Départ de Saakachvili: rien n'est joué

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Par Piotr Romanov, RIA Novosti
Par Piotr Romanov, RIA Novosti

Mikhaïl Saakachvili a déclaré au monde entier qu'il n'envisageait pas de violer la Constitution géorgienne en vigueur et ne briguerait donc pas un troisième mandat présidentiel. Toutefois, la Russie et les voisins de la Géorgie, mais surtout les Géorgiens eux-mêmes, n'ont encore aucune raison de jubiler. Premièrement, en partant, M. Saakachvili n'a pas dit: "Je m'en vais tout de suite, n'insistez pas". Son mandat n'expirera qu'en 2013.

Deuxièmement, Saakachvili a tellement habitué le monde à ses fantaisies et respecte si peu les règles du jeu démocratiques que cette déclaration pourrait bel et bien ne constituer qu'une plaisanterie. Certes, on peut tout de même admettre que Saakachvili croyait ce qu'il disait lorsqu'il prononçait ces paroles. Mais la situation change constamment. Et personne ne sait ce qui se produira d'ici 2013. Enfin, qui peut assurer que le prochain président n'acceptera pas de garantir l'inviolabilité à son prédécesseur, avec tout ce qu'il a commis? Cela changerait beaucoup de choses. En outre, n'oublions pas la notion de rationalité politique, qui pourrait un beau jour suggérer à Saakachvili de se maintenir encore à son poste.

C'est probablement pour cette raison que l'opposition géorgienne ne s'est pas réjouie de cette annonce du président, déclarant au contraire qu'elle continuerait d'insister sur sa démission anticipée. Malheureusement, ce ne sont que des paroles en l'air. Après la fameuse dispersion, l'année dernière, des dissidents dans les rues de Tbilissi, qui avait fait couler sang et larmes, après la fermeture des médias d'opposition, après les menaces directes de supprimer les indésirables et autres "merveilles" de la "démocratie selon Saakachvili", le nombre des personnes décidées à descendre dans la rue pour se faire matraquer s'est fortement réduit. Les dernières manifestations de l'opposition n'ont pas rassemblé grand monde. D'autre part, les rangs des sympathisants de Saakachvili n'ont pas grossi, surtout après la guerre de cinq jours qu'il a perdue dans le Caucase. L'apathie est là, dans toute sa splendeur.

Les raisons de cette apathie sont évidentes. Elles sont à rechercher non seulement dans les douleurs causées par les matraquages policiers, mais aussi dans un désespoir de l'âme géorgienne. Le peuple a vu le pouvoir changer à trois reprises dans le pays, par le biais de coups d'Etat, d'élections et de la romantique "révolution des roses". Il a connu le nationaliste radical Gamsakhourdia, l'astucieux "renard" Chevardnadze et puis le "Micha" souriant. Néanmoins, la Géorgie ne s'est débarrassée d'aucun de ses démons, dont certains se sont même aggravés. La pauvreté est toujours là, de même que la corruption, la démocratie ne s'est pas enracinée, et la politique extérieure est totalement soumise à Washington. Enfin, la Géorgie a perdu sous "Micha" l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud.

Qui peut donc garantir que le successeur de Saakachvili sera un meilleur président? Les postes supérieurs seront naturellement repartagés, les flux financiers redirigés, mais le peuple, lui, ne recevra rien. D'où son apathie.

Ainsi, Saakachvili restera sans doute pour encore longtemps. Evidemment, ce ne sera pas le cas si la nouvelle administration américaine décide de repartir à zéro dans son édification de la démocratie en Géorgie, en se débarrassant de "Micha". Ce dernier étant parvenu à exaspérer l'Europe occidentale, les hommes politiques américains sont probablement dans le même état d'esprit.

Le problème réside dans le fait que la Géorgie n'a guère de candidats adéquats au poste de président, si tant est qu'elle en possède.

L'homme politique le plus raisonnable de cette dernière décennie, Zourab Jvania, a trouvé une mort mystérieuse dans un appartement privé, intoxiqué à l'oxyde de carbone. Ce n'est certainement pas une mort habituelle pour un premier ministre. Notons que la quasi-totalité des hypothèses visant à expliquer son décès mènent à Saakachvili. Zourab Jvania était, en effet, un opposant de taille.

Un autre personnage remarquable de cette "troïka révolutionnaire", Nino Bourdjanadze, ancienne présidente du parlement, est depuis longtemps passée dans l'opposition. Elle a même convaincu son époux à quitter la politique "pour ne pas se salir les mains". Mais elle ne se montre pour l'instant pas très audacieuse, peut-être en attente du moment opportun pour agir.

Conformément à la logique de la triste histoire géorgienne, c'est Badri Patarkatsichvili qui aurait dû prendre la relève de Mikhaïl Saakachvili. Cet homme à la biographie complexe liée aux affaires et au banditisme, est cependant déjà décédé, pour le bien de l'humanité. L'ancien ami de Saakachvili et ancien ministre de la Défense Irakli Okrouachvili, un homme résolu et belliqueux qui réside à l'étranger, constituerait lui aussi un successeur "digne".

On peut donc comprendre les Géorgiens et même les plaindre. Après s'être séparée de la Russie, la Géorgie est partie à la conquête du Nouveau monde sous la direction de Saakachvili, et a même connu des succès dans ce domaine. Toutefois, ce n'étaient que des succès formels. Le pays ne pourra pas vivre éternellement en se nourrissant des aumônes américaines. Par ailleurs, la crise mondiale, qui pousse à faire des économies sur tout, économisera également sur les Géorgiens. L'OTAN? Là aussi, tout n'est pas si simple. Les frontières, où sont-elles? En outre, la passion irrépressible de Saakachvili pour les provocations ne saurait manquer de troubler la vieille Europe.

Bref, la Géorgie célèbre le cinquième anniversaire de la "révolution des roses" dans une ambiance proche du deuil. D'ailleurs, seul un invité étranger a assisté à la célébration de cet anniversaire, à savoir le président polonais Lech Kaczynski, le russophobe invétéré et le plus passionné des hommes politiques européens en exercice. Cette célébration s'est achevée par un nouveau scandale.

En violation des ententes intervenues entre Medvedev et Sarkozy, sans prévenir personne, contrairement à l'usage, mais accompagnés, comme toujours, d'une escorte de journalistes, les deux compères se sont lancés dans une excursion à proximité d'un poste de contrôle sud-ossète. Où ils ont été arrêtés, bien entendu.

Même les Polonais n'ont pas cru à la version selon laquelle le cortège présidentiel aurait été attaqué. Le premier ministre polonais a eu raison d'indiquer que si les attaquants avaient voulu atteindre leur cible, ils auraient tiré juste. D'autant que Kaczynski lui-même affirme que les tireurs se trouvaient à trente mètres du cortège.

C'est un triste anniversaire, surtout en regard de l'euphorie qui régnait dans le pays il y a cinq ans.

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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