Syrie: Damas affronte une guerre de l'information acharnée (interview)

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Tout a commencé par les manifestations sociales et nous avons dit que les revendications étaient justifiées, et qu’il fallait les remplir.

Interview accordée à RIA Novosti par Yasser Houria, membre de la direction régionale du Baas, vice-président du "Dialogue national".

-Docteur Yasser, bonsoir. Avant tout, je voudrais vous remercier d’avoir accepté de répondre à nos questions. Tout d’abord, je voudrais évoquer le discours d’hier du président syrien Bachar al-Assad devant la direction du Baas, lorsqu’il a annoncé la fin de l’opération militaire contre les extrémistes et les combattants armés. Pourquoi les autorités ont-elles eu recours à l’armée, et pas à la police?

-Avant tout permettez-moi de vous souhaiter la bienvenue à Damas et de vous mettre au courant des événements récents. Tout a commencé par les manifestations sociales et nous avons dit que les revendications étaient justifiées, et qu’il fallait les remplir. Les gouvernements précédent et actuel ont pris de nombreuses mesures visant à satisfaire les exigences d’une grande partie de la population. Mais avec le temps nous avons commencé à noter que les slogans devenaient plus politiques et appelaient au renversement du régime.

Des individus armés s'infiltraient dans les manifestations, se faisant passer pour des protestataires, et ils assassinaient en accusant de ces actes les forces de sécurité ou la police. Bien sûr, une telle situation était inadmissible, car finalement ces individus armés ont commencé à contrôler des quartiers et même des villes, ils installaient des barricades et contrôlaient les papiers des citoyens, ils exigeaient de l’argent et obligeaient même les gens à fermer leurs magasins et à porter des banderoles avec des slogans qu’ils ne partageaient pas, ils obligeaient les gens à participer à ces manifestations. Et en cas de refus ils menaçaient de brûler leurs magasins ou de les tuer.

Voici où nous en sommes. En réalité, nous n’assistons pas aux manifestations pacifiques, telles qu’ils le disent, mais aux actions armées. La majorité de ces individus armés sont des extrémistes musulmans qui veulent créer des émirats musulmans et anéantir l’Etat laïque. Nous pensons qu’en Syrie il existe une opinion populaire générale contre cela. Majoritairement, la population est en faveur d’un Etat laïque et du président Bachar al-Assad. Le peuple veut la paix, le calme et la stabilité. La population syrienne profitait d’une paix et d’une tranquillité qui n’existent dans aucun autre pays. Et les gens étaient reconnaissants au gouvernement pour la sécurité et la tranquillité qui régnaient dans le pays. Aujourd’hui nous souffrons de l’absence de tout cela à cause de l’apparition de ces extrémistes. Bien sûr, les unités spéciales de la police ont essayé de lutter contre ces individus armés, mais l’état de trouble actuel est dû à leur armement sophistiqué, à leur niveau de préparation et à leurs opérations, dont le kidnapping, les attaques des commissariats, des tribunaux, l’incendie des établissements publics, le pillage des universités et des banques. Je pense qu’aucun pays de pourrait tolérer des individus armés voulant contrôler les villes les unes après les autres et enfin de compte s’emparer du pays tout entier.

Nous avons dit à maintes reprises que celui qui souhaite changer le régime doit utiliser ses droits et que le seul moyen possible passe par les élections. Je ne pense pas que ces groupes armés ont la possibilité d’arriver à leur fin. D’autant plus que nous avons dû faire appel à l’armée, et en réalité c'est la population qui l'a demandé, car ni la police, ni les forces de sécurité n’étaient capables de résister à ces bandes armées. Elles utilisaient des explosifs et des armes modernes. Nous avons même trouvé chez les combattants des armes et des balles qui ne sont pas utilisées dans notre armée. Cela signifie qu’un tiers leur fournit des armes et un soutien financier. Je voudrais ajouter que beaucoup de contestataires ont manifesté pour de l’argent.

En d’autres termes, je veux dire que quelqu'un sponsorise ces manifestations. Beaucoup de manifestations n’ont duré que 15-30 minutes. Pendant ce temps les manifestants se filmaient avec leurs téléphones portables afin d’envoyer les vidéos sur internet, YouTube et aux agences d’information. Ils scandaient des slogans antigouvernementaux. En fin de compte cela nous a contraints de faire intervenir l’armée, car sa mission est de protéger la population, le pays et la loi. Aujourd’hui, l’armée a quitté les villes et les points chauds après avoir rempli sa mission avec succès. Beaucoup de journalistes ont visité ces endroits. Ils ne voyaient aucun dégât, aucune trace d'obus de chars ou d’artillerie. L’armée a utilisé les mêmes types d’armes que les groupes armés. L’armée n’a pas utilisé d'armes lourdes pour régler cette question, elle luttait sur un pied d’égalité.

Je voudrais ajouter que les forces de sécurité et la police ont saisi beaucoup d’armes, et certains entrepôts n’ont pas encore été localisés. Hier, la télévision syrienne a annoncé que les véhicules saisis étaient remplis d’armes, et d’autres véhicules en provenance d’Irak et du Liban ont également été arrêtés. La frontière syrienne est très longue et ouverte aux voisins, et pour cette raison le trafic d’armes existe réellement. Je pense que les extrémistes sont bien armés et reçoivent un soutien de l’étranger, et pour cette raison leurs exigences sont différentes de celles du peuple, et ne poursuivent pas un but social, politique ou économique.

-La presse parle de guerre de l’information. De quoi s’agit-il, et quel est son but?

-En réalité, depuis le début de la crise, nous sommes confrontés à une guerre acharnée de l’information dirigée contre la Syrie. Cette guerre était menée par certaines chaînes connues. Nous avons déjà remarqué des reportages vidéo truqués d'événements qui n’ont jamais eu lieu en Syrie, mais plutôt au Yémen. Ils ont été filmés à un autre endroit, mais la télévision affirme que ces événements se sont produits en Syrie. Même si certaines chaînes avaient auparavant une réputation positive, aujourd’hui il s’est avéré qu’elles ont cessé de dire la vérité. Elles s’appuient sur des appels de témoins.

Or, ces témoins sont des inconnus qui se cachent derrière des pseudonymes et décrivent une situation très difficile dans le pays. Mais en réalité ce n’est pas le cas. Par exemple, il a été annoncé que des personnes avaient été tuées. En réalité ces personnes sont toujours en vie. On a parlé de tirs d’armes lourdes, mais c’est faux. Au début, le tableau était flou, mais aujourd’hui il est clair qu'il s’agit d’une guerre de l’information. Quel est le but de cette guerre? Certaines agences d’informations, liées d’une quelconque manière à la politique occidentale, unies par le même but, veulent renverser le régime actuel en Syrie. Ils veulent conquérir la Syrie.

-Dans le message du président Bachar al-Assad il est question de la nécessité de mettre en œuvre des réformes. Qu’est-ce qui a déjà été fait et quelles réformes est-il prévu de réaliser?

-Je voudrais dire que dans la mesure du possible nous avons rempli les exigences sociales du peuple: l’état d’urgence a été levé, le salaire des fonctionnaires a été relevé et la Cour de sûreté de l’Etat a été abolie. Le gouvernement a adopté des lois appropriées au processus de réformes, dont la principale concerne la création du département de lutte contre la corruption, une loi sur la création des partis, sur les élections sous le contrôle des instances judiciaires: une nouvelle étape également. Les autorités ont adopté une nouvelle loi sur l’information. Il ne reste qu’une seule question: la constitution.

J’espère que prochainement le président annoncera les informations relatives à la constitution et aux réformes dans ce domaine. De plus, l’ancien cabinet a été dissous et un nouveau gouvernement a été nommé, beaucoup de mesures ont été prises pour mettre en œuvre les nouvelles réformes. Je voudrais dire sincèrement que les réformes sont une nécessité nationale. Nous croyons tous en ces réformes et le président Bachar al-Assad a son propre programme de réformes et est lui-même un réformateur. Il veut mettre en œuvre ces programmes. Certains exigent l’accélération des processus, mais ce programme requiert du temps. Un mois ou deux sont un délai bien trop court.

-Prochainement, le Conseil de sécurité des Nations Unies prévoit de se réunir pour aborder la situation en Syrie. Qu'attendez-vous de cette réunion? Vous attendez-vous à l’adoption de sanctions supplémentaires, ou pensez-vous que la situation va se normaliser? Ou pourrait-on s’attendre à ce que la position des pays change à ce sujet?

-Comme vous l’avez fait remarquer, certains pays européens et les Etats-Unis s’appuient sur les informations diffusées par certains médias. Et comme je l’ai déjà dit, depuis le début ils ne sont pas dignes de confiance, une partie des informations est falsifiée. On dit qu’il existe à Hambourg un groupe spécialisé dans la fabrication de films, et le même groupe existe au Liban. Ils préparent des films pour dresser le peuple contre le gouvernement syrien. Je voudrais souligner que c’est faux: il y a des manifestants, la majorité du peuple soutien le président Bachar al-Assad et ses plans de réformes.

Comme vous le savez, les Européens avaient tentés auparavant de faire adopter une résolution contre la Syrie disant que Damas utilise la force. Je voudrais remercier la Russie et la Chine pour leur neutralité, car elles ont une vision globale de la situation. Elles ont perçu dans ces événement toute la vérité, et pas seulement une partie. Elles ont adopté leurs positions en partant de ce qu'elles avaient vu. Au nom de la société de l’amitié russo-syrienne et du peuple syrien je voudrais remercier le peuple russe et le gouvernement russe pour cette position. Et nous espérons que les autorités russes maintiendront cette position pour établir la vérité. La Russie a adopté une bonne position car notre propre position est juste. Le Conseil de sécurité des Nations Unies peut adopter toutes les résolutions qu’il voudra, mais qu’est-ce qu'elles apporteront?

Nous avons affaire à la réalité. Ceux qui viendront en Syrie verront ce qui se passe et changeront immédiatement leur opinion sur les événements. Nous avons invité beaucoup de journalistes et de représentants des médias. Ils ont vu de leurs propres yeux ce qu'il se passe et ont changé d’avis. Mais certains ne veulent pas regarder la vérité en face. L’ambassadeur américain est allé personnellement à Jisr al-Choughour, et il a vu de ses propres yeux les destructions causées par les groupes armés. Vous vous souvenez peut-être qu’il s’est également rendu à Hama pour soutenir les contestataires. Ils ont leur propre programme, différent de celui des manifestants, ils provoquent et financent. Vous vous souvenez peut-être que The Washington Post a annoncé que les Etats-Unis avaient offert à l’opposition syrienne 6 millions de dollars pour atteindre les objectifs qu’ils poursuivent: le grand Moyen-Orient et la division de cette région en utilisant les diverses confessions. Comme vous le savez, l’une des principales caractéristiques de la Syrie est la coexistence de diverses religions.

Nous la considérons comme une source de richesse, et non pas de discorde. Et aucun problème n’est jamais survenu. Or, ils incitent les gens à s’affronter et au final une guerre civile éclatera en Syrie. Il s’agit d’une ingérence directe d’une grande puissance qui doit jouer un rôle positif dans le monde. Elle doit assurer la sécurité, et non pas être une source de troubles dans les régions. Ils veulent initier un conflit dans cette région afin que la Syrie, le Liban et d’autres pays de la région soient morcelés et affaiblis. Afin qu’Israël devienne l’Etat le plus puissant dans la région, qu’Israël se sente en sécurité. Pourquoi les Etats-Unis n’apprécient-ils pas la résistance au Liban? Pourquoi n’apprécient-ils pas la position politique de la Syrie pour le retour du plateau du Golan et des territoires occupés? Parce que cela déplaît à Israël. Et ce qui déplaît à Israël, déplaît aux Etats-Unis.

-Etant donné la situation actuelle, je voudrais savoir comment la situation en Syrie se répercute sur les relations entre la Russie et la Syrie? Ont-elles été affectées d’une manière quelconque? Quel est l’état actuel des relations russo-syriennes?

-Il y a ce proverbe: c’est dans le malheur qu’on reconnaît ses vrais amis. Le peuple russe a toujours été un ami de la Syrie et de tous les peuples arabes. Je n’oublierai jamais la guerre du Kippour. En 1973 j’étais officier, et je voyais de mes propres yeux les frères russes qui se tenaient à côté de nous, et nous soutenaient non seulement sur les champs de bataille, mais également dans d’autres domaines. Nous voulons, notamment dans la situation actuelle de crise, revoir nos relations avec la Russie amie pour les améliorer à tous les niveaux. Le peuple russe était et demeure l’ami du peuple syrien. Nous espérons que cette crise conduira au renforcement de nos relations, et non l’inverse.

Monsieur le président se montre également intéressé par le bon état de ces relations. Je suppose que ces relations s’amélioreront à l’avenir, toutes les relations politiques, économiques, sociales et dans d’autres domaines s’amélioreront. Je sais quel amour le peuple russe éprouve pour le peuple syrien, et à son tour la population syrienne aiment beaucoup ses frères russes. Vous le voyez probablement dans la rue, en Syrie, lorsque les Syriens font connaissance avec un touriste russe, ils le traitent avec beaucoup de respect, car nous savons que la position de la Russie, dictée par la volonté de son peuple, est une position de principe qui n’est pas basée sur un intérêt mercantile. Nous aspirons à l’amélioration de ces relations.

-A la lumière des événements actuels, récemment l’armée israélienne a posé des mines supplémentaires dans les territoires frontaliers avec la Syrie. A votre avis, pourquoi cette action à ce moment précis?

-Je voudrais vous dire que pour la première fois de l’histoire de la guerre israélo-arabe, Israël se sent en danger. Pourquoi? Parce que la Syrie et le Front national de résistance libanaise ont réussi à infliger un préjudice considérable à l’armée israélienne, notamment pendant la guerre de 2006. Toute la grande technologie militaire moderne d’Israël n’a pas réussi à résister aux frappes puissantes du Front national de résistance libanaise. Ainsi, il s’agit d’un nouveau phénomène dans la région. Le mythe de "l’armée invincible" [israélienne] a été brisé. Cette notion a perdu son sens à jamais. Israël saura que si le peuple arabe se taisait pendant une certaine petite période, à l’avenir il ne se taira plus, il reprendra ses terres, de gré ou de force ces terres seront récupérées.

-Après le début des troubles en Syrie, les contacts entre la Turquie et l’Arabie saoudite sont devenus plus actifs. Comment interprétez-vous ces contacts? Et que pensez-vous du rôle de ces pays dans le règlement de la situation en Syrie?

-Nous nous efforçons de maintenir de bonnes relations avec tous les pays arabes. Nous mettons en œuvre toutes les mesures possibles pour que ces relations restent à leur niveau normal. Toutefois, le fait est qu’au début certains signes indiquaient qu’ils comprenaient la situation en Syrie, car ils reconnaissaient l’existence des groupes armés. C’est le principal point d’accord entre nous. Je pense qu’ils avaient des attitudes positives envers nous, mais lorsque Madame Clinton a fait sa déclaration, ils y ont réagi et il est arrivé ce qui est arrivé, et probablement à ce moment leurs positions ont commencé à changer.

Bien sûr, nous sommes conscients que l’Arabie saoudite et d'autres pays procèdent par insinuations à l'intention de leur propre peuple et d'autres. Nous sommes convaincus que le roi Abdallah est un homme raisonnable et juste, il connaît bien l’attitude du président Bachar al-Assad envers lui, l’Arabie saoudite et tous les dirigeants arabes. Nous aspirons aux meilleures relations possibles avec les frères arabes. Toutefois, nous traversons une crise et souhaitons que nos voisins et frères arabes comprennent la situation, et s’ils veulent voir la vérité, ils peuvent envoyer des délégations pour constater ce qui se passe sur place. S’ils voient de leurs propres yeux ce qui se produit, je suis convaincu que leur position changera. Au stade actuel, ils sont influencés par les Etats-Unis, mais je pense que prochainement les relations redeviendront comme avant.

-Le gouvernement syrien ne craint-il pas la répétition du scénario libyen?

-Bien sûr, une telle crainte existe. Les groupes armés voulaient utiliser le facteur confessionnel et ont tenté de montrer aux gens qu’un groupe religieux attaquera un autre groupe religieux. Mais dans notre pays nous vivons comme des frères, dans les mêmes immeubles et dans les appartements voisins, pour cette raison l’amour et la compréhension mutuelle du peuple rendent la Syrie plus forte. En quoi consiste la force de la Syrie? Tout le peuple est uni, et il soutient le président Bachar al-Assad. Je voudrais confirmer que la crise touche à sa fin. C’est un élément de force, cela a aidé le gouvernement et le peuple syrien à résister à cette conspiration. Ce plan échouera forcément. Je ne peux pas dire que cela se produira dans une semaine ou dans un mois, peut-être que cela prendra un peu plus de temps, mais je peux dire que le gouvernement aspire fortement à préserver l’Etat et sa réputation. Aucun groupe d’individus n’a le droit de porter atteinte à la réputation de l’Etat et du gouvernement ou de fomenter une révolte armée quelque part en Syrie. Il a été décidé de résister à ces individus par tous les moyens.

-En raison des troubles dans certaines villes syriennes, ne vous attendez-vous pas à une éventuelle provocation d’Israël au Liban ou dans la bande de Gaza?

-Bien sûr, c’est possible: ce qui se passe en Syrie est inséparable du plan qui se prépare pour la région. Ainsi, on peut s’attendre à tout. Je veux dire que nous sommes prêts à toute situation. Israël pourrait provoquer un conflit ou des opérations militaires, mais nous sommes prêts à faire face à de telles situations.

Propos recueillis par Sergueï Sarymov, envoyé spécial à Damas

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