La guerre et la paix de Ramzan Kadyrov

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Par Vadim Doubnov, commentateur indépendant, pour RIA Novosti
Par Vadim Doubnov, commentateur indépendant, pour RIA Novosti

La nomination de Ramzan Kadyrov à la tête de la Tchétchénie a ceci de particulier qu'à la différence de ses nombreux collègues régionaux il aurait pu réaliser cette ascension sans l'aide du Kremlin: en remportant les élections. Le fait que le Kremlin accorde depuis sept ans sa confiance à la famille du leader de l'Itchkérie qui avait lancé le djihad contre la Russie peut sembler aussi étrange qu'illogique.

Cependant, tout est parfaitement logique. En général, il serait excessif de parler de la division idéologique de la Tchétchénie. A la différence des peuples baltes, l'idée de l'indépendance ne s'était pas emparée des Tchétchènes même à l'époque romantique de Doudaïev. Au contraire, malgré le drame de son histoire, la Tchétchénie, de même que ses voisins du Caucase du Nord, restait l'une des contrées les plus conservatrices de la Russie. L'indépendance était bonne tant qu'elle restait une débauche d'insoumission. Or, en temps de guerre, l'objectif principal de la majeure partie de la population est de survivre et non pas de vaincre. Aucune profonde scission n'a non plus été observée parmi les fonctionnaires tchétchènes. Les cadres du gouvernement Dokou Zavgaïev (1995-1996) sont passés dans celui de l'Itchkérie indépendante et ont été ensuite employés par les Kadyrov, père et fils.

Le choix d'Akhmad Kadyrov en tant que symbole de la tchétchénisation était plutôt un acte de désespoir, une tentative pour trouver un leader, à la fois loyal et capable de contrôler les groupes armés illégaux en Tchétchénie. Hier encore mufti de l'Itchkérie, Akhmad Kadyrov était pour les Tchétchènes un personnage, en partie, comique. Misant sur Moscou et sur certains chefs de guerre, comme les frères Iamadaïev, il ne faisait que souligner sa faiblesse et son incapacité d'être leader de tous les Tchétchènes. Si Kadyrov senior avait pu s'attirer effectivement les chefs réels des séparatistes, l'attitude des Tchétchènes à son égard aurait été, peut-être, différente: la deuxième guerre de la fin des années 1990 a presque totalement estompé les signes de confrontation idéologique. Mais, pour des raisons compréhensibles, les chefs séparatistes ne pouvaient pas passer du côté d'Akhmad Kadyrov.

Quant à Ramzan Kadyrov, ils l'avaient connu lorsqu'il était encore le jeune garçon qui portait des papiers du secrétariat de son père dans d'autres administrations de l'Itchkérie, par conséquent, ils n'ont aucune prétention particulière envers lui.

Non seulement la population, mais aussi une bonne partie des séparatistes sont fatigués et se rendent compte de l'absurdité de la lutte. Seuls les plus fanatiques, les plus vindicatifs ou ceux qui, après avoir rejoint les bandits de grand chemin, n'ont nulle part où revenir restent dans les montagnes. Les autres ont vite compris que le passage de la ligne de front ne changerait presque rien dans leur destin.

Il y a deux ans, au cours d'une rafle à Grozny, les miliciens ont tué un terroriste qui se réfugiait chez sa femme. Peu après, la veuve a épousé l'un des miliciens qui avait participé à la rafle. Ensuite, agissant par vengeance, les séparatistes les ont tués tous les deux. Cette histoire a fait la une des faits divers. Le plus important, c'est que les Tchétchènes ont accueilli cette histoire comme un sujet shakespearien dénué d'idéologie.

C'est l'image de la tchétchénisation de l'époque de Ramzan Kadyrov. Toute la politique intérieure tchétchène qui s'est affranchie des mythes se réduit à présent à la lutte russe ordinaire pour une place digne dans la verticale du pouvoir. Pour les Tchétchènes, Ramzan Kadyrov n'est nullement une idole, il est plutôt un antihéros. Les sourires qui lui sont adressés traduisent l'indulgence ou le dédain. Mais, à la différence de son père, il est objectivement devenu, sur la toile de fond terne des autres fonctionnaires, le seul homme politique d'envergure nationale de la Tchétchénie.

Bref, sans accord sur la délimitation des pouvoirs, Ramzan Kadyrov est investi de pouvoirs plus vastes que Doudaïev, Maskhadov et Bassaïev pris ensemble. La "tchétchénisation" du pouvoir dans la république qui est à l'origine de l'ascension de Ramzan Kadyrov a triomphé sous la forme d'une stabilité longtemps attendue.

Tous ses risques se réduisent à cela.

Le problème n'est pas que Ramzan Kadyrov puisse s'offenser un jour et s'en aller dans les montagnes. Non, les montagnes ne l'attirent pas, il comprend qu'en perdant le pouvoir, il perdra tout, y compris tous ses compagnons. Le problème est ailleurs.

La verticale du pouvoir tchétchène, bien qu'elle soit puissante, ne semble pas éternelle ou un tant soit peu durable. Les contradictions propres à la verticale du pouvoir qui surgissent ordinairement sont aplanies dans ces contrées non pas par des poursuites judiciaires pour fraude fiscale, mais par des tirs et des explosions. Qui plus est, dans une même tranchée (de part et d'autre du front), on peut voir des amateurs de la vendetta qui attendent patiemment leur heure. Les prétentions réciproques - sanglantes, bureaucratiques et financières - se multiplient. La tchétchénisation peut aboutir à la confrontation de tous contre tous, qu'il sera impossible d'expliquer par la lutte idéologique ou par des menées des groupes terroristes. L'expérience prouve qu'il serait naïf de compter, dans ces conditions, sur l'unité monolithe des rangs de fonctionnaires issus des miliciens, anciens séparatistes. D'autant plus que Ramzan Kadyrov se rend parfaitement compte qu'il est constamment dans la ligne de mire de ses adversaires.

La variante tchétchène de renforcement de la verticale du pouvoir ne fait que l'affaiblir. Mais, sans Ramzan Kadyrov et son modèle du pouvoir, la Tchétchénie présenterait un tableau bien plus impressionnant que le Daghestan actuel, en effervescence. Dans ce cas, il serait bien plus difficile de rétablir l'ordre constitutionnel que de vaincre dans une guerre contre l'aspiration à une indépendance mythique.

L'avis de l'auteur ne coïncide pas forcément avec celui de la rédaction.

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