Sans philosophie

S'abonner
Sans philosophie

Par Dmitri Choucharine, RIA Novosti

On peut commenter différemment le message annuel du président Poutine à l'Assemblée fédérale (parlement) russe. Le plus simple serait sans doute de suivre le texte, en retenant certains passages. Mais il est possible de le faire autrement — évaluer ce message dans son ensemble dans le contexte de la situation actuelle dans le pays.

Autrement dit, ne pas en réduire le sens à la signification des mots employés, tout en partant néanmoins de ces mots.

Comme on disait à la veille de la publication du message, ce sera le dernier, mais ce ne sera pas un message d'adieu. Et tel est effectivement le cas. Qui plus est, ce message est tourné vers l'avenir et permet de juger tant du système politique mis en place avec la participation de Vladimir Poutine que de son fonctionnement à l'avenir. Notez bien, je ne parle pas du développement, car le développement, l'évolution et la transformation de ce système seraient directement opposées à sa nature, à ses objectifs et à ses tâches.

Quoi qu'il en soit, ses tâches et ses objectifs sont très simples et consistent notamment à maintenir le pouvoir par une communauté fermée de personnes qui sont en fait le pouvoir lui-même. Cela étant, le statut formel de ces personnes peut même ne pas correspondre du tout à leur rôle effectif. C'est aussi le débranchement de tous les ascenseurs sociaux, ainsi que la minimisation de l'impact de la population sur la prise de décisions.

Mais, direz-vous, il n'y a rien de tel dans le message?! Au contraire. Et plus précisément dans la partie qui porte sur l'infiltration de l'étranger (hostile par définition) en Russie, sur le soutien qu'il apporte aux forces mauvaises dans la société. Il en était justement question quand il s'agissait de la nécessité d'accélérer l'adoption d'amendements durcissant la peine encourue pour extrémisme. En effet, ce terme est d'ores et déjà interprété très librement, alors que désormais toute activité publique non autorisée pourrait y être facilement assimilée. J'insiste sur "publique". Or, on le fait déjà. En effet, si la "Marche du désaccord" peut être qualifiée d'action politique, les protestations contre le transfert des sépultures des soldats de la Grande Guerre patriotique et le démantèlement du monument aux morts de Khimki (banlieue de Moscou — ndlr.) n'avaient rien de politique. Pourtant, les OMON (unités de forces spéciales du ministère de l'Intérieur — ndlr.) ont roué de coups les manifestants même après la dispersion et ce, jusque dans des trains de banlieue.

Et il ne faut pas dire qu'il s'agit bien là de tout autre chose. Non. C'est le contexte sociopolitique du message.

L'apparition de l'étranger dans le message est sans doute due à cette nouvelle initiative qu'est le moratoire proposé sur l'application du Traité sur les forces conventionnelles en Europe (FCE). Somme toute, cette décision pourrait être considérée comme une sorte de confrontation modérée, mais sans importance excessive pour la politique extérieure. De toute évidence, il s'agit bien là d'un moratoire à usage interne. L'hostilité à l'égard du monde extérieur est indispensable au système politique mis en place en Russie depuis ces sept dernières années. Il va sans dire que c'est une hostilité plutôt modérée car le pays dont l'économie repose sur une sorte de "monoculture", soit l'exportation d'hydrocarbures, est sérieusement dépendant du monde extérieur. C'est pourquoi l'autoritarisme pétrogazier en gestation en Russie doit être modéré par définition.

Les décisions économiques adoptées par un tel régime politique se réduisent exclusivement à la redistribution des pétrodollars. Et le message l'a bien montré. Il faut tout simplement partager l'argent en trois parties: fonds de réserve, budget fédéral et fonds des générations futures. Il ne s'agit d'aucune réforme structurelle ni de modernisation en tant que telle, mais uniquement du maintien de la stabilité sociale. Reste à savoir pourquoi on propose d'attribuer au fonds des générations futures le nom de fonds du bien-être national. La question se pose d'elle-même: est-il destiné à l'avenir où peut-on donc le dépenser dès aujourd'hui?

Et enfin le principal, à mon avis. Le président a employé les expressions: "unité spirituelle du peuple", "système de repères moraux", "valeurs de base morales et éthiques, élaborées par le peuple de Russie", "sauvegarde de la langue russe". Dans le même temps, il a ironisé au sujet de la "recherche de l'idée nationale": "Nous avons encore en Russie un vieux divertissement bien russe — la recherche de l'idée nationale. C'est une sorte de recherche du sens de la vie. C'est un passe-temps qui n'est somme toute pas inutile ni sans intérêt. On peut s'y livrer toujours et à l'infini. N'entamons donc pas aujourd'hui une discussion sur toutes ces questions". Le message définit ainsi l'attitude face à la réflexion nationale et sociale, face à la recherche d'une nouvelle identité nationale, face enfin à la discussion sur des valeurs sociales et nationales. Le document propose tout simplement de se limiter à des "valeurs de base morales et éthiques" déjà élaborées.

N'est-ce pas là un parallèle avec la triade "autocratie — orthodoxie — nationalité" qui avait été créée, comme on le sait, à l'opposé de la recherche d'une nouvelle identité russe dans la Russie de Nicolas 1er. Il ne reste qu'à rappeler que, sous Nicolas 1er, le pouvoir russe ne ménageait ni les occidentalistes ni les slavophiles. Pire, toute activité intellectuelle était alors interprétée comme un manque de loyauté.

Le message est un document cohérent, réfléchi et rationnel. Il est libre de tout excès stylistique et de nuances sémantiques. Néanmoins, il dessine très nettement les repères du régime politique qui sera maintenu indépendamment de celui qui sera président en 2008. C'est un système très simple d'administration du pays en ce qui concerne l'interprétation de ses tâches et le choix des moyens de parvenir aux objectifs assignés. Mais d'ores et déjà on ne pourrait sans doute pas le qualifier de système d'Etat car, comme disait le philosophe Ivan Iliin, très apprécié par le pouvoir russe d'aujourd'hui: "Le pouvoir d'Etat n'est qu'un moyen ou une arme appelée à servir un certain objectif supérieur et rien de plus. Tout est fonction de ce grand devoir substantiel que le pouvoir d'Etat est appelé à servir et sert en réalité".

Mais il n'y a pas un seul mot à ce sujet dans le message.

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

Fil d’actu
0
Pour participer aux discussions, identifiez-vous ou créez-vous un compte
loader
Chat
Заголовок открываемого материала