résister à l'impact d'un avion.

La première centrale nucléaire flottante au monde suscite beaucoup d'intérêt à l'étranger, tout particulièrement au Canada, en Indonésie, en Malaisie, en Chine et en République de Corée. Cependant, ces acheteurs potentiels (aux conditions de leasing ou encore de fourniture d'énergie) veulent voir la centrale en marche. Ils en auront l'occasion en 2010, date à laquelle la CNF de Severodvinsk entrera en service.

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