Crise de la dette: la Grèce au bord de l'explosion sociale

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La Grèce risque de se transformer en foyer d’instabilité politique et sociale en Europe.

La Grèce risque de se transformer en foyer d’instabilité politique et sociale en Europe.

Une grande partie de la population du pays s’oppose fermement aux conditions qui accompagnent l’aide financière octroyée à Athènes. Dans les jours à venir, le gouvernement grec devrait adopter des mesures budgétaires draconiennes. Les plus grands syndicats ont d'ores et déjà annoncé une grève générale de 48 heures. Les experts avertissent que compte tenu de l’activité protestataire des Grecs et de l'influence traditionnelle forte dans ce pays des mouvements de gauche, le scénario révolutionnaire n’est pas à exclure. Mais les observateurs sont presque convaincus que ni les mesures économiques, ni le changement de système politique ne pourront sortir l’économie grecque de la crise.


Aux alentours du 15 février, les hauts fonctionnaires européens devaient approuver le second plan de sauvetage de la Grèce pour lui éviter un défaut de paiement. Le pays recevra 130 milliards d’euros en échange de la promesse de mettre en œuvre des réformes structurelles et des mesures d’économie draconiennes. Le gouvernement grec doit préalablement donner son aval.

L’économie était et demeure une pierre d’achoppement dans les négociations entre les autorités grecques et ce qu’on appelle la troïka - le Fonds monétaire international (FMI), la Banque centrale européenne (BCE) et la Commission européenne. C’est logique, car en automne dernier la hausse du taux de chômage, la réduction des salaires et des prestations sociales ont provoqué des manifestations de masse qui ont dégénéré en émeutes et en affrontements avec la police.

Le virage à gauche

A l’heure actuelle, la situation socioéconomique dans le pays est gravissime – le nombre de chômeurs a dépassé 1 million de personnes, ce qui représente 20,9% de la population active du pays. Selon les prévisions, la chute du PIB en 2011 sera supérieure à 6,5%. Or les mesures de restriction économique, sur lesquelles insiste la troïka, implique la poursuite de la réduction des emplois, la diminution des prestations, etc. Les initiatives des hauts fonctionnaires européens provoqueront sans l’ombre d’un doute une nouvelle vague de protestation. Et elle se soulève déjà – les principaux syndicats des secteurs public et privé, ADEDY et GSEE, ont organisé le 10 février une grève générale de 48 heures contre la réduction des dépenses.

Les experts prédisent la poursuite de l'escalade de la tension, sans écarter la possibilité que les manifestations puissent échapper au contrôle du gouvernement. Par ailleurs, ce n’est pas le programme de mesures anticrises, mais le système politique existant qui pourrait être pris pour cible lors des protestations.

"Compte tenu des traditions de combativité du spectre politique de gauche en Grèce, ce scénario est envisageable, déclare Sergueï Afontsev de l'Institut de l'économie mondiale et des relations internationales. Selon moi, il existe une probabilité de 5-10%".

Pour l’instant, le gouvernement grec parvient à maîtriser la vague de protestation et l’utilise comme une sorte d’atout dans les négociations avec l’Union européenne et dans la lutte intrapolitique. Mais Sergueï Afontsev souligne que les événements de l'été-automne 2011 ont montré que les militants syndicaux et les participants au mouvement de protestation pourraient avoir "leurs propres stratégies qui ne coïncident pas toujours avec les idéaux de ceux qui tentent de récupérer ce mouvement".

Les pays étrangers viendront à la rescousse


Toutefois, selon beaucoup d’experts ce scénario est peu probable, avant tout du fait que l’Union européenne est trop intéressée par le maintien de la stabilité dans les Balkans.

"Je pense que l’Europe trouvera une issue, estime Evgueni Gavrilenkov, économiste en chef de Troïka Dialog. La Grèce est un petit pays, mais si ses problèmes ne sont pas réglés - peu importe comment, que ce soit grâce aux crédits de 130 ou 200 milliards, il existe un risque bien plus important d’apparition de problèmes dans des pays bien plus grand, tels que l’Italie".

De plus, certains experts estiment que les restrictions économiques sont la seule issue pour la Grèce. Le pays est au bord de la faillite, et sans l’aide de l’Union européenne la faillite est certainement inévitable, or dans ce cas les Grecs devraient se serrer encore plus la ceinture.

"Le prix de la faillite économique et sociale serait bien plus élevé que les réductions des dépenses actuelles, explique Pavel Sviatenkov, expert de l’Institut de stratégie nationale.
La faillite signifierait très probablement la sortie du pays de l’Union européenne ou, du moins, de la zone euro. L’économie s’effondrerait et en termes de niveau de vie le pays reviendrait 20 ans en arrière".

La probabilité d’un scénario révolutionnaire serait alors bien plus élevée et, selon Pavel Sviatenkov, c’est la raison pour laquelle les politiques adopteront les mesures de réduction budgétaire en dépit de leur impopularité extrême.

"Je pense en Grèce on assistera à des protestations et à une instabilité sociale contrôlées, résume l’expert de l’Institut de stratégie nationale. Mais elles ne dégénéreront pas en un très gros problème, car nul n’est capable de proposer une alternative à la politique actuelle".

Un problème sans solutions

Le fait est que la politique actuelle (les restrictions économiques en échange de l’argent pour rembourser la dette), selon beaucoup d’experts, n’est pas en mesure de régler les problèmes économiques de la Grèce, mais au contraire, les aggrave.

"Les tentatives entreprises par la Grèce visant à réduire les dépenses sont pour l’instant accompagnées par le déclin de l’économie, rappelle Evgueni Gavrilenkov. Et selon les prévisions, le déclin de l’économie se poursuivra durant les deux prochaines années".

Le paradoxe de la situation est que les mesures anticrises génèrent la crise. De plus, certains experts estiment que ce n’est pas la dette publique élevée mais les mesures anticrises qui sont à l’heure actuelle la principale cause de la crise grecque.

"En réduisant significativement les dépenses publiques, le nombre d’emplois se réduit considérablement, et cela conduit aux faillites en grand nombre, précise Boris Kagarlitski, directeur de l’Institut de la mondialisation et des mouvements sociaux en expliquant le mécanisme de la crise. Les nombreuses faillites réduisent davantage le marché intérieur, diminue l’activité des entreprises et augmentent les charges pesant sur le système de protection sociale, car le nombre de chômeurs augmente rapidement, or il faut bien verser des allocations chômage".

Au final, le déficit budgétaire ne se réduit pas, mais augmente. Et la diminution des indemnités de chômage conduit à une baisse plus importante de la demande. Par conséquent, l’économie s’effondre.

Quelle pourrait être la solution? Selon Evgueni Gavrilenkov, la sortie hypothétique de la Grèce de la zone euro et le retour à la drachme conduirait à une double ou triple dévaluation de la monnaie grecque.

"La compétitivité serait alors rétablie, explique l’expert. Mais un défaut de paiement se produirait tout de même, car la dévaluation de la monnaie nationale provoquerait une hausse de la dette jusqu’à 500-600% du PIB ce qui est impensable". On est à nouveau dans l’impasse.

Alors il ne resterait plus que le scénario révolutionnaire? Mais selon les experts, même la révolution ne sauverait pas l’économie grecque. En revanche, elle serait une sorte de vaccin contre la propagation des foyers d’instabilité sur le Vieux Continent.

"C’est comme un vaccin. Si le gouvernement changeait sous la pression des protestations de la gauche, dans quelques mois il s’avérerait que le gouvernement de gauche est tout aussi incapable de remédier au problème, et en voyant l’exemple de la Grèce, tous les autres pays diraient que ce n’est pas la bonne solution, le temps révèle la finalité de ce genre d’initiatives", conclu Sergueï Afontsev.

En revanche, le problème de la Grèce ne semble toujours pas avoir être réglé.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

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