Laissez Hollande en paix

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En Angleterre ou aux Etats-Unis il n’est pas rare que les hommes politiques soient pris en "flagrant délit d'adultère". La coutume semble s'être propagée en France.

En Angleterre ou aux Etats-Unis il n’est pas rare que les hommes politiques soient pris en "flagrant délit d'adultère". La coutume semble s'être propagée en France.

Quand en 1963 le gouvernement britannique du premier ministre Harold Macmillan était tombé suite à une série d'escapades sexuelles des membres du gouvernement, à Paris circulait une plaisanterie qui contenait une part de vérité : "Les Anglais font un scandale quand le ministre a une maîtresse. Chez nous, le scandale, c'est quand un ministre n'en a pas !".

Selon ces critères, le président François Hollande serait donc un homme politique français exemplaire. Grâce à la revue people Closer tout le monde a appris que le président français avait non seulement une concubine, mais aussi une maîtresse cachée.

Ce "scandale parisien d'un nouveau genre" signera-t-il la fin de l'honorable tradition française de la liberté de pensée des politiciens dans leur vie privée ? D'après moi, oui et non. Certains éléments de cette tradition font définitivement partie du passé. Mais dans le fond elle reste "plus vivante que jamais".

Dans les années 1970 la matinée du futur président François Mitterrand se déroulait à Paris, rue de Bivre, de manière très atypique du point de vue de la morale conventionnelle : le leader des socialistes français prenait tranquillement le petit déjeuner avec l'amant de sa femme Danielle, Jean Balenci.

Ce dernier avait sa propre chambre et des responsabilités ménagères dans la maison familiale des Mitterrand. Le matin, Jean Balenci achetait les croissants, le journal et promenait le chien.

Sous couvert d'être un proche lointain mais très aimé il accompagnait régulièrement le couple Mitterrand dans leurs déplacements et voyages.

Difficile à croire ? J'ai eu la même réaction au départ. Mais il s'agit pourtant d'un fait historique bien documenté, présent dans la biographie de Mitterrand écrite par le journaliste britannique Philip Short.

Comment cela a-t-il été possible ? C'est très simple : dès son mariage en 1944 Mitterrand a toujours vu sa vie familiale avec un regard très hétérodoxe. Selon Philip Short, en pleine réception après le mariage à l'église, l'époux avait déclaré à sa moitié : "Je dois y aller. On m'attend à une réunion !".

Pendant sa carrière politique, Mitterrand a changé de maîtresse comme de chemise, puis il est tombé amoureux de la jeune Anne Pingeot, la fille d'un de ses amis, lui a fait un enfant et a commencé à vivre entre deux maisons.

De son côté Danielle Mitterrand s'est également trouvé un amant et la situation est restée ainsi jusqu'à la mort de Mitterrand en 1996. Evidemment, pratiquement toute l'élite politique française était parfaitement au courant de ces particularités de la vie familiale du président mais le grand public a appris tous ces détails croustillants seulement à la veille de sa mort. Presque personne, alors, n'avait jeté la pierre à Mitterrand. Les deux femmes de sa vie n'étaient pas non plus en conflit. Elles étaient toutes les deux présentes aux obsèques du chef d'Etat.

Du point de vue de la morale politique anglo-saxonne, cette histoire sort de la norme – et de loin. Les Américains et les Britanniques estiment que le comportement d’un homme politique en privé a une répercussion directe sur l'exercice de ses fonctions en tant que serviteur du peuple.

Le principe est noble. Mais les hommes ne sont pas parfaits par défaut. Et c'est pourquoi les nobles principes brisent souvent les destins des hommes.

Prenons en exemple l’histoire du ministre britannique des Affaires étrangères Robin Cook, en 1997. En se préparant pour un voyage à l'étranger il était assis avec son épouse Margaret dans la salle VIP de l'aéroport Heathrow de Londres. Soudainement, le téléphone de Cook a sonné, le conseiller et directeur de la communication du premier ministre Alastair Campbell était à l'autre bout du fil.

Campbell appelait le ministre des Affaires étrangères pour lui annoncer que la presse avait appris son aventure avec une collaboratrice du gouvernement, Gaynor Regan. Cook devait prendre une décision dans l'instant : quitter sa femme ou renoncer à sa maîtresse.

Robin Cook a fait son choix et a annoncé à l'aéroport à son épouse que leur mariage était terminé. Quelques minutes plus tard la même chose était déclarée à la presse.

Ainsi, la réputation du gouvernement britannique n'avait pas été entachée. Le premier ministre Tony Blair avait également réussi à éviter le sort de Harold Macmillan et de son prédécesseur John Major, qui en 1993 avait eu l'imprudence d'appeler au "retour aux sources". Les médias l'avaient interprété comme un engagement strict des membres du gouvernement à respecter les valeurs familiales traditionnelles, bien que Major ait fait allusion à autre-chose.

Les journalistes ont ouvert une véritable chasse aux ministres. A chaque fois qu'un membre du gouvernement était pris la main dans le sac avec une maîtresse, Major tentait d'abord de le défendre puis cédait à la pression et renvoyait le politicien en question. C'est pour ça que Blair, par la suite, a été aussi intransigeant envers Cook.

Peut-on considérer tout cela comme le triomphe des grands principes moraux ? Je ne serais pas prêt à répondre à cette question par l’affirmative. Il me semble que certaines questions doivent être traitées uniquement dans le cadre familial. L'approche française de la vie privée des hommes politiques est, selon moi, plus humaine.

Mais cette "approche française" existe-t-elle encore ? Peut-on dire qu'elle n'a pas changé après ce qui est arrivé à François Hollande ? Effectivement, les journalistes français agissent aujourd'hui très différemment par rapport à l'époque de Mitterrand. Alors que la société française se comporte, dans l'ensemble, toujours comme des adultes.

Les révélations de la presse people ont causé des problèmes dans la vie de famille de Hollande. Mais sa carrière politique n'a pas été affectée. Si le président américain s'était retrouvé dans une situation similaire, il serait déjà en train de supplier la nation de le pardonner ou donnerait sa démission.

En d'autres termes, les Français restent fidèles à eux-mêmes. Et tant mieux. Après tout, il ne faut pas imiter tous les usages anglo-saxons.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

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