Blog d'Alexandre Latsa: Réflexions croisées sur les manifestations en France et en Russie

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Le lundi 6 mai était le premier anniversaire de la dernière grande manifestation d’opposition à Moscou. Elle avait donné lieu à des incidents entre manifestants et forces de l’ordre et à une 30aine d’interpellations et quelques condamnations, ainsi qu’à la suspension du mouvement d’extrême gauche suspecté d'être l’instigateur principal et l’organisateur de ces violences.

Le lundi 6 mai était le premier anniversaire de la dernière grande manifestation d’opposition à Moscou. Elle avait donné lieu à des incidents entre manifestants et forces de l’ordre et à une 30aine d’interpellations et quelques condamnations, ainsi qu’à la suspension du mouvement d’extrême gauche suspecté d'être l’instigateur principal et l’organisateur de ces violences.

Les lecteurs qui s’intéressent à cette manifestation peuvent consulter mon reportage photo à ce sujet ici. Force est de constater que l’enthousiasme n’y est plus et que le mouvement Bolotnaia, tel qu’il a existé, est sans doute mort et enterré. En effet malgré un temps clément sur Moscou la manifestation n’a rassemblé que quelques milliers de personnes, bien loin des dizaines de milliers qui avaient bravé le froid au cœur de l’hiver 2011, voir ici et .

Alors que la branche la plus extrême (d’extrême gauche) a été décapitée, que la branche nationaliste voit son leader le blogueur anti-corruption Alexey Navalny en procès pour corruption, et que les figures libérales de Koudrine et Prokhorov ont visiblement quitté le mouvement on peut imaginer que la question que doivent se poser nombre de manifestants d'opposition est: "que faire"?

Alors que la participation était en baisse en Russie il se passe un phénomène inverse en France puisque ce sont près de 125.000 personnes qui ont manifesté dans toute la France contre le mariage pour tous et en vue d’une nouvelle et authentique marche des millions, la seconde de l’année, le 26 mai prochain. A Paris seulement ce sont sans doute plus de 100.000 personnes qui ont aussi manifesté derrière le leader d’extrême gauche Jean Luc Mélenchon, dans une marche "contre l'austérité, la finance et pour la VIe République".

La crise politique en France semble s’aggraver alors que 77% des français sondés pensent que leurs élus (tous partis confondus) sont corrompus et que seul 1% des français sondés ont du respect pour leurs élus.  En Russie de 2013, les tendances sont sensiblement moins graves puisque si désormais 60% de la population pense que les députés défendent avant tout leurs intérêts personnels, 20% des sondés pensent que ceux-ci sont avant tout des voleurs, 51% lorsqu’ils évoquent des députés du bloc politique dirigeant le pays, Russie Unie.

Cette mauvaise image du parti Russie-Unie, probablement due aux nombreux et récents scandales qui ont frappé le parti, est elle la source de la récente et bien mystérieuse déclaration de l’éminence grise du Kremlin Vladislav Sourkov? Ce dernier, par ailleurs vice-premier ministre chargé de la modernisation, vient en effet très récemment d’annoncer qu’il serait bon que le parti Russie-Unie ait un réel challenger et même proposer de contribuer à la constitution d’un tel parti. Est-ce le début d’une nouvelle architecture politique en Russie voyant à l’avenir Russie Unie et le Front Populaire (une création de Vladimir Poutine qui va devenir cet été un authentique mouvement public) s’opposer? Ou plutôt se partager le pouvoir? Un tel mouvement confirmerait sans doute la naissance d’un bipartisme sous contrôle dont l’émergence a jusqu'à présent échoué tant avec Russie Juste qu’avec Pravoe Delo.

Curieusement pourtant deux tendances contradictoires semblent se dégager de cette situation de crise politique et de perte de confiance de la population envers leurs élites. Cette volonté d’oxygéner le champ politique russe (une revendication par ailleurs de l’opposition non parlementaire de rue) n’est pas la solution retenue en France ou au contraire une majorité des français (78%) souhaitent au contraire un gouvernement national fédérant la droite, la gauche et le centre, c’est à dire rentrer dans une configuration politique proche de celle de la Russie. En effet, depuis 2000, le pays est gouverné par une structure politique (Russie Unie) qui n’est pas un parti mais une plateforme froide regroupant nombre de tendances, libérales comme conservatrices et de droite comme de gauche, et qui a joué le rôle d'une organisation d’union nationale.

Je me demande souvent ce que donnerait à l’échelle russe le système de scrutin électoral français (majoritaire à deux tours). Avec ce système, Russie Unie qui soutient le président aurait probablement obtenu 95% des sièges de députés, l'évolution de la vie politique du pays serait probablement complètement bloquée, et en Europe occidentale la presse dénoncerait une dictature organisée par les urnes.

En Russie les élections législatives utilisent un système proportionnel qui ne donne qu'une représentation symbolique aux partis qui n'atteignent pas 7% des voix. Par contre ce système de scrutin représente de façon très fidèle les électeurs des partis moyens et grands. Par exemple, le Parti Communiste de Russie, qui a obtenu 19% des voix aux législatives de 2011, a obtenu 92 sièges au parlement c'est-à-dire 20 % des sièges.

En France, le Front National qui a obtenu 13.77 % des voix au premier tour des dernières élections législatives, n'obtient finalement que 2 sièges au parlement (sur 577 sièges au total). De plus, le système de scrutin français, majoritaire à deux tours, permet des arrangements de dernière minute qui faussent encore plus la représentation des électeurs. Ainsi, le parti écologiste français, qui avait obtenu seulement 5.46% des voix au premier tour des mêmes législatives, a finalement obtenu 18 sièges au parlement.

Ce modèle politique de représentation proportionnelle et d’un parti d’union nationale, éprouvé par la Russie pour redresser sa situation économique et politique suite à la profonde crise des années 90, pourrait il devenir un modèle pour une France qui tôt ou tard aura besoin de mesures choc pour surmonter non seulement la crise qu’elle traverse, mais aussi les conséquences de cette dernière?

Rien n’est moins sur mais il reste tout de même qu’un changement massif d’élites politiques pourrait être utile en France, comme ce fut le cas en Russie au début des années 2000.

L’opinion exprimée dans cet article ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction, l'auteur étant extérieur à RIA Novosti.

Alexandre Latsa est un journaliste français qui vit en Russie et anime le site DISSONANCE, destiné à donner un "autre regard sur la Russie".

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